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considérée comme illicite, et les tribunaux seront-ils admis à en prononcer la dissolution en vertu de l'article 7 de la loi de 1901 ?

Rappelons que cette dissolution, bien que prononcée par le tribunal civil, a un caractère pénal qui ne saurait être nié. Or, tout, en matière pénale, est de droit strict. Une disposition formulée pour un cas ne peut être étendue à un autre. Quel est donc le cas que vise l'article 3 et que sanctionne l'article 7: c'est celui d'une association fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite. Les tribunaux ne sauraient donc étendre les dispositions de ces articles aux associations qui, formées dans un but licite, mensonger ou sincère, auraient dévié de ce but primitif, afin de poursuivre un objet illicite. Il résulterait donc de la stricte application des principes à l'interprétation de la loi de 1901 que les groupements illicites pourraient échapper à la sanction de la loi en dissimulant, au moment de leur fondation, leur véritable but sous les apparences de la légalité, et dans la suite se livrer impunément, en tant que collectivités, aux plus graves désordres.

C'est pour éviter ces abus que M. Béranger (1) avait déposé un amendement dans lequel il proposait de déclarer: « L'association sera dissoute si elle a changé d'objet et si son objet est devenu contraire à la loi ».

Mais cet amendement fut repoussé comme inutile, sur l'intervention du rapporteur, M. Vallé, et du président du Conseil, M. Waldeck-Rousseau. « La commission pense, dit le rapporteur, que le projet donne satisfaction à cette pensée. Voilà une association qui se constitue dans un but licite, qui ne met en péril aucun intérêt social, et qui, tout d'un coup, modifie son objet, et, par cette transformation subite, devient une association illicite; il est clair que le tribunal mis en face de cette association nouvelle devra en prononcer la dissolution ». M. Vallé affirma que les tribunaux ne s'en tiennent pas judaïquement à la lettre de la loi; le président du Conseil qu'ils ne s'en tiennent jamais à l'étiquette; que le tribunal ne se contentera pas de regarder quel est le titre de l'association, qu'il examinera quel est son objet. Et l'amendement de M. Béranger fut repoussé.

L'intention du législateur étant donc parfaitement claire : les associations fondées dans un but licite et qui se livreraient régulièrement à un mode d'activité tel que leur objet pourrait paraître modifié dans un sens illicite, pourraient être l'objet d'un jugement de dissolution.

Le doute n'en demeure pas moins permis. On peut se demander en

(1) Séance du Sénat du 17 juin 1901, Journ, off., Déb. parl,, Sén., p. 910.

effet si, en matière pénale, un texte ne doit pas être pris isolément avec le sens que lui donnent les termes dans lesquels il est rédigé, et non avec le sens qu'ont prétendu lui attribuer, contrairement à toute analyse logique et grammaticale, certains membres des assemblées législatives. Et comme le doute doit toujours être résolu dans le sens favorable à l'accusé ou à la liberté, on peut, en l'état actuel des choses, soutenir qu'une association fondée dans un but licite et qui dévie de ce but ne peut pas être l'objet d'un jugement de dissolution.

Mais il va sans dire que la déclaration d'un but licite au moment de la fondation de l'association doit être sincère. Sinon, l'article 3 serait absolument dépourvu de sanction. Un cercle fondé pour offrir à tout venant de jouer aux jeux de hasard n'est pas licite par le fait que dans ses statuts il avoue mensongèrement un objet artistique, sportif ou littéraire. La loi n'exige pas pour la validité de l'association qu'elle déclare un objet licite, mais qu'elle ait un objet licite c'est en ce sens que les tribunaux ne doivent pas s'en tenir à l'étiquette. Mais cet examen des tendances des fondateurs d'une association est des plus délicats, et l'on comprend que le gouvernement ait hésité à inviter les tribunaux à y procéder au sujet de la C. G. T, comme il pouvait le faire.

Devait-il le faire ? C'est une autre question. M. Vallé, rapporteur de la loi de 1901, disait : «En face d'une association contraire aux lois, il y a obligation de la dissoudre; en face d'une association qui n'a pas accompli toutes les formalités prescrites par l'article 5, il y a faculté de dissolution

(1).

L'honorable rapporteur n'entendait sans doute pas énoncer une proposition strictement juridique. Il entendait indiquer cette vérité simplement politique qu'une infraction à une règle de forme n'est pas par elle-même grave, et que le gouvernement ne devra qu'exceptionnellement demander la dissolution d'une association pour une faute aussi vénielle. Mais il n'entendait certainement pas dire que le gouvernement, en présence d'une association illicite, serait privé de cette faculté d'apprécier les circonstances, sur laquelle nous avons à plusieurs reprises, insisté. Comment le gouvernement a-t-il usé de cette faculté ? C'est une question qui sort du cadre de nos recherches.

Les journaux du centre et de droite réclamaient contre la révolution, incarnée par la C. G. T., des mesures de préservation sociale. Le gouvernement avait le droit de penser que ce n'est pas par quelques mesqui

(1) Séance du Sénat du 17 juin 1901. Journ. off., Déb. parl., Sén.,

P. 910.

nes poursuites disciplinaires ou par des mesures de police accidentelles que l'on combat la révolution, mais bien par toute une politique de courage et de raison.

