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déclaration préalable. Avec la loi de 1881, le délai qui devait exister entre le dépôt de la déclaration et la tenue de la réunion, permettait au préfet, au sous-préfet ou au maire de désigner, pour y assister, un fonctionnaire de l'ordre administratif ou judiciaire. Aujourd'hui, du moins dans la plupart des cas, cette désignation ne pourra plus se faire en temps utile.

Pour parer à ce danger, M. Clémenceau, président du Conseil, vient d'adresser aux préfets, le 25 avril dernier, une circulaire ainsi conçue:

<«< Par suite de la nouvelle législation, l'administration peut ignorer l'organisation de réunions publiques ou n'en être pas avisée assez tôt pour pouvoir faire usage du droit que lui confère l'article 9 de la loi du 30 juin 1881. Elle a cependant le plus grand intérêt à être exactement tenue au courant des discours qui peuvent tomber sous l'application des articles 23, 24 et 25 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Pour la constatation matérielle des délits de cette nature, il est indispensable qu'un fonctionnaire soit présent à la réunion, afin de dresser procèsverbal des infractions commises. Je vous prie, en conséquence, de donner à tous les commissaires spéciaux et de police de votre département, une délégation permanente, à l'effet d'assister aux réunions publiques organisées dans leur ressort. Vous voudrez bien les inviter à se rendre à toute réunion qui, en raison de son objet et de la qualité des organisateurs, nécessiterait leur présence. Ils n'auront pas, en pareil cas, à solliciter de vous des instructions préalables qui, le plus souvent, ne leur parviendraient pas en temps utile ».

L'avenir nous dira si les réunions, qui, avec la loi de 1881, s'efforçaient de demeurer secrètes et d'échapper au contrôle de l'autorité, seront mieux ou moins bien surveillées sous le nouveau régime. Mais dès maintenant on peut affirmer que celles qui ne redoutaient pas la déclaration préalable, n'ont rien perdu de leur liberté antérieure et ont gagné cette possibilité légale de ne plus être retardées par l'obligation de respecter un délai relativement long, et en fait le plus souvent inutile.

A. MOREL.

Professeur agrégé de droit public

à la Faculté de Droit de l'Université de Lille.

CHRONIQUE CONSTITUTIONNELLE DE FRANCE

De la provocation par les ministres du culte à la résistance et a l'insurrection contre les lois.

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A propos de l'affaire Jouin:

Trib. corr. de la Seine, 9 ch., 13 avril 1907.

SOMMAIRE. I. La législation sur les cultes; des restrictions apportées, en considération du prestige permanent de l'Eglise et dans un intérêt de haute politique, au régime de séparation absolue; caractère dérogatoire au droit commun des art. 31 et suiv. L. 9 déc. 1905. - II. Précédents à l'affaire Jouin. Base donnée aux poursuites. Questions de droit pénal et de droit public pur engagées dans le procès. III. Discussion du jugement: A. De la notion pénale du délit de provocation; comment elle paraît avoir été faussée par un abandon de principes coutumiers. B. La question du droit de résistance et de ses manifestations; comment elle a été négligée par les juges, et en quelle mesure elle se pouvait agiter en l'espèce.

Le temps où fut élaborée la loi de séparation des Eglises et de l'Etat est assez proche pour que chacun se souvienne des termes et que beaucoup veuillent juger de l'issue des prévisions faites en cette circonstance. De l'échec de certaines, il ne sera question ici que pour y prendre le prétexte d'une opposition. Des associations cultuelles avaient été prévues, appelées à recevoir les biens des établissements publics du culte existant et assurer dans l'avenir le service régulier dudit culte ; à tort ou à raison, le pape n'en voulut point autoriser la constitution; la possibilité des réunions publiques cultuelles tenues sous les conditions de la loi du 30 juin 1881 a donc été agitée comme régime de droit commun, alors que, sans cette résistance pontificale, on l'eût à peine imaginée pour les régions reculées et pauvres où le défaut de ressources aurait, au mieux, réduit les cérémonies à des missions (1); et voici que

(1) Cf. sur cette idée que dans bien des cantons, et dans les régions montagneuses par exemple, les populations auraient dù renoncer aux associa

la loi du 28-29 mars 1907, parachevant la fin déjà voulue par la loi du 2 janvier précédent (1), vient de dépasser l'œuvre de 1881 en sacrifiant les réglementations bénignes et, somme toute, constitutives de <«< garanties aussi bien pour les citoyens que pour le gouvernement (2) » : en supprimant la formalité de la déclaration préalable pour toutes «< les réunions publiques, quel qu'en soit l'objet », elle a atteint au maximum législatif de libéralisme en la matière (2). Où est la raison de cette évolution ?

