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Mais on n'a évidemment pas lu son livre, car si on avait lu notamment les pages 190-193 et 362-371, on n'aurait pas fait cette objection sans nul fondement.

Le P. Ayroles n'est, d'après son livre, ennemi d'aucune forme de gouvernement, du moment où ce gouvernement reconnaîtra la souveraineté divine de Jésus-Christ. Il est, à cet égard, comme sur tous les autres points, en complète soumission aux décisions de l'Eglise et en parfaite conformité avec l'Encyclique Immortale Dei. Il preclame les mêmes principes, la même thèse, il admet la même tolérance que l'Encyclique. Il suffit, pour s'en assurer, de lire les pages indiquées ci-dessus. Si les catholiques ont justement horreur d'une République athée et persécutrice de tout ce qui est honnête, ils accueilleraient avec empressement une république comme celle de l'illustre Garcia Moreno, où le Christ est officiellement reconnu Dieu, roi et souverain. La Maçonnerie a démontré de son côté que ce qu'elle veut, ce n'est pas la forme, mais la réalité d'un régime persécuteur du catholicisme elle a régné longtemps, au Brésil, sur le trône d'un empereur qu'elle avait enchaîné; elle a assassiné Garcia Moreno, président d'une République où le Christ était adoré par l'Etat comme par les citoyens.

Voilà qui suffit pour répondre à l'objection ci-dessus.

Qui pourrait d'ailleurs s'offenser de la doctrine si nettement rappelée par Jeanne d'Arc à Charles VII? Le gentil Dauphin, devenu Charles VII le victorieux, l'a toujours acceptée hautement et ses successeurs de même. Je n'ai pas à apprendre que c'était le glorieux héritage de saint Louis et de Charlemagne. Si à partir du XVIIe siècle notamment, il y a eu oubli complet de cette doctrine et corruption de la constitution, si Louis XIV a oublié la vraie doctrine française pour ressusciter le césarisme romain, ce n'est certes pas la faute de Jeanne d'Arc, et le P. Ayroles n'a jamais cité comme type de son gouvernement le régime de Louis XIV, du Régent et de Louis XV.

«En arrivant auprès du roi, la Pucelle lui fit promettre trois choses la première, de se démettre de son royaume et de le rendre à Dieu de qui il le tenait; la seconde, de pardonner à tous ceux qui s'étaient déclarés contre lui; la troisième d'être assez humble pour recevoir ceux qui se présenteraient à lui; d'écouter les requêtes des pauvres comme des riches, et de se montrer bienveillant pour tous, sans distinction d'amis ou d'ennemis. A ces conditions, la Pucelle promettait que son Seigneur ferait pour Charles ce qu'il avait fait pour ses ancêtres. >>

Peut-on rien lire d'aussi beau, d'aussi grand, d'aussi juste, et quel vrai Français ne serait pas enthousiasmé d'un ré

gime pareil ? Et notre situation actuelle ne fait-elle pas resplendir ces déclarations d'un éclat nouveau? Quel prince ne serait fier de recevoir, comme Charles VII, ces commandements et d'en faire la règle de sa puissance?

Nous avons plus de confiance dans notre pauvre époque dévoyée. Nous croyons que si quelque jour un prince surgissait au milieu de nos malheurs et de nos hontes, en se déclarant énergiquement le lieutenant et le vassal de Jésus-Christ, si ce prince faisait des déclarations pareilles à celles demandées par Jeanne à Charles VII, nous croyons, dis-je, que ce prince serait acclamé comme nul autre ne l'a été depuis des siècles, et que s'il conformait ses actes à ses paroles, il se préparerait dans l'histoire une page incomparable, à la suite de Charlemagne et de saint Louis. Jamais époque n'a mieux appelé une restauration de la justice et du droit; nulle autre n'a mieux préparé le trône du prince qui voudra la tenter. Chaque jour met ce trône plus haut et fait plus grand le nom de celui qui y montera. Est-ce qu'il n'y a pas en nos tristes temps comme l'attente universelle de ce bras vengeur et sauveur? Ne semble-t-il pas qu'après un siècle de révolutions, l'humanité chante de

nouveau :

Ultima Cumæi venit jam carminis ætas :
Magnus ab integro soclorum nascitur ordo.
Jam redit et Virgo; redeunt saturnia regna :
Jam nova progenies cœlo demittitur alto.

Nous ajoutons que nul catholique ne sera tenté de demander à ce prince si attendu de ressusciter l'ancien régime. Les catholiques sont de leur siècle mieux que pas un républicain, et ils ont toujours proclamé que, si le catholicisme et la justice sont de tous les temps et de tous les pays, chaque temps comme chaque pays a, en dehors de la religion et de la justice, ses tendances particulières et ses besoins spéciaux auxquels ne sauraient d'ordinaire s'ajuster les organisations politiques des siècles passés.

Ceux qui, en France, ne sont pas de leur siècle et ramenent les pires anciens régimes, sont les odieux tyrans et les persécuteurs ridicules, copistes d'un passé honteux qui, méconnaissant toute justice et toute liberté, veulent s'ériger en despotes spoliateurs de toute liberté et en persécuteurs de la religion comme le furent à divers degrés les empereurs de la Rome déchue, plusieurs ministres et hommes d'Etat de Louis XV, tous les Jacobins et prétendus modérés de la Révolution de 1789 et le César couronné qui voulut asseoir cette révolution à ses côtés sur le trone.

Le livre du P. Ayroles n'exalte donc en rien l'ancien régime. Il est facile de lire, notamment aux pages 364 et

365, ce qu'est et doit être en pratique la royauté de JésusChrist en France. Loin de rappeler cet ancien régime, dont nul d'entre nous ne voudrait à aucun prix, cette royauté serait la splendeur de la justice, l'idéal de la liberté pour tous, d'une grandeur et d'une paix dont tout peuple serