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lidées. Il insiste sur le rôle que jouent dans la production les dons naturels d'une part, le milieu social de l'autre.

Tout cela est vrai et a été démontré bien avant M. Fouillée : mais qu'en conclure, sinon 1° que Dieu a fixé aux propriétaires, comme du reste à tous les êtres qui jouissent avec conscience de ses dons, des règles morales pour l'usage de leurs biens; 2° que la société a le droit en raison des services qu'elle rend aux individus d'exiger d'eux certains sacrifices pour se maintenir et pour amener le perfectionnement social. De là une foule de règles du droit civil tant ancien que moderne.

Malheureusement M. Fouillée méconnait ou ignore la doctrine chrétienne traditionnelle, et pour revenir pratiquement à quelquesunes de ses solutions, il se donne grand peine, invente des mots nouveaux, et concède théoriquement aux socialistes des points qui ne sont pas sans importance. Ainsi il nie que la propriété en tant que droit individuel puisse porter sur le sol et tout ce qui constitue le don de la nature. En tant qu'elle porte la dessus, elle est, selon lui, le resultat de la convention du contrat social et doit être une propriété sociale. Encore un mot mal défini qui brouillera les idées dans plus d'un cerveau !

Il admet aussi que le dernier survenant dans la société a droit à une part de terre (78), mais comme corrélatif de ce droit, il concède à l'Etat et quand la population est trop dense le droit de limiter la fécondité des prolétaires! (pp. 79 et 137.).

L'Etat a vis-à-vis de ce dernier survenant des devoirs qu'au lieu d'appeler la Charité de son vieux nom chrétien, l'auteur nomme la justice réparative en réalité cela aboutit à l'instruction gratuite et obligatoire, au droit de suffrage politique, à l'assistance légale tempérée par des réglementations du genre de celles que nous venons d'indiquer, à l'assurance obligatoire comme en Allemagne. Pour pourvoir à ces nouvelles fonctions qui nécessiteront la création d'un ministère des sociétés philanthropiques (p. 150), M. Fouillée voudrait que l'Etat eut des domaines, dont le revenu viendrait s'ajouter à ceux de l'impôt. Ce serait une application matérielle du principe de la propriété sociale. Mais encore une fois ceci est vieux comme le monde, ce sont là les biens communaux, les patrimoines corporatifs, les fondations charitables, que la Révolution a beaucoup trop détruits et qu'il faut laisser reconstituer par l'initiative privée comme les économistes.... et charitable, ajoutent les chrétiens. Malheureusement M. Fouillée est plein de défiance pour cette initiative et il demande que l'Etat socialise les biens des communautés religieuses. Les droits à la propriété dans le système de M. Fouillée doit encore se réaliser par l'instruction gratuite et publique de tous dispensée par l'Etat. Nous ne savons pas si les socialistes pratiques se contenteront de cette substitution d'un bien immatériel au positif qu'ils convoitent. Mais les Jacobins opportunistes y applaudiront, car M. Fouillée réclame vivement le rétablissement du certificat d'études dans le but avoué de détruire les établissements libres, d'empêcher l'Etat de jeter complètement dans le moule les nouvelles générations.

La meilleure partie du livre est celle consacrée à la réfutation des théories de Malthus, de Darwin, d'Herbert Spemer, selon lesquelles toutes les œuvres d'assistance publique et privée devraient être supprimées comme empêchant l'action progressive pour l'huma

nité du combat pour la vie, qui élimine les faibles de l'œuvre de la perpétuation de l'espèce. Il y a là deux chapitres, qui rachètent les autres jusqu'à un certain point. Ajoutons enfin que M. Fouillée n'est pas sans inquiétude sur l'omnipotence du suffrage universel et voudrait le tempérer par la représentation proportionnelle des minorités.

Histoire des persécutions pendant la première moitié du 111' siècle, d'après les documents archéologiques, par Paul ALLARD, in-8°. Paris, Victor Lecoffre 1886.

