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livre s'ouvre par une description de l'état de la société dans la Grande-Bretagne au moment où les Romains abandonnèrent l'île; il compare cet état à celui de l'Angleterre lorsqu'elle se trouva délaissée du vẻritable pouvoir sous le règne de Charles Ier. A la fin du cinquième livre, Milton déduit les causes qui firent tomber les Anglo-Saxons sous le joug des Normands : il demande si les mêmes causes de corruption ne pourraient pas faire retomber ses compatriotes sous le joug de la superstition et de la tyrannie.

L'imagination du poète ne dédaigne pas les origines fabuleuses des Bretons; il consacre plusieurs pages aux règnes de ces monarques de romans, qui, depuis Brutus, arrière-petit-fils d'Enée, jusqu'à Cassibelan, ont gouverné la Grande-Bretagne. Sur son chemin il rencontre le roi Leir (Lear):

« Leir qui régna après Bladud eut trois filles. Étant << devenu vieux, il résolut de marier ses filles et de « diviser son royaume entre elles; mais il voulut au<< paravant connaître celle de ces trois filles qui l'ai<< mait le mieux. Gonorille, l'aînée, interrogée par << son père, lui répondit, en invoquant le ciel qu'elle « l'aimait plus que son ame. Ainsi, dit le vieil homme « plein de joie, puisque tu honores mon âge défail« lant, je te donne, avec un mari que tu choisiras, la

« troisième partie de mon royaume. Regan, la se«< conde fille interrogée, répondit à son père qu'elle « l'aimait au-dessus de toutes les créatures; et elle « reçut une récompense égale à celle de sa sœur. « Mais Cordeilla, la plus jeune et jusque-là la plus «< aimée, fit cette sincère et vertueuse réponse : Mon « père, mon amour pour vous est comme mon devoir « l'ordonne que peut demander de plus un père? << que peut promettre de plus un enfant? ceux qui vont << au-delà vous flattent:

« Le vieillard fàché d'entendre cela, et désirant « que Cordeilla reprit ses paroles, répéta sa demande; << mais Cordeilla, avec une loyale tristesse pour les << infirmités de son père, répondit, faisant allusion à « ses sœurs, plutôt qu'en révélant ses propres senti« mens: Comptez ce que vous avez, dit-elle, telle « est votre valeur, et je vous aime ce que vous valez. « Eh bien s'écria le roi Leir dans une grande « colère, écoute ce que tón ingratitude te vaut ; << puisque tu n'as pas révéré ton vieux père, comme << ont fait tes sœurs, tu n'auras pas ta part de mon << royaume.

<< Cependant la renommée de la sagesse et des grâces « de Cordeilla s'étant répandue au loin. Aganip« pus, grand monarque dans les Gaules, la demanda

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<< en mariage. Après quoi, le roi Leir, tombant de << plus en plus dans les années, devint la proie de ses << deux autres filles et de leurs maris. Il demeurait << chez sa fille aînée, et il n'avait pour serviteurs que << soixante chevaliers, et ils furent bientôt réduits à << trente. Leir ne pouvant digérer cet affront, se re<< tira chez sa seconde fille; mais la discorde s'étant << mise parmi les serviteurs des différens maîtres, on ne « laissa au roi que cinq chevaliers. Il retourna chez sa « fille ainée, espérant qu'elle aurait pitié de ses che<< veux blancs; mais elle refusa de le recevoir, à moins << qu'il ne se contentat d'un seul chevalier. Alors Cor<< deilla, sa plus jeune fille, revint en pensée au roi « Leir; il reconnut le sens caché de ses paroles, et il << espéra qu'elle aurait pitié de sa misère. Il s'embar« qua pour la France. Cordeilla, poussée de son << amour et sans compter sur la plus petite récom« pense, se prit à verser des larmes au récit des mal<< heurs de son père. Ne voulant pas qu'il fût vu dans << la détresse ni par elle ni par personne, elle envoya « secrètement un de ses plus fidèles serviteurs, qui « le conduisit dans quelque bonne ville au bord de la << mer, afin de le baigner, de le vêtir, de lui faire << bonne chère, de le fournir d'une suite convenable à << sa dignité. Cela étant fait, Cordeilla avec le roi son

<< mari et tous les barons de son royaume allèrent au << devant de lui en grande fête et en grande joie. Cor<< deilla passa en Angleterre avec une armée, et « remit son père sur le trône. Elle vainquit ses sœurs « impies avec leurs ducs, et le roi Leir porta la cou<< ronne pendant trois ans. Il mourut après, et Cor<< deilla, menant une grande pompe et un grand deuil, « l'enterra dans la ville de Leicester. Cordeilla régna « cinq ans, jusqu'à ce que Marganus et Canedagius, << fils de ses sœurs, lui firent la guerre, la dépossédė« rent, l'emprisonnèrent, et elle se tua. »>

Il m'a été impossible de faire sentir dans cette traduction le charme de l'original. Le conteur a veilli son style à l'égal des chroniques dont il emprunte ce récit; il m'aurait fallu reproduire l'histoire du roi Leir, dans la langue de Froissart. Milton s'est plu à lutter avec Shakspeare comme Jacob avec l'Ange.

TRAVAUX POÉTIQUES DE MILTON. PLAN DU PARADIS

PERDU POUR UNE TRAGÉDIE.

Ce n'est pas tout les compositions poétiques de Milton étaient aussi gigantesques que ses études en prose. Et ce n'était pas de ces fantaisies de la médiocrité abondante dont les vers ruissellent aussi facilement que des paroles: soit qu'il quittât la lyre pour la plume, ou la plume pour la lyre, Milton accroissait toujours en quelque chose les moissons de la postérité. On eût dit qu'il avait résolu de mettre, comme certains pères de l'Église, la Bible entière en tragédies. On conserve, à la bibliothèque du collège de la Trinité à Cambridge, des manuscrits du poète parmi ces manuscrits se trouvent les titres de trente-six tragédies à prendre dans l'histoire d'Angleterre depuis Vertiger jusqu'à Edouard-le-Confesseur, et de quarante-huit tragédies à tirer des Livres Saints. Quelques notes et des indications le discours, de chants, de caractères, sont assez souvent jointes à ces titres.

« EelmineJätka »