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Disons, pour terminer sur ce point, que le gouvernement chrétien auquel nous demanderons cette réforme capitale, n'aura pas la prétention de soumettre à ses inspections les établissements canoniquement érigés par l'Eglise; quant au droit de surveillance que celle-ci est fondée à réclamer sur tous les établissements d'enseignement, il sera facile au gouvernement de s'entendre avec le Saint-Siège sur la réserve qu'il peut convenir d'apporter à son exercice dans une société partagée entre plusieurs confessions religieu

ses.

Aux familles catholiques, il restera le devoir de ne point envoyer leurs fils aux écoles soustraites à la surveillance de l'Episcopat.

L'entente sera facile aussi entre les deux pouvoirs, sur les conditions auxquelles les grades conférés par les Facultés catholiques jouiront des privilèges et avantages attachés, dans l'ordre civil, à leur obtention.

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L'Etat, avons-nous dit, aura encore à protéger et à favoriser la diffusion de l'enseignement supérieur.

Il le fera en récompensant les maîtres de leurs services par des distinctions honorifiques; en les appelant aux fonctions publiques compatibles avec leur ministère. Il le fera surtout, à ce point de vue spécial, en donnant aux établissements toute facilité pour la constitution d'un patrimoine qui permette de rémunérer suffisamment le corps professoral, en contribuant, sur les fonds à provenir de la liquidation de l'Université, à la constitution des caisses de retraite.

Sur ce même fonds, l'Etat allouera aux établissements utiles, mais dont les ressources sont insuffisantes, les subventions nécessaires à leur développement. Sans doute, ces allocations, dont on se passera le plus possible, ne devront pas servir à faire vivre des écoles inutiles et incapables de se soutenir par elles-mêmes, mais elles aideront une Faculté sérieusement constituée à perfectionner ses moyens d'enseignement, à enrichir sa bibliothèque ou ses collections; elles permettront à ses professeurs ces voyages, ces recherches, ces expériences coûteuses auxquelles la science moderne doit tant de progrès.

C'est sur ce dernier point, organisation de la surveillance et du patronage de l'Etat, que devront particulièrement porter les réflexions de ceux qui seront appelés quelque jour à faire la charte de l'enseignement libre. La seule difficulté, en effet, lorsqu'on est d'accord sur les principes, c'est de donner à l'enseignement libre une constitution qui res

pecte, sans les jamais sacrifier les uns aux autres, les droits de l'Eglise, ceux de la famille, ceux de l'Etat et ceux de l'homme instruit qui veut communiquer à d'autres ce qu'il

sait.

Pour la solution de ce problème, les catholiques trouveront dans les enseignements constants de l'Eglise les lumières dont les fondateurs et les réformateurs de l'Université impériale ont cru, à tort, pouvoir se passer. La France reverra, sous une forme nouvelle, ses florissantes Universités d'autrefois, et perdra vite le souvenir de l'institution impériale, condamnée aujourd'hui, comme un instrument de despotisme, par tous les amis véritables de la liberté.

Un membre du Congrès a émis la pensée que l'Etat, tout en n'ayant pas le droit général d'enseigner, avait le droit, sinon le devoir, d'établir et d'entretenir au moins certaines grandes écoles exceptionnelles, soit pour les donner comme des modèles nationaux de science supérieure, soit parce que ces établissements sont trop coûteux pour l'initiative privée.

Mgr de Kernaëret combat cette opinion et montre que ces établissements peuvent devenir des asiles et des remparts pour la science frelatée officielle, et pour l'impiété sectaire. Il cite ce qu'on peut ou ce qu'on a pu voir à diverses époques, notamment au Muséum, à l'Observatoire, au Collège de France, où le régime actuel entend établir des chaires de négation et de libre-pensée pour combattre le christianisme. Le haut enseignement qu'on donne dans ces instituts nationaux est d'autant plus dangereux, s'il est mauvais, qu'il paraît être plus éloigné des passions du public, et qu'on peut le croire plus indépendant. Il y a donc des raisons aussi graves que dans les autres ordres d'enseignement pour que l'Etat n'y prenne aucune part.