Est-ce la volonté de développer le caractère de loi de liberté auquel prétendit dès l'abord la loi de 1905 ? Est-ce l'intelligence de ce double phénomène qu'il est dans la destinée des lois de liberté de s'appliquer progressivement à des hypothèses imprévues de leurs auteurs, et qu'en particulier les réunions publiques ne pouvaient avoir pour seuls et éternels objets des conférences et des discussions? Est-ce la nécessité inéluctable, même au lendemain d'un régime de séparation absolue entre l'Etat et les différents cultes, de compter encore avec l'Eglise catholique, soit à raison de sa force morale d'autant plus considérable que, de moins en moins, dans l'avenir, on réussira à faire valoir ladite Eglise en ce monde comme un système de droit « et à la faire régner comme une puissance », soit à cause de son caractère de grande collectivité internationale puissamment hiérarchisée, lequel persiste en toute son intégrité, tandis que des atteintes répétées adviennent à la situation diplomatique? Est-ce toute autre cause se rattachant à la période de transition? Il n'importe point de le rechercher ; il suffit de constater un résultat législatif auquel nul ne songeait en 1905: les esprits étaient alors tournés vers d'autres éventualités; les préoccupations étaient relatives aux troubles redoutés, pour les premières années, de la loi de sépa

tions cultuelles, faute de pouvoir assumer les frais de réparation des églises ou la charge du traitement des desservants, HAURIOU, Principes de la loi du 9 déc. 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, 1906, p. 30, lequel ajoute, avec beaucoup de raison : « Des paroisses disparaîtront, et la continuité du culte cessera en bien des endroits. Dans ces régions-là, les évêques seront bien obligés d'organiser des missions; il n'est pas à supposer qu'on ait eu la pensée de les empêcher de subvenir par ce moyen au besoin religieux des populations, et voulu priver celles-ci de tout culte ». Rpr. sur les dangers, de non-application et d'application, de la loi, BERTHÉLEMY, Tr. élém. de dr. admin., 4° éd., 1906, p. 278-280.

(1) V. le rapport de M. FLANDIN, à la Chambre des députés, le 24 janvier 1900, J. O., Doc. parl., p. 78. Cf. sur la répercussion de la deuxième loi sur la première, SIR., Lois annotées, 1907, p. 333, 334, notes 1 bis, 5, 7, et dans cette Revue, suprà, p. 102 et s., et p. 266 et s.

(2) DUGUIT, Manuel de droit constitutionnel, 1907, § 84, p. 559.

ration, le but avoué par le rapporteur était d'armer le gouvernement de ressources extraordinaires empruntées, non au droit commun, mais à une loi d'exception, sinon même à une de ces lois de circonstance destinées à disparaître dès que la nécessité est moins grande des acquittements difficiles et des condamnations certaines ; et on donnait nettement les raisons de l'aggravation délibérément apportée à une législation déjà traditionnelle. « L'autorité morale dont jouit le prêtre, autorité que nous ne contestons pas, disait M. Briand (1), donne à ses paroles une force de pénétration toute particulière. Or, cette autorité ne tient pas seulement au caractère religieux de la fonction ecclésiastique; pour une large part, elle est faite aussi du caractère officiel qu'a revêtu cette fonc tion en régime concordataire. Depuis plus de cent ans dans le pays, on est habitué à voir dans le prêtre, non pas un simple citoyen, mais une sorte de fonctionnaire particulièrement honoré. La loi de séparation n'aura pas pour effet de le dépouiller instantanément de cette part d'influence qu'il tenait de l'Etat... Il est donc indispensable que des précautions soient prises contre l'abus qu'il peut faire de cette autorité morale ».

