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« préserver et chérir la constitution britannique; << qu'ils doivent se mettre en garde contre les inno<< vations, et se sauver du danger de ces nouvelles <<< théories. » - From the danger of these new theo«ries.

<< Pitt, Fox, Burke ne sont plus, et la constitution anglaise a subi l'influence des nouvelles théories. I faut avoir vu la gravité des débats parlementaires à cette époque, il faut avoir entendu ces orateurs dont la voix prophétique semblait annoncer une révolution prochaine, pour se faire une idée de la scène que je viens de rappeler. La liberté contenue dans les limites de l'ordre semblait se débattre à Westminster, sous l'influence de la liberté anarchique qui parlait à la tribune encore sanglante de la Convention.

« M. Pitt, grand et maigre, avait un air triste et moqueur. Sa parole était froide, son intonation monotone, son geste insensible; toutefois la lucidité et la fluidité de ses pensées, la logique de ses raisonnemens subitement illuminés d'éclairs d'éloquence, faisaient de son talent quelque chose hors de ligne.

« J'apercevais assez souvent M. Pitt, lorsque de son hôtel, à travers le parc Saint-James, il allait à pied chez le roi. De son côté, Georges III arrivait de Windsor, après avoir bu de la bière dans un pot d'é

tain avec les fermiers du voisinage; il franchissait les vilaines cours de son vilain châtelet, dans une voiture grise que suivaient quelques gardes à cheval, c'était là le maître des rois de l'Europe, comme cinq ou six marchands de la Cité sont les maîtres de l'Inde. M. Pitt, en habit noir, épée à poignée d'acier au côté, chapeau sous le bras, montait enjambant deux ou trois marches à la fois. Il ne trouvait sur son passage que trois ou quatre émigrés désœuvrés : laissant tomber sur nous un regard dédaigneux, il passait le nez au vent, la figure pale.

« Ce grand financier n'avait aucun ordre chez lui; point d'heures réglées pour ses repas ou son sommeil. Criblé de dettes, il ne payait rien, et ne se pouvait résoudre à faire l'addition d'un mémoire. Un valet de chambre conduisait sa maison. Mal vêtu, sans plaisir, sans passion, avide de pouvoir, il méprisait les honneurs et ne voulait être que William Pitt.

« Lord Liverpool, au mois de juin 1822, me mena dîner à sa campagne : en traversant la bruyère de Pulteney, il me montra la petite maison où mourut pauvre le fils de lord Chatam, l'homme d'état qui avait mis l'Europe à sa solde et distribué de ses propres mains tous les milliards de la terre. >>

CHANGEMENT DES MOEURS ANGLAISES.

GENTLEMEN-FARMERS. CLERGÉ. GRAND MONDE.
GEORGES II.

<< Séparés du continent par une longue guerre (1), les Anglais conservaient à la fin du dernier siècle leurs mœurs et leur caractère national. Tout n'était pas encore machine dans les classes industrielles, folie dans les hautes classes. Sur ces mêmes trottoirs où l'on voit maintenant se promener des figures sales et des hommes en redingote, passaient de petites filles en mantelet blanc, chapeau de paille noué sous le menton avec un ruban, corbeille au bras, dans laquelle étaient des fruits ou un livre; toutes tenant les yeux baissés, toutes rougissant lorsqu'on les regardait. Les redingotes sans habit étaient si peu d'usage à Londres, en 1793, qu'une femme, qui pleurait à chaudes larmes la

(1) Extrait de mes Mémoires.

mort de Louis XVI, me disait : « Mais, cher monsieur, << est-il vrai que le pauvre roi était vêtu d'une redin« gote, quand on lui coupa la tête? >>

« Les gentlemen-farmers n'avaient point encore vendu leur patrimoine pour habiter Londres; ils formaient encore dans la chambre des Communes cette fraction indépendante qui, se portant de l'opposition au ministère, maintenait les idées d'ordre et de propriété. Ils chassaient le renard ou le faisan en automne, mangeaient l'oie grasse à Noël, criaient Vivat au rostbeaf, se plaignaient du présent, vantaient le passé, maudissant Pitt et la guerre, laquelle augmentait le prix du vin de Porto, et se couchaient ivres pour recommencer le lendemain la même vie. Ils se tenaient assurés que la gloire de la GrandeBretagne ne périrait point, tant qu'on chanterait God save the King, que les bourgs-pourris seraient maintenus, que les lois sur la chasse resteraient en vigueur, et que l'on vendrait furtivement au marché les lièvres et les perdrix, sous le nom de lions et d'autruches.

« Le clergé anglican était savant, hospitalier et généreux; il avait reçu le clergé français avec une charité toute chrétienne. L'université d'Oxford fit imprimer à ses frais, et distribuer gratis aux curés, un

Nouveau Testament, selon la leçon romaine, avec ces mots : A l'usage du clergé catholique exilé pour la religion.

« Quant à la haute société anglaise, chétif exilé, je n'en apercevais que les dehors. Lors des réceptions à la cour, ou chez la princesse de Galles, passaient des ladies assises de côté dans des chaises à porteur; leurs grands paniers sortaient par la porte de la chaise, comme des devans d'autel; elles ressemblaient ellesmêmes, sur ces autels de leur ceinture, à des madones ou à des pagodes. Ces belles dames étaient les filles dont le duc de Guines et le duc dé Lauzun avaient adoré les mères, et ces filles étaient, en 1822, les mères et grand'mères des petites filles qui dansaient chez moi, en robe courte, au son du galoubet de Collinet. Il y a de cela onze années: onze années attachées au bas d'une robe doivent avoir rendu les pas moins légers. Et chacune de ces petites filles a peut-être à présent onze petites filles, les plus vieilles âgées de onze ans et prêtres à se marier bientôt sur la célèbre bruyère; rapides générations de fleurs.

« Georges III survécut à M. Pitt, mais il avait perdu la raison et la vue. Chaque session, à l'ouverture du parlement, les ministres lisaient, aux chambres silencieuses et attendries, le bulletin de la santé

« EelmineJätka »