Ces considérations sont approuvées par le Congrès.

Plusieurs membres appellent enfin l'attention de l'assemblée sur l'enseignement professionnel, et le Congrès entend avec un grand intérêt les détails qui sont donnés sur deux écoles de Lille et de Lyon. Les rapports de M. l'abbé Pillet et du F. Pigménion, qu'on trouvera plus loin, font connaître les deux établissements.

Rapport de M. l'abbé DECHEVRENS, sur les grades académiques à leur origine et dans les temps actuels.

Plus que jamais à cette heure, la question de la collation des grades académiques est à l'ordre du jour.

Chose étrange et bien digne de remarque! Ces grades, contemporains de nos anciennes universités, institués dans le but de stimuler l'ardeur aux études et en même temps de couronner le mérite intellectuel, ont fait pendant six siècles la prospérité et la gloire des grandes écoles du monde chrétien tout entier. Or, voici qu'à peine trois quarts de siècle se sont écoulés depuis que l'Académie impériale et centralisatrice s'est substituée aux anciennes universités libres, et déjà les déplorables résultats des mutilations qu'on a fait subir au système d'enseignement suivi partout durant les siècles antérieurs, apparaissent dans leur triste et évidente réalité. Le baccalauréat surtout, tel qu'il est organisé aujourd'hui en France, est l'objet d'une réprobation unanime dans le corps enseignant: c'est lui principalement qu'on accuse de la décadence profonde, mais hélas! incontestable des études classiques.

Pourquoi cela, et comment une institution, qui a si bien servi les Lettres pendant des siècles, est-elle devenue subitement une cause de décadence et de ruine pour l'enseignement littéraire et scientifique? La question a bien son importance; elle n'a pourtant été ni résolue, ni même posée, dans la grande enquête ouverte par les soins de M. le Ministre de l'instruction publique et dépouillée par M. Gréard au sein du conseil supérieur de l'enseignement. On a solennellement constaté le mal, puis on a proposé de le guérir au moyen de quelque remède empirique, dont on dit merveilles, mais qui aura tout juste la valeur de certaines drogues en médecine, prônées par leurs inventeurs et, pour les malades, d'un succès plus que douteux.

Tâchons de faire mieux, en suivant une marche plus rationnelle. Remontons jusqu'à l'origine de ces grades académiques, aujourd'hui si controversés, voyons ce qu'ils furent dans le passé, quelle était leur organisation, le rôle qu'ils devaient remplir dans l'enseignement; demandons à ceux-là mêmes qui en ont introduit l'usage dans nos universités, le but qu'ils se proposaient en les instituant et l'ordre qu'ils gardèrent dans leur collation. Peut-être ainsi découvrirons-nous le secret de leur réussite et de la longue prospérité qu'ils procurèrent aux anciennes écoles.

I.

ORIGINE DES GRADES ACADÉMIQUES.

Pour trouver l'origine des grades académiques, il faut remonter jusqu'aux XIe et XIIe siècles, à une époque longtemps réputée barbare et taxée d'ignorance universelle, mais où, au contraire, le fait est bien constaté aujourd'hui, l'Europe chrétienne, la France surtout, était riche en écoles et en mattres, qui répandaient partout la connaissance des Lettres humaines. L'honneur en revient à l'Eglise catholique, seule alors en possession d'instruire les peuples, seule capable de conserver dans le monde les trésors de science, sacrée et profane, légués par les siècles antérieurs.

Il est inutile que je m'arrête davantage sur un sujet qui a acquis désormais toute la notoriété désirable. Les faits abondent pour démontrer ce que fut le XIIe siècle, sous l'action fécondante de l'Eglise siècle de vive foi, sans doute, mais aussi et pour cela même, d'une ardeur incomparable à l'étude des lettres et à tout ce qui fait la vie de l'esprit. On a dit de lui avec raison que « depuis le renouvellement des sciences sous Charlemagne, la littérature n'a pas eu en France de siècle plus heureux, plus brillant et plus fertile en beaux esprits que le douzième.» (Hist. litt. de la Fr., t. Ix no 163 et sq.)

