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tier de la colonie de Mayotte et des protectorats français d'Anjouan, Mohéli et de la Grande Comore;

3o Un décret du 22 octobre 1906 portant réglementation de la main-d'œuvre dans la colonie de Mayotte et dépendances. La Société française et M. Humblot ont déféré ces trois décrets au Conseil d'Etat par trois recours.

L'arrêt Humblot du 5 juillet 1907 statue seulement sur le recours formé contre le décret du 21 avril 1905, réglementant le régime forestier; mais les questions que soulèvent les autres recours sont les mêmes.

Dans sa requête, M. Humblot soutient que le décret du 21 avril 1905 est nul, pour les deux raisons suivantes :

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1° « La Grande Comore étant un pays de protectorat, le président de la République n'y peut exercer le pouvoir législatif que lui confère sur les Colonies l'art. 28 du sénatus-consulte du 3 mai 1854 ».

2o En admettant que le chef de l'Etat soit compétent, il ne pouvait réglementer le régime forestier sans tenir compte des droits conférés au requérant et à sa société tant par le traité du 5 novembre 1885 passé avec le Sultan Saïd-Ali que par la convention passée le 9 avril 1897 avec le Ministre des colonies. Le décret attaqué viole ces droits en subordonnant à une autorisation discrétionnaire du Gouvernement l'exécution de tout défrichement; en érigeant en délit de défrichement toute coupe abusive, sans définir à quelles conditions une coupe sera abusive; en interdisant d'une manière générale et absolue les cultures sous bois ayant un caractère permanent, alors que les caféiers, les cacaoyers et les lianes de vanille ne peuvent être cultivés que sous bois; en autorisant les indigènes à couper dans la forêt du requérant le bois nécessaire à la construction de leurs cases et de leurs pirogues, à y cueillir du poivre, à y récolter du miel et de la cire, à Ꭹ chasser et à y faire paître leurs bestiaux. Ces mesures causent un grave préjudice à la Société en livrant le domaine qui lui a été concédé en toute propriété, à toute sorte de déprédations ›.

Le recours soulève trois questions de droit public:

1° Quelle est l'autorité compétente pour légiférer dans les pays de protectorat?

2o Dans quelle mesure l'exercice du pouvoir législatif peutil être entravé par l'existence de contrats antérieurs ?

3o Une indemnité peut-elle être mise à la charge du patrimoine de l'Etat pour les dommages résultant de l'exercice du pouvoir législatif?

Le Conseil d'Etat a refusé d'examiner ces difficultés en opposant son incompétence.

« Le Conseil d'Etat statuant au contentieux ;

Sur le rapport de la section du contentieux;

Vu la requête....

Vu le mémoire....

Vu le traité du 6 janvier 1886 approuvé par le décret du 12 juillet 1886 et le traité du 8 janvier 1892;

Vu les décrets des 23 janvier 1896, 6 juillet 1897 et 9 septembre 1899; Vu la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, art. 8;

Vu la loi du 24 mai 1872, art. 9;

Ouï M. Tardieu, maître des requêtes, en son rapport;

Ouï M. Chaudé, avocat du sieur Humblot, et Me Labbé, avocat du Ministre des Colonies, en leurs observations;

Ouï M. Saint-Paul, maître des requêtes, commissaire du Gouvernement, en ses conclusions.

Considérant que, pour demander l'annulation du décret attaqué, le requérant soutient : 1o qu'il n'appartient pas au président de la République d'exercer le pouvoir législatif dans un pays de protectorat; 20 que ce décret a méconnu les droits que le requérant tenait tant de la concession à lui faite par le Sultan de la Grande Comore le 5 novembre 1885 et confirmée par le traité de protectorat du 6 janvier 1886 que d'une convention passée, le 9 avril 1897, entre le ministre des colonies et le représentant à Paris de la Société de la Grande Comore;

Sur le premier moyen : Considérant que ce moyen implique l'examen du mode d'exercice des droits de souveraineté de la France sur la Grande Comore; que, dès lors, il soulève des questions étrangères au contentieux administratif dont il n'appartient pas au Conseil d'Etat de connaître ;

Sur le second moyen : Considérant que si le requérant se croit fondé à soutenir que le décret attaqué a porté atteinte aux droits qu'il tiendrait de contrats et lui a causé un préjudice, ce décret ne fait pas obstacle à ce que le requérant s'adresse à l'autorité compétente en vue d'obtenir telle répa ration que de droit, mais que ce moyen ne saurait être directement présenté au Conseil d'Etat par la voie du recours pour excès de pouvoir.

Décide :

Art. 1o. La requête du sieur Humblot est rejetée.

Art. 2.

des Colonies.

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre

II

Quelle est l'autorité compétente pour légiférer dans les pays de protectorat?

Les territoires soumis à la domination française sont : 1° le territoire métropolitain (France continentale et Corse); 2o les colonies proprement dites (Algérie, la Réunion, la Guadeloupe, Madagascar, etc.); 3° les possessions, pays de protectorat, pays tenus à bail; 4° les protectorats proprement dits (Tunisie, Madagascar avant l'annexion, Indo-Chine, etc.).

-

Les possessions et pays de protectorat sont dans une situation quelque peu indécise. Il n'existe pas de traité déterminant d'une manière précise les rapports respectifs de la France et des autorités locales. En fait, l'intervention des agents français est considérable; le plus souvent, elle ne se déguise même pas comme dans le protectorat proprement dit sous le voile d'une administration locale indigène assistée de conseils français. Elle est directe, tout au moins pour les matières essentielles. En particulier, pour la législation, le Président de la République légifère journellement pour les pays de protectorat. Est-ce légal ?

