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Ce n'est

pas

seulement en droit civil qu'il est vrai de dire : caeca sine historia jurisprudentia; le dicton s'applique aussi, avec beaucoup plus de force, au droit public moderne. On trouvera donc bon de jeter un coup d'œil sur l'évolution qu'a suivie jusqu'à nos jours le droit électoral en Autriche, afin de comprendre l'étendue de la transformation que vient de subir l'organisation constitutionnelle de l'Empire; ce changement décidera sans doute, dans un avenir plus ou moins rapproché, des destinées politiques de la monarchie des Habsbourg.

I

Les premiers essais de réforme et de codification du droit public de l'Autriche dans le sens du constitutionnalisme de l'Europe occidentale et de l'Allemagne du Sud firent apparaître aussitôt les difficultés spécifiques qui s'opposent à une tentative de ce genre dans un Etat dont la structure révèle, aujourd'hui encore, ses origines, et qui est le produit de fragments diffèrant les uns des autres par leur histoire aussi bien que par leur culture nationale et économique.

Le projet de créer une représentation parlementaire de l'Empire devait nécessairement exercer une actio finium regundorum sur les Etats qui s'étaient maintenus inégaux quant à leur compétence légale et quant à leur importance politique — dans les différentes parties de la monarchie. On comprend facilement que la question de la

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sphère d'action devait influer sur la composition des différents corps représentatifs.

La Patente promulguée le 15 mars 1848 par l'Empereur Ferdinand, sous la pression et sous l'impression du contre-coup de la révolution de février dans ses pays héréditaires, promettait une « Constitution de la patrie qui serait fixée par des députés des Etats des provinces allemandes et slaves ainsi que des congrégations centrales constituées par l'Empereur François Ier en 1815 dans la Lombardie et la Vénétie.

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Mais, cette proclamation faite, on décida aussitôt de ne pas laisser délibérer des représentants du peuple sur une Constitution nouvelle. On crut remplir la promesse impériale, en octroyant la loi fondamentele du 25 avril 1848, ou « Constitution Pillerstorff », du nom de son auteur principal, alors ministre de l'intérieur.

Cette Constitution mérite d'être signalée; d'abord, elle proclame, pour la première fois, le principe de l'unité pour les pays de l'Ouest de la monarchie, la Galicie comprise -, en leur donnant le nom d'Autriche; ensuite, elle exprime l'idée d'une configuration dualiste de la monarchie, en excluant de son application la Hongrie, laquelle garde son gouvernement propre et sa diète particulière.

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D'après cette Constitution, l'Empereur exerce le pouvoir législatif avec le concours d'un Reichstag composé de deux Chambres le Sénat et la Chambre des députés. Le premier est formé, en partie par nomination, en partie par élection. En dehors des princes de la maison impériale et des membres à vie nommés par le monarque, sont sénateurs 150 personnes élues pour cinq ans par les propriétaires fonciers les plus riches. Les 383 membres de la Chambre des députés sont élus << d'après le nombre de la population et la représentation de tous les intérêts civiques », et cela, pour la première session du Reichstag, conformément à l'ordonnance électorale provisoire du 9 mai 1848.

Etaient électeurs pour le Sénat les individus majeurs, propriétaires fonciers les plus imposés, dont les contributions différaient cependant selon les provinces. Pour être éligible au Sénat, il fallait être électeur et avoir atteint l'âge de 30 ans accomplis.

Pour la Chambre des députés, le suffrage indirect était ordonné dans deux curies: l'une, la curie des chefs-lieux de provinces et de districts, avec 54 mandats; et l'autre, la curie des campagnes. Chaque circonscription électorale envoyait un membre à la Chambre des députés ; c'était, en moyenne, un mandat par 50.000 habitants. Etait électeur dans les deux classes tout citoyen majeur et indépendant, résidant depuis six mois dans la circonscription. Etait éligible celui qui avait la capacité électorale et l'âge de 30 ans accomplis.

Ce système indique la tendance que l'on avait de paralyser, par l'introduction du suffrage indirect, les effets éventuels d'un élargissement du suffrage politique.

On sait que c'est un héritage de la pensée démocratique, depuis la Révolution française, de se méfier du système bicaméral. C'est par cette répugnance contre tout trait optimate dans la représentation nationale résistance fortifiée en 1848 par les événements de France,

qu'il

faut expliquer la proclamation impériale du 16 mai 1848 qui convoqua une chambre unique pour établir une Constitution.

Quant aux élections pour cette Constituante, une ordonnance du 30 mai supprima tout cens, abaissa l'âge requis pour l'éligibilité de 30 à 24 ans et reconnut la qualité d'électeurs à tous les citoyens indépendants, résidant dans une circonscription quelconque et qui avaient l'âge de 24 ans accomplis. Donc, les ouvriers jouissaient également de l'électorat; il était refusé seulement à la classe des domestiques et à ceux qui étaient à la charge de l'assistance publique. On voit que l'introduction du suffrage universel coïncide presque avec la naissance du système constitutionnel en Autriche. Ce qui donna surtout l'impulsion à cet élargissement du droit électoral, ce fut le mouvement de réforme qui, en France, dès 1840, en particulier par la bouche de Louis Blanc, avait tendu à l'extension de la qualité de citoyen actif, et dont le décret du 5 mars 1848 avait réalisé le but.

Notons aussi qu'en Autriche comme ailleurs les députés à l'Assemblée Nationale de Francfort furent élus par le suffrage universel en vertu d'un arrêté de la Diète germanique. Cette connexion est aussi relevée dans une pétition des étudiants, portant entre autres la signature de M. Joseph Unger, jurisconsulte si célèbre dans la suite, et qui déclare que le peuple ne pourrait se fier à une représentation élue sur la base censitaire, étant donné qu'il avait nommé sans cens ses députés à l'Assemblée Nationale de Francfort. Cet exemple eut pour effet que, en même temps, le ministère prussien soumit à la diète réunie un projet de loi qui faisait entrevoir un électorat très étendu pour la future Constituante du royaume, projet que la diète amenda encore dans le sens démocratique.