C'est au milieu de cette universelle floraison des sciences humaines que prirent naissance les grades littéraires, non point d'un seul coup, ni comme l'invention d'un génie organisateur, mais peu à peu et suivant le progrès naturel des circonstances. Suivons nous-mêmes ce progrès, à la lumière des faits que l'histoire nous révèle.

Au moyen âge donc l'Eglise, seule dépositaire des vérités révélées, se trouvait investie par la foi et la confiance des peuples chrétiens de la haute direction de tout l'enseignement instruire la jeunesse était une partie du ministère sacerdotal. Chaque évêque dans son diocèse, chaque abbé dans son monastère, avait reçu du Pasteur suprême charge d'âmes sous ce rapport: les lois ecclésiastiques, acceptées d'ailleurs comme lois du royaume, en plaçant toutes les écoles sous leur autorité et leur surveillance, leur donnaient juridiction sur les maîtres aussi bien que sur les écoliers. De là, dans les églises cathédrales et dans certains monastères plus spécialement appliqués à l'enseignement, l'existence d'un dignitaire ecclésiastique qui avait mission, au nom de l'évêque ou de l'abbé, de diriger les écoles, grandes et petites, établies dans la ville et dans toute l'étendue du diocèse. On le nommait scolastique ou écolâtre;

parfois même, comme à Paris, ces fonctions étaient dévolues au grand chantre pour les petites écoles et au chancelier épiscopal pour les écoles secondaires et supérieures.

Entre les diverses prérogatives attachées à cette charge, la plus importante assurément était le pouvoir qu'avait l'écolâtre d'instituer et d'approuver les maîtres. Nul, en effet, ne pouvait légitimement ouvrir une école, ni enseigner, qu'il n'en eût obtenu de l'autorité ecclésiastique la faculté ou licence, licentiam docendi. Avant de confier à des hommes une mission aussi importante que celle de former la jeunesse, l'Eglise et la société d'alors voulaient être assurées qu'ils transmettraient fidèlement aux jeunes générations trois sortes de biens, chers autant que nécessaires aux nations chrétiennes : l'intégrité de la foi, la science et la vertu. C'était le devoir de l'écolâtre de prendre sur ce point les garanties indispensables, en n'accordant la licence d'enseigner qu'à des maîtres, dont la parfaite orthodoxie, le savoir et la probité lui fussent connus. Mais d'autre part, il ne devait la refuser qu'à bon escient, car dans ce cas il était tenu de fournir les preuves de l'incapacité ou de l'indignité du sujet écarté (1). Admirable institution, qui assurait tout à la fois, sans charge pour le trésor de l'Etat, et le service de l'instruction publique par un nombre toujours suffisant de maîtres capables, et la liberté de l'enseignement, ouvert à tous sous la seule condition d'en être digne!

Comme preuve de son orthodoxie, le récipiendaire devait faire sa profession de foi catholique et promettre de ne rien enseigner contre les définitions reçues dans l'Eglise; sa probité était connue par ses antécédents; mais pour juger de son savoir, il fallait le témoignage des maîtres et par conséquent des épreuves littéraires, qui leur permissent de prononcer en connaissance de cause. Suivant que leur suffrage était favorable ou contraire, l'écolâtre accordait ou refusait la licence demandée.

La licence, entendue au sens que nous venons de dire, c'est-à-dire comme autorisation d'ouvrir une école ou de faire des leçons publiques, fut donc le premier grade académique institué au moyen âge. Pendant tout le xre siècle et jusqu'au milieu du xe, il fut même le seul en usage; car la qualité de maître et de docteur, qui revient si souvent dans les écrits de cette époque, était alors un titre honorifique désignant plutôt une fonction qu'un grade littéraire.

(1) Cf. Hist. litt., t. X, no 35. Ainsi l'avait réglé le Concile général de Latran en 1179, et avant lui divers Conciles particuliers.

« EelmineJätka »