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D'après l'art. 1er § 1 de la loi du 25 février 1875, « le voir législatif s'exerce par le Sénat et la Chambre des députés ». Il est admis que les lois constitutionnelles de 1875 ne s'appliquent qu'à la métropole (1). Dès lors, la détermination, faite par la loi de 1875, de l'autorité compétente pour faire la loi ne vaut que pour la métropole.

Pour les colonies, il est incontesté que le régime législatif a sa base dans le sénatus-consulte du 3 mai 1854. D'après ce sénatus-consulte, il faut classer les colonies en deux groupes: 1° les anciennes colonies (Guadeloupe, Martinique et Réunion); 2o les autres colonies y compris l'Algérie. Pour les anciennes colonies, les lois sont faites tantôt par le Parlement (lois sur l'état des personnes, régime de la propriété, contrats, exercice des droits politiques, législation criminelle, recrutement de l'armée), soit par le Président de République. D'après l'art. 18 du sénatus-consulte de 1854, « les colonies

(1) DUGUIT, Droit Constitutionnel, 1907, p. 1013.

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autres que la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, sont régies par décrets... ». Tous ces points sont incontestés (1). Ceci posé, ce dernier régime est-il applicable aux «< possessions et pays de protectorat » ? C'est la question soulevée par M. Humblot dans l'affaire de la Grande Comore.

Le requérant soutient la négative; il en donne pour unique raison que le sénatus-consulte de 1854 ne s'applique pas aux « pays de protectorat ». Une affirmation n'est pas un argument. Il faut examiner la chose de plus près.

Dans son mémoire en défense, le Ministre des Colonies affirme que « le pouvoir législatif appartient au Président de la République dans les pays de protectorat soit en vertu de l'art. 18 du sénatus-consulte du 3 mai 1854, soit en vertu de l'art. 8 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875. En effet, en vertu de ce texte, le chef de l'Etat a une délégation générale pour ratifier et faire exécuter les traités autres que ceux énumérés au 2» (2).

D'après le Ministre des Colonies, le décret de 1905 sur le régime forestier ne serait qu'une mesure d'exécution du traité de protectorat. Les traités de protectorat n'ont pas besoin d'être ratifiés par les Chambres (3); à plus forte raison, les mesures d'exécution peuvent-elles être prises par le Président de la République seul.

La thèse du Ministre des Colonies paraît exacte; mais la deuxième partie de son argumentation ne me séduit pas. A mon avis, il faut se borner à invoquer, en faveur de la compétence du Président, le seul art. 18 du sénatus-consulte de 1854. Les lois constitutionnelles de 1875 ne s'appliquent qu'à la métropole. Tel est le principe. Les colonies et les « pays de protectorat »> ne sont pas régis par elles. Donc la compétence

(1) LAFERRIÈRE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 2e édit., II, p. 422; DUGUIT, op. cit., p. 1014 et s.

(2) Art. 8, 1. 16 juillet 1875: « Le Président de la République ratifie et négocie les traités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l'intérêt et la sécurité de l'Etat le permettent. Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger ne sont définitifs qu'après avoir été votés par les deux Chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi ».

(3) En ce sens. DUGUIT, op. cit., p. 1042.

législative exclusive du Parlement ne s'applique pas aux colonies et pays de protectorat ». Quant à l'art. 8 de la loi du 15 juillet 1875, il n'a rien à faire ici. Il s'agit non pas d'un traité, mais du décret de 1905 sur le régime forestier, c'està-dire d'un acte législatif fixant le régime juridique de la propriété forestière aux Comores.

Les lois de 1875 une fois écartées, l'art. 18 du sénatusconsulte me paraît suffisant pour servir de base au pouvoir législatif du Président dans les «possessions et pays de protectorat ». La tradition française est établie en ce sens que les possessions françaises autres que la métropole sont régies par décrets (1). Sans doute, l'art. 18 du sénatus-consulte de 1854 ne parle que des colonies; mais cela s'explique facilement. En 1854, les possessions extra-continentales de la France ne présentaient pas la variété qu'elles ont aujourd'hui. Il n'existait pas encore ces formes multiples de colonies, que l'on appelle, en termes vagues et variés : possessions, pays de protectorats, hinterlands, etc. Mais, en pratique, on ne s'y trompe pas. Les lois mettent sur la même ligne les colonies et les pays de protectorat ». Pour ne prendre qu'un exemple, la loi du 21 mars 1905 sur le recrutement de l'armée, art. 37 et 90, déclare: Art. 37 : « Sont affectés aux troupes coloniales: 1o les jeunes gens provenant des contingents des colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, la Guyane et la Réunion, et les Français astreints au service militaire dans les colonies et pays de protectorat visés à l'art. 9o.... » — Art. 90: « Elles (les dispositions de la présente loi) sont également applicables dans les autres colonies et pays de protectorat ... ». En somme, il faut interpréter l'art. 18 du sénatus-consulte du 3 mai 1854 de la

manière suivante : « Les colonies, possessions et pays de protectorat autres que la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, seront régies par décrets..... ».

III

Dans quelle mesure l'exercice du pouvoir législatif peut-il être entravé par l'existence de contrats antérieurs?

Dans l'espèce soumise au Conseil d'Etat, M. Humblot affirme que le Décret de 1905 sur le régime forestier devait, à (1) DUGUIT, op. cit., p. 1013 et 1014.

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