Ce fut aussi le modèle fourni par les élections au Parlement de Francfort qui fit adopter, en 1848, le suffrage indirect pour la Constituante

autrichienne.

Cette Constituante, qui siégea d'abord à Vienne, puis continua ses délibérations, après des émeutes sanglantes, à Kremsier, ville épiscopale en Moravie, confia à une commission de 30 membres le soin de

REVUE DU DROIT PUBLIC. - T. XXV

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préparer une loi fondamentale ; à son tour, la commission chargea un comité des cinq de l'élaboration d'un plan de Constitution.

Aux termes du projet qui fut rédigé, l'Empereur devait exercer le pouvoir législatif central en commun avec un Reichstag ; ce dernier se composait de deux assemblées : la Chambre des provinces et celle du peuple. Les députés à cette dernière assemblée devaient être élus par les citoyens en ayant le droit selon la loi électorale, en raison du chiffre de la population et en considération de tous les intérêts civiques. Il devait y avoir un siège législatif par 100.000 habitants au plus. Etait éligible tout citoyen majeur de 30 ans, jouissant de la plénitude de l'exercice des droits civils et politiques, résidant en Autriche depuis une année au moins.

La Chambre des provinces, en faisant apparaître le principe fédératif, dépendait essentiellement des élections des diètes provinciales et de cercles.

Le projet dont nous venons de parler fut modifié sur quelques points assez importants par les décisions définitives de la commission. D'après le projet arrêté par cette commission, la Chambre du peuple devait compter 360 députés, dont 80 élus par les communes considérables. L'âge de l'électorat était fixé à 24 ans : le projet exigeait, en outre, un cens de contribution directe dont le minimum ne devait pas s'élever au-dessus de la somme de 10 couronnes 20 hellers en monnaie courante. La relation logique entre le cens électoral et le suffrage direct y apparaît encore; les élections ne devaient pas se faire par des électeurs du second degré, mais directement à la majorité relative, celle-ci étant au moins égale au quart des suffrages; ceci devait, dans une certaine mesure, assurer la protection des minorités, si nécessaire, en particulier, en Autriche.

De même, on tenait compte des minorités, en ordonnant que chaque circonscription électorale nommerait 2 députés au moins et 3 députés au plus. La limite d'âge pour l'éligibilité était fixée à 28 ans, celle des membres de la Chambre des provinces que la commission de Constitution transformait en chambre purement élective — à 33 ans.

Ce système électoral, qui ne tenait compte ni des classes sociales ni de la différence de culture et d'intelligence, repose sur l'idée fixe du radicalisme doctrinaire de cette époque, à savoir qu'une représentation du peuple devait se former exclusivement en raison du nombre des habi

tants.

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Les débats de la commission, dont feu le professeur Springer a publié, il y a quelques années, les procès-verbaux sont très instructifs et très importants pour l'évolution ultérieure ; on y discuta la plu

part des questions de principe que soulève le problème de la législation électorale.

Ainsi on discuta la question de savoir si telle disposition rentrerait dans la loi fondamentale ou dans la loi électorale, question dont nous aurons à constater l'actualité dans le récent mouvement de réforme. Dès cette époque, apparaissent nettement les grandes différences entre les intérêts urbains et ruraux, entre le critérium de l'intelligence et celui de la population, entre le suffrage universel et l'électorat restreint. Mais ce qui est de la plus haute importance, c'est que, dans ces débats, apparait le grand principe de la représentation des intérêts, qui jusqu'à ces derniers temps a été déterminant pour la composition du Reichsrat autrichien, et en application duquel, après comme avant, sont formées les diètes provinciales.

On ne comprend pas pourquoi M. Charles François, dans son étude, - excellente, du reste sur la représentation des intérêts dans les corps élus, passe sous silence l'état de choses qui existait en Autriche; cela lui aurait fourni d'abondants matériaux d'observation et d'induction pour la théorie et la pratique de son idée favorite.

Le projet de loi fondamentale proposé à la Constituante de Kremsier resta sur le papier; le Reichstag fut dissous avant d'en avoir achevé la discussion. Le jegne empereur François-Joseph se décida à donner une Constitution, de sa pleine autorité, à tous ses pays, cela veut dire aussi aux territoires de la Couronne de Saint-Etienne et de la Couronne de fer, pour faire entrer la monarchie entière des Habsbourg constitutionnellement organisée dans la Confédération germanique. Pour comprendre les derniers changements survenus dans le droit public autrichien, il est indispensable de savoir que, dès l'avènement de François-Joseph, des considérations de politique extérieure ont joué un rôle considérable quant au développement de l'organisation intérieure, La Constitution de l'« Empire un et indivisible d'Autriche », que le jeune monarque proclama le 4 mars 1849 dans l'intention formelle de mettre fin à la révolution et d'amener la renaissance de l'Autriche unie, -institua un Reichstag composé de deux assemblées électives. La Chambre haute se composait de députés élus par les diètes provinciales; la Chambre basse provenait des élections directes, sur la base d'une capacité électorale attachée ordinairement à un cens assez élevé, mais que la loi accordait aussi, indépendamment de toute contribution, à ceux qui étaient électeurs dans une commune autrichienne à raison de leur condition personnelle, en particulier à raison de leur métier ou de leur degré d'instruction.

Remarquons que cette Constitution, en abandonnant le principe de

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