JOSEPH BARTHÉLEMY, Professeur agrégé de droit public à l'Université de Montpellier.

SOMMAIRE.

CHRONIQUE ADMINISTRATIVE

$1.

Les démissions des municipalités du Midi et le droit public. § 2. Décrets sur la situation juridique des comptables publics et de leurs employés : recrutement, avancement, discipline.

$ 1.

SOMMAIRE.

Les démissions des municipalités du Midi
en juin 1907 et le droit public.

I. Les faits. II. Les démissions des maires et des conseils municipaux. III. Les poursuites contre les maires. - IV. Comment la crise administrative du Midi rappelle l'attention sur la question du recrutement des maires et adjoints

On sait comment, à la suite de la crise viticole qui y sévit depuis plusieurs années, s'est développé dans certains départements du Sud de la France, durant les mois de mai et de juin 1907 principalement, un mouvement d'une exceptionnelle gravité. A tort ou à raison, les viticulteurs de l'Aude, de l'Hérault,du Gard et des Pyrénées-Orientales, très éprouvés par la mévente des vins, ont considéré que la principale cause de celle-ci résidait dans le développement de la fraude. Une législation contre les fraudeurs, et, en tous cas, l'abrogation de la loi du 28 janvier 1903 sur le sucrage leur ont paru indispensables et ils ont entendu amener le gouvernement à intervenir (1). Dirigé par le comité momentanément célèbre d'Argelliers, inspiré par MM. Marcelin Albert et Ferroul, le mouvement fut d'abord pacifique. Il consistait dans des meetings qui, depuis le milieu de mars jusqu'au 9 juin, réunirent, sinon avec l'approbation, tout au moins avec la neutralité bienveillante de l'administration (2), un nombre de plus en plus considérable de manifestants (3). Cependant, dès le 12 mai, le mouvement prenait une

(1) Sur les causes économiques de la crise. V. les articles de MM. Périer (Revue Politique et Parlementaire, 1907, t. LIII, p. 53). White et Levasseur (Revue Pol. et Parl. 1907, t. LIII, p. 313). Bonnaud (Journal des Economistes, 15 octobre 1907).

(2) Il semble notamment qu'au début des permissions aient été accordées aux soldats de manière à leur permettre de prendre part aux manifestations.

(3) On pourra consulter les chiffres montrant cette augmentation croissante dans les mémoires que M. Marcelin Albert a publiés dans le journal l'Eveil Démocratique; v. notamment le n° du 1er septembre 1907.

allure nouvelle. Ce jour-là en effet, à la manifestation de Béziers était proclamé, sur l'initiative du docteur Ferroul, l'ultimatum du 9 juin, Les manifestants s'engageaient à proclamer à cette date la grève de l'impôt et la démission collective des municipalités si satisfaction ne leur était pas encore donnée (1). Aucune solution n'étant intervenue au 9 juin, le lendemain 10, conformément à l'engagement pris, M. Ferroul, maire de Narbonne, et son conseil municipal démissionnèrent. Le comité d'Argelliers intervint d'ailleurs également, et, par une note du même jour, déclara que depuis le 10 les fédérés n'avaient plus à payer l'impôt. Il était en outre rappelé que, dans un délai de trois jours expirant le 12 à minuit, les maires, adjoints et conseils municipaux des communes fédérées devaient adresser, par lettre recommandée, leur démission collective au préfet. La note ajoutait enfin que ce que l'on entendait interrompre de la sorte c'étaient seulement les relations des communes fédérées avec le pouvoir central, que pour le reste les commissions administratives nommées par le préfet et composées de fonctionnaires pourraient assurer la tenue des registres de l'état civil, les questions urgentes devant être solutionnées par le comité d'Argelliers (2).

En fait, l'exemple du maire de Narbonne fut suivi immédiatement et les démissions se multiplièrent. On en comptait 508 au 17 juin. Par ailleurs, un certain nombre des maires démissionnaires arrêtèrent également les services municipaux, et les préfets, sur les instructions du président du Conseil, ne nommèrent point de commissions administratives pour suppléer les démissionnaires. Des difficultés se produisi❤ rent immédiatement, car la vie municipale se trouva en réalité interrompue dans un certain nombre de communes (3). L'intervention du gouvernement, qui ne se manifesta d'abord que par l'envoi d'une circu

(1) V. mémoires de Marcelin Albert. Eveil Démocratique du 1or septembre 1907.

(2) Cette note a été reproduite dans le Journal des Débats du 12 juin 1907.

(3) Les difficultés provinrent surtout de la suspension de l'état civil. A Montpellier, à Agde, à Narbonne, des mariages restèrent en suspens. On sait comment certaines personnes, dans l'impossibilité de faire célébrer leur mariage à la mairie, se décidèrent même à se faire marier religieusement sans plus attendre, et comment certains ecclésiastiques procédèrent ainsi au mariage. Par ailleurs, dans d'autres communes, des difficultés provinrent de ce qu'il était impossible d'obtenir des permis d'inhumer (V, Journal des Débats, des 14, 15, 16 juin). Il faut ajouter que, dans quelques localités, le service de l'état civil semble avoir continué de fonctionner.

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