Il y a quelques mois nous rendions compte du tome 1" de cette magistrale histoire. Dans ce deuxième volume M. Paul Allard fait l'histoire des grandes persécutions systématiques du siècle, celles de Septime Sévère, de Maximin, de Dèce, et étudie la condition civile faite aux chrétiens dans les intervalles de repos que leur laissèrent ces sanglantes épisodes, et notamment sous les règnes réparateurs d'Alexandre et de Philippe.

M. Allard étudie soigneusement le parti que l'Eglise naissante tira d'abord du régime d'exception fait par la législation aux domaines funéraires et ensuite de la liberté reconnue au 11° siècle aux collegia tenuiorum. Ce sont deux chapitres faits entièrement d'après les inscriptions et les monuments des catacombes; ils devront désormais être la base de toutes les histoires du Patrimoine ecclésiastique.

Pendant que soutenue par la main de Dieu et par ce prodigieux miracle qui constitue la grande signification de l'histoire des persécutions, l'Eglise survivait à tout l'effort de la puissance de l'Empire et de la législation césarienne, elle jetait les bases de la réorganisation de la société civile par sa sage discipline. C'est ainsi qu'elle rejetait les rêveries du Montanisme, qui par son faux illuminisme et son rigorisme insensé détruisait la famille non moins que l'ordre naturel de la société. C'est avec la même sagesse qu'elle défendait la recherche du martyre et les imprudentes provocations au fanatisme des païens; mais elle flétrissait avec une indéfectible énergie les coupables défaillances des libellatiques, qui pour éviter de confesser Jésus-Christ achetaient aux fonctionnaires païens des certificats d'apostasie, et se glorifiaient de leur habileté à tourner les questions. Nous n'essayerons pas d'indiquer les rapprochements et les différences avec la situation présente de l'Eglise. Ce serait ce nous semble affaiblir le grand intérêt moral et religieux d'un pareil ouvrage.

Le Gérant, J. BARATIER.

1800 Grenoble, imprimerie Baratier et Dardelet. - 6671

DES

INSTITUTIONS ET DU DROIT.

(14"* Année.)

CONGRÈS INTERNATIONAL DE L'ENSEIGNEMENT

10° CONGRÈS DES JURISCONSULTES CATHOLIQUES Tenu à Fourvière (Lyon) les 22, 23 et 24 septembre 1885.

(SUITE ET FIN).

QUATRIÈME PARTIE

L'APPLICATION DES PRINCIPES.

LÉGISLATION CHRÉTIENNE DE L'ENSEIGNEMENT. TRANSITION DE L'ÉTAT ACTUEL A LA LIBERTÉ

Voir dans la collection complète de la Revue les articles déjà indiqués au commencement des trois premières parties du Congrès,

Rapport de M. Auguste ROUSSEL, sur l'Etat enseignant et l'Université.

Messieurs,

Dans l'ordre logique des études indiquées par le programme du congrès, il était inévitable, après avoir recher14° ANN. Ier SEM. 2o LIV. FÉVRIER 1886.

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ché et fixé les principes qui dominent la matière de l'enseignement, d'en arriver aux déductions pratiques. C'est le point délicat qui va nous occuper, et sur lequel je vous apporte en toute franchise le résultat de réflexions qui ne me sont pas uniquement propres, ce qui me permet de le recommander plus instamment à vos bienveillantes méditations.

Mais, au préalable, on est tenté de demander si cette nouvelle étude est bien nécessaire. Puisque nous savonset la démonstration nous en a été fournie d'une façon péremptoire qu'on chercherait en vain dans l'Etat le droit, la compétence ou la mission sans lesquels nul ne doit être admis à enseigner, il s'ensuit, comme conséquence logique dans le domaine des faits, qu'on ne saurait admettre en pratique l'organisation d'un corps d'enseignement tirant sa mission, sa compétence et son droit de l'Etat, qui ne les possède pas. L'existence de l'Université se trouve condamnée par là même, et il semblerait qu'il dût suffire de ce bref syllogisme pour nous en délivrer. Par malheur, aux temps où nous vivons, nous n'en sommes plus à apprendre que la seule considération des principes exposés dans toute leur rigueur n'est pas le guide ordinaire et unique des résolutions du grand nombre. Il faut donc porter notre attention sur un ordre d'idées plus accessible à l'opinion commune et, prenant la situation de fait telle que nous la subissons, nous réduire à l'examen d'une question qui écarte provisoirement la véritable solution. Ce n'est pas à dire d'ailleurs que nous fassions bon marché de celle-ci; mais au lieu d'y tendre directement, nous procéderons si je puis ainsi dire, par voie d'élimination. En suivant cette marche, nous avons sans doute le désavantage d'arriver moins vite au but, mais elle se recommande par l'avantage de ne laisser derrière nous aucune objection sérieuse; aussi faut-il remercier les rédacteurs du programme de nous l'avoir tracée avec tant d'intelligence et de fermeté.

