Page images
PDF
EPUB

des gens de mérite, dans leur temps, mais aujour d'hui usés, passés, dépassés. Les maillots arriveront bientôt dans les bras de leur nourrice : ils riront des octogénaires de seize ans, de ces dix mille poètes, de ces cinquante mille prosateurs, lesquels se couvrent maintenant de gloire et de mélancolie dans les coins et recoins de la France. Si par hasard on ne s'aperçoit pas que ces écrivains existent, ils se tuent pour attirer l'attention publique. Autre chimère ! on n'entend pas même leur dernier soupir. Qui cause ce délire et ces ravages? L'absence du contrepoids des folies humaines, la Religion.

A l'époque où nous vivons, chaque lustre vaut un siècle; la société meurt et se renouvelle tous les dix ans. Adieu donc toute gloire longue, universellement reconnue. Qui écrit dans l'espoir d'un nom, sacrifie sa vie à la plus sotte comme à la plus vaine des chimères. Bonaparte sera la dernière existence isolée de ce monde ancien qui s'évanouit: rien ne s'élèvera plus dans les sociétés nivelées, et la grandeur de l'Iudividu sera désormais remplacée par la grandeur de l'Espèce.

La jeunesse est ce qu'il y a de plus beau et de plus généreux; je me sens puissamment attiré vers elle comme à la source de mon ancienne vie; je lui sou

[ocr errors]

haite succès et bonheur : c'est pourquoi je me fais un devoir de ne pas la flatter. Par les fausses routes où elle s'égare, elle ne trouvera en dernier résultat que le dégoût et la misère. Je sais qu'elle manque aujourd'hui de carrière, qu'elle se débat au milieu d'une société obscure; de là ces brillantes lueurs de talent qui percent subitement la nuit et s'éteignent; mais de longues et laborieuses études poursuivies à l'écart et en silence rempliraient bien les jours, et vaudraient mieux que cette multitude de vers trop vite faits, trop tôt oubliés.

En achevant ce chapitre il me prend des remords et il me vient des doutes; remords d'avoir osé dire que Dante, Shakespeare, Tasse, Camoëns, Schiller, Milton, Racine, Bossuet, Corneille et quelques autres, pourraient bien ne pas vivre universellement comme Virgile et Homère; doutes d'avoir pensé que le temps des individualités universelles n'est plus.

Pourquoi chercherais-je à ôter à l'homme le sentiment de l'infini, sans lequel il ne ferait rien et ne s'élèverait jamais à la hauteur qu'il peut atteindre ? Si je ne trouve pas en moi la faculté d'exister, pourquoi mes voisins ne la trouveraient-ils pas en eux ? Un peu d'humeur contre ma nature, ne m'a-t-il pas fait juger d'une manière trop absolue les facultés possibles

des autres? Eh! bien, remettons le tout dans le premier état rendons aux talens nés ou à naître l'espoir d'une pérennité glorieuse, que quelques écrivains, hommes et femmes, peuvent justement nourrir aujourd'hui qu'ils aillent donc à l'avenir universel, j'en serai charmé. Resté en route, je ne me plaindrai pas, surtout je ne regretterai rien :

Si post fata venit gloria, non propero.

MARIE. GUILLAUME. LA REINE Anne.

ÉCOLE CLASSIQUE.

L'invasion du goût français, commencée au règne de Charles II, s'acheva sous Guillaume et la reine Anne. La grande Aristocratie qui s'élevait', prit du caractère noble et imposant de la grande Monarchie, sa voisine et sa rivale. La littérature anglaise, jusqu'alors presque inconnue à la France, passa le détroit. Addison vit Boileau en 1701, et lui présenta un exemplaire de ses poésies latines. Voltaire, obligé de se réfugier en Angleterre au sujet de sa querelle avec le chevalier de Rohan-Chabot, dédia la Henriade à la reine Anne, et se gåta l'esprit par les idées philosophiques de Collins, de Chubb, de Tindal, de Wolston, de Tolland, de Bolingbroke. Il nous fit connaître Shakespeare, Milton, Dryden, Shaftesbury, Swift, et les présenta à la France comme des hommes d'une nouvelle espèce, découverts par lui dans un nouveau

monde. Racine le fils traduisit le Paradis perdu, et Rollin parla de ce poème dans son Traité des études

Guillaume III étant parvenu à la couronne britannique, les écrivains de Londres et de Paris s'engagèrent dans la querelle des princes et des guerriers : Boileau dit le passage du Rhin; Prior répond que le régent du Parnasse occupe les neuf Muses à chanter que Louis n'a pas passé le Rhin; ce qui était vrai. Philips traduisait le Pompée de Corneille, et Roscommon en écrivait le prologue; Addison célébrait les victoires de Marlborough, et rendait hommage à Athalie; Pope publiait son Essai sur la critique dont l'Art poétique est le modèle: il donne à peu près les mêmes règles qu'Horace et Boileau, mais tout à coup, se souvenant de sa dignité, il déclare fièrement que « les braves Bretons méprisent les lois étrangères : » « But we, brave Britons, foreign laws despis'd. » Foam traduisit l'Art poétique du poète français : Dryden en revit le texte, et remplaça seulement les noms des auteurs français par des noms d'auteurs anglais : il rend le hátez-vous lentement par gently make haste.

La Boucle de cheveux enlevée fut inspirée par le Lutrin, et la Dunciade imitée des Satires de l'ami de Racine. Butler a traduit une de ces satires.

Le siècle littéraire de la reine Anne est un dernier

« EelmineJätka »