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que ces princes avaient essayé de lui ravir ses droits : il y avait de part et d'autre trop de ressentimens et trop d'offenses. Toute confiance réciproque étant détruite, on se regarda en silence pendant quelques années. Les générations qui avaient souffert ensemble, également fatiguées, consentirent à achever leurs jours ensemble; mais les générations nouvelles qui n'éprouvaient pas cette lassitude, ne nourrissant plus d'inimitiés, n'avaient pas besoin d'entrer dans ces compromis du malheur; elles revendiquèrent les fruits du sang et des larmes de leurs pères: il fallut dire adieu aux choses du passé.

Les écrivains ci-dessus nommés avaient tout ce qu'il fallait pour briller au bivouac d'une halte de nuit, entre le règne populaire de Cromwell et le règne des parlemens de Guillaume et de ses successeurs. La servile chambre des communes n'existait plus que pour tuer les hommes de liberté qui naguère avaient fait sa puissance; la monarchie, de son côté, laissait mourir ses plus dévoués serviteurs. Le peuple et le roi semblaient s'abandonner mutuellement pour faire place à l'aristocratie: l'échafaud de Charles Ior les séparait à jamais.

BUTLER. ÉCRIVAINS ABANDONNÉS.

Butler se présente en première ligne, comme témoin à charge dans le procès d'ingratitude intenté à la mémoire de Charles II: Charles savait par cœur les vers d'Hudibras, don Quichotte politique. Cette satire pleine de verve contre les personnages de la révolution, charmait une cour où se montraient la débauche de Rochester et la grâce de Grammont: le ridicule était une espèce de vengeance à l'usage des courtisans.

Lorsqu'on est placé à distance des faits, qu'on n'a pas vécu au milieu des factions et des factieux, on n'est frappé que du côté grave et douloureux des évènemens; il n'en est pas ainsi quand on a été soimême acteur ou spectateur compromis dans des scènes sanglantes.

Tacite, que la nature avait formé poète, eût peutêtre crayonné la satire de Pétrone, s'il eût siégé au

sénat de Néron; il peignit la tyrannie de ce prince, parce qu'il vécut après lui: Butler, doué d'un génie observateur, eût peut-être écrit l'histoire de Charles Ier s'il fût né sous la reine Anne; il se contenta de rimer Hudibras, parce qu'il avait vu les personnages de la révolution de Cromwell; il les avait vus toujours parlant d'indépendance, présenter leurs mains à toutes les chaînes, et après avoir immolé le père, se courber sous le joug du fils.

Cependant le sujet du poëme de Butler, de ce poëme auquel travailla le fils aîné du duc de Buckingham, n'est pas aussi heureux que celui de la satire Menippée. On se pouvait railler de la ligue malgré ses horreurs; les railleries dont elle était l'objet avaient des chances de durée, parce que la ligue n'était pas une révolution : elle n'était qu'une sédition dont le genre humain ne tirait aucun profit. Les hommes de cette longue sédition, L'Hospital excepté, ne furent grands qu'individuellement; ils ne jalonnèrent leur passage par aucune idée, aucun principe, aucune institution politique utile à la société. La ligue assassina Henri III, plus dévot qu'elle, et combattit Henri IV, qui la vainquit et l'acheta. Évanouie qu'elle fut, rien n'apparut derrière elle n'eut pour écho que la Fronde, misérable

brouillerie qui se perdit dans le plein pouvoir de Louis XIV.

Mais les troubles de 1649, en Angleterre, étaient d'une nature autrement grave; on n'assistait pas au duel de quelques princes ambitieux; la lutte existait entre le peuple et le roi, entre la république et la monarchie : le souverain fut jugé solennellement et mis à mort; le chef populaire qui le conduisit à l'échafaud et qui lui succéda n'était rien moins que Cromwell: Un homme s'est rencontré.

La dictature du peuple personnifié dans un tribun, dura neuf années : en se retirant elle emporta la monarchie absolue, et déposa dans l'industrie anglaise le germe de sa puissance, l'acte de navigation. Le contre-coup de la révolution de 1649 produisit la révolution de 1688, résultat immense.

Voilà pourquoi nous ne rions plus aux gausseries d'Hudibras, comme nous rions aux plaisanteries de la satire Menippée. Les conséquences des troubles du règne de Charles Ier se font encore sentir au monde ; les abominations de la Saint-Barthélemi, énormités de la corruption d'Henri III et de l'ambition des Guise, n'ont laissé que l'effroi de la mémoire de ces abominations et de ces énormités. Un auteur qui essaierait de faire un poëme burlesque sur la révolu

tion de 1789, parviendrait-il à égayer la Terreur, ou à rapetisser Bonaparte ? Les parodies qui restent ne sont fournies que par des évènemens qui ne restent pas; elles ressemblent à ces masques moulés sur le visage d'un mort tombé depuis en poussière, ou sur celui d'un satyre dont le buste ne se retrouve plus.

On a dressé le catalogue des royalistes qui souffrirent pour la cause de Charles Ier; il est long: Charles II l'augmenta. Waller, conspirateur poltron sous la république, poète adulateur de l'usurpation heureuse, obtenait tout de la légitimité restaurée, ⚫ tandis que Butler mourait de faim. Les couronnes ont leurs infirmités comme les bonnets rouges.

Une destince fatale s'attache aux muses: Valeriano Bolzani a composé un traité de Litteratorum infelicitate; Israeli a publié the Calamities of authors: ils sont loin d'avoir épuisé la matière. Dans la seule liste des poètes anglais que j'ai nommés, on trouve:

Jacques, roi d'Écosse, dix-huit ans prisonnier et ensuite assassiné; Rivers, Surrey et Thomas More, portant leur tête à l'échafaud; Lovelace et Butler que la pauvreté dévora.

Clarendon mourut à Rouen, exilé par Charles II. On condamna à être brûlé par la main du bourreau le Mémoire justificatif du vertueux magistrat, dont

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