Au point où nous en sommes, ce programme pose la question que voici : « La liberté d'enseignement est-elle compatible avec un corps centralisé tel que l'Université, dont les membres sont agents de l'Etat ? » En thèse, la réponse ne saurait être douteuse. L'organisation d'un corps tel que l'Université est, de toute évidence et nécessairement la contradiction de la liberté d'enseignement. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler son origine. Qui en eut le premier l'idée ? De l'aveu même de M. Barthélemy SaintHilaire, qui le rappelait à la tribune le 15 janvier 1850, c'est Talleyrand. Au mois de septembre 1791, après que la constitution eut été proclamée, il disait dans un rapport

désormais fameux : « Tout proclame la nécessité d'organi<< ser l'instruction. Tout nous démontre que l'état de cho<< ses nouveau, élevé sur les ruines de tant d'abus, néces<< site une création dans ce genre. >>

Selon lui, l'enseignement, désormais, doit avoir pour base, non plus l'Evangile, mais la constitution dite des droits de l'homme, et il demande que la déclaration de ces droits devienne le nouveau catéchisme de l'enfance. A cette fin, il réclamait l'établissement à Paris d'un grand institut national, qui « se trouvant le centre d'une correspondance renouvelée avec les départements, deviendrait le propagateur des principes et le véritable régulateur des méthodes. » L'idée suivit son chemin. Sous la Législative, elle fut reprise et continuée par Condorcet dans un esprit plus irréligieux encore; mais c'est surtout la Convention qui, avec Danton, proclama le principe qui devait servir à la fondation universitaire. « Il est temps, disait Danton, de proclamer ce grand principe, que les enfants appartiennent à la république avant d'appartenir à leur famille. >> Et, à la fin de 1793, au lendemain du jour où l'on venait de décréter un fête par chaque décadi en l'honneur de l'infâme déesse Raison, il s'écriait : « Au moment où la su<< perstition succombe pour faire place à la raison, il faut << donner une centralité à l'éducation comme on en a donné << une au gouvernement. » Ainsi, comme le remarque excellemment Mgr Parisis, le mot même de centralité est d'origine révolutionnaire.

Ce sont les mêmes idées qu'exprime Fourcroy il était franc-maçon et exécutait les desseins des loges dans l'exposé des motifs de la loi qui devait porter fondation de l'Université : « Les bases de l'éducation étant bien déterminées, dit-il, si on ne l'envisageait que par rapport à l'individu qui la reçoit, le gouvernement pourrait l'abandonner à la sollicitude paternelle et n'en faire que l'objet d'une surveillance générale. Mais il est un autre point de vue sous lequel elle doit être considérée. C'est à elle qu'il appartient de former les fonctionnaires publics, c'est-à-dire les hommes dont la capacité et les lumières constituent la force des Etats, et dont les opinions influent d'une manière si puissante, soit en bien soit en mal, sur toutes les classes de la société avec lesquelles ils sont continuellement en contact. Et par les fonctionnaires publics, je n'entends pas seulement ceux auxquels le gouvernement a délégué une partie de ses pouvoirs, qui occupent les places administratives, ou qui siègent dans les tribunaux : j'entends aussi toutes les personnes revêtues d'un caractère public, les ministres des cultes chargés du dépôt auguste de la religion; les avocats qui interprètent les lois, les notaires qui rédi

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