Bref, en considération de ce prestige permanent de l'Eglise, et dans un intérêt de haute politique, une restriction est apportée au disestablishment édicté comme droit nouveau privée du caractère public et gouvernemental qui était le sien, et de la protection spéciale qu'au temps de la situation concordataire lui valait la convention diplomatique juxtaposée à la loi, l'organisation catholique devenue autonome ne bénéficie guère, sous le rapport de la police, que de la disparition du recours pour abus (2); et la règle commune que les fonc

(1) Ch. des dép., 2° séance du 29 juin 1905, J. O., Déb. parl., p. 2596. L'idée de retenir cette autorité morale n'est point d'hier, ni caractéristique des législateurs modernes on lit, dans le livre de M. Paul Allard, Hist. des persécutions pendant la première moitié du siècle, Paris, Lecoffre, 1886, p. 135, que Maximin (en 235) se rendit compte que l'Eglise n'était pas une corporation comme une autre, et qu'elle avait, par la parole, par l'enseignement, une force d'expansion dont un pouvoir jaloux pouvait prendre ombrage ».

(2) Cons. d'Etat, 19 janvier 1906, Verger, Rec., p. 1000. HAURIOU (Précis de dr. admin., p. 865): cette disparition résulte de l'abrogation des articles organiques de l'an X, par lesquels le recours pour abus était consacré, Cf. BERTHÉLEMY, op. cit., p. 246, 251. Ainsi les atteintes à l'exercice public du culte résultant des actes des autorités administratives relèveront, dorénavant, dit justement M. H., p. 24, du Conseil d'Etat par le recours pour excès de pouvoir; à quoi « les requérants gagneront de voir la compétence de la

tions ecclésiastiques tout entières légalement ignorées de l'Etat retombent dans l'obscurité des fonctions privées » ne devait point sortir son entier effet. Le rapporteur dit, en une formule très crâne ou sybilline suivant qu'elle déclare le fait ou offre une explication : « La situation dont jouiront les ministres du culte, même en régime de séparation, constituera elle-même une dérogation au droit commun; la loi les protège d'une manière toute particulière et leur fait ainsi, pour l'exercice de leur ministère, une situation privilégiée» (1); et les articles 31 et suiv. de la loi du 9 décembre 1905 les rendent, pour certains actes ou quelques entreprises, diffamation envers les particuliers, ou provocation à la rébellion même non suivie d'effet, justiciables des tribunaux correctionnels. A pareille disposition ne peut convenir qu'un jugement complexe.

Comme l'observait fort bien M. Ribot (2), « désormais on pourra parler avec la dernière violence, même dans une église, des lois, de la Chambre des députés, du gouvernement dans son ensemble ». Nul genre ne serait, d'ailleurs, quant au lieu, plus déplacé et, quant à lui-même, plus distant de cette loi du juste milieu que Pascal (Pensées, art. I, éd. Havet, 1, 5) retrouvait dans l'ordre physique ou esthétique, et qui régit aussi le domaine de la moralité ou le domaine intellectuel : à la majesté des temples ne conviennent, ni les affirmations outrées, ni les` censures violentes, ni les retentissements intempestifs contre « la perversité des impies » ; et, de même qu'elle risque de périr par défaut de force et sous les directions modérantistes de la peur, la « vertu » est menacée de mourir par défaut de sagesse et sous l'outrance de la vie. - Dans ces conditions, tolérer la critique ou la censure, par un ministre du culte, du gouvernement ou d'un acte quelconque des gouvernants, était une innovation heureuse et nécessaire à l'encontre de l'art. 201 du Code pénal (3); maintenir, à l'inverse, comme l'a fait la

section du contentieux, c'est à-dire d'une véritable juridiction, substituée à celle de l'assemblée administrative du Conseil d'Etat.

(1 et 2) Ch. des dép., même séance, ibid., p. 2596, 2597.

(3) La simple critique du gouvernement, d'une loi ou d'un acte de l'autorité publique, qui était réprimée par l'art. 201 C. pén., ne constitue plus désormais une infraction pénale: un arrêt de Grenoble, ch. corr., 1er juillet 1904, condamnant un prêtre pour avoir « dit, dans l'exercice de son ministère de curé, que l'école n'était pas obligatoire, qu'elle était sans morale ou qu'on n'y enseignait pas la morale », a été cassé comme « manquant de base légale », Crim. cass., 24 novembre 1905, Vernet, Dall., 1906, 1, 304. Cf. REVILLE et ARMBRUSTER, Le régime des cultes, 1906, n. 234, p. 222.

REVUE DU DROIT PUBLIC. - T. XXV

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