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LOVELACE.

MA DÉTENTION A LA PRÉFECTURE DE POLICE.
God save the King.

En revenant à travers ces incidences politiques à la littérature, reprenant celle-ci au commencement de la restauration de Charles II, sous lequel nous avons vu Milton mourir, une observation se présente d'abord.

Dans le combat que se livrèrent la royauté et le peuple, le principe républicain eut Milton pour son poète, le principe monarchique Lovelace pour son barde tirez de là la conséquence de l'énergie relative des deux principes.

Enfermé dans Gat-House à Westminster, sur un mandat des Communes, Lovelace composa une élégante et loyale chanson, long-temps redite par les Cavaliers.

« Quand, semblable à la linote, je suis renfermé, « je chante d'une voix plus perçante la mansuétude, << la douceur, la majesté et la gloire de mon roi. « Quand je proclame de toute ma force combien il est « bon, combien il est grand, les larges vents qui << roulent la mer ne sont pas aussi libres que moi.

<< Des murs de pierre ne font pas une prison, des << barreaux de fer une cage; un esprit innocent et <<< tranquille compose de tout cela une solitude. Si je << suis libre en mon amour, si dans mon ame je suis « libre, les anges seuls, qui prennent leur essor dans << les cieux, jouissent d'une liberté semblable à la << mienne. >>

Nobles et généreux sentimens! pourtant ils n'ont point fait vivre Lovelace, tandis que l'apologiste du meurtre de Charles Ier s'est placé à côté d'Homère. D'abord, Lovelace n'avait pas le génie de Milton; ensuite il appartenait par sa nature à des idées mortes. La fidélité est toujours admirable; mais les récentes générations conçoivent à peine ce dévouement à un individu, cette vertu resserrée dans les limites d'un système ou d'un attachement particulier; elles sont peu touchées de l'honneur, soit qu'elles manquent de cet honneur même, nécessaire pour le comprendre,

soit qu'elles n'aient de sympathie qu'avec l'humanité prise dans le sens général, ce qui, du reste, justifie toutes les lâchetés. Montrose n'était point un personnage de Plutarque, comme l'a dit le cardinal de Retz; c'était un de ces hommes restés d'un siècle qui finit dans un siècle qui commence; leurs anciennes vertus sont aussi belles que les vertus nouvelles, mais elles sont stériles: plantées dans un sol épuisé, les mœurs nationales ne les fécondent plus.

Le colonel Richard Lovelace, rempli de mille séductions, et dont peut-être Richardson emprunta le nom en souvenir de ses grâces, mourut abandonné dans l'obscurité et la misère.

Sans être jeune et beau comme le colonel Lovelace, j'ai été comme lui enfermé. Les gouvernemens qui depuis 1800 jusqu'à 1830 ont dominé la France, avaient usé de quelque ménagement envers le serviteur des muses: Bonaparte, que j'avais violemment attaqué dans le Mercure, eut envie de me tuer; il leva l'épée, et ne frappa pas.

Une généreuse et libérale administration toute lettrée, toute composée de poètes, d'écrivains, de rédacteurs de feuilles publiques, n'a pas fait tant de façon avec un vieux camarade.

<< Ma souricière un peu plus longue que large était

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haute de 7 à 8 pieds (1). La prose et les vers de mes devanciers, barbouillaient les cloisons tachées et nues. Un grabat à draps sales remplissait les trois quarts de ma loge; une planche supportée par deux tasseaux, placée à deux pieds au-dessus du lit contre le mur, ` servait d'armoire au linge, bottes et souliers des détenus. Une chaise, une table et un petit tonneau, meuble infame, composaient le reste de l'ameublement. Une fenêtre grillée s'ouvrait fort haut; j'étais obligé de monter sur la table pour respirer l'air et jouir de la lumière. A travers les barreaux de ma cage à voleur, je n'apercevais qu'une cour sombre, étroite, des bâtimens noirs autour desquels tremblotaient des chauve-souris. J'entendais le cliquetis des clés et des chaînes, le bruit des sergens de ville et des espions, le pas des soldats, le mouvement des armes, les cris, les rires, les chansons dévergondées des prisonniers mes voisins, les hurlemens de Benoît condamné à mort comme meurtrier de sa mère et de son obscène ami. Je distinguais ces mots de Benoît, entre les exclamations confuses de la peur et du repentir : « Ah! ma mère ! ma pauvre mère ! » Je voyais l'envers de la société, les plaies de l'humanité, les hideuses

(1) Mes Mémoires.

machines qui font mouvoir ce monde, si beau à regarder en face quand la toile est levée.

« Le Génie de mes grandeurs passées et de ma gloire âgée de trente ans ne m'apparut point; mais ma Muse d'autrefois, bien pauvre, bien ignorée, vint rayonnante m'embrasser par ma fenêtre : elle était charmée de mon gîte et tout inspirée; elle me retrouvait comme elle m'avait vu dans ma misère à Londres, lorsque les premiers songes de René flottaient dans ma tête. Qu'allions-nous faire, la Solitaire du Pinde et moi? Une chanson à l'instar de Lovelace? Sur qui? Sur un roi? non! La voix d'un prisonnier eût été de mauvais augure: c'est du pied des autels qu'il faut adresser des hymnes au malheur. Et puis il faudrait être un grand poète pour être écouté en disant:

O toi, de ma pitié profonde

Reçois l'hommage solennel,

Humble objet des regards du monde,
Privé du regard paternel!

Puisses-tu, né dans la souffrance,

Et de ta mère et de la France

Consoler la longue douleur (1)!

(1) V. Hugo, Odes et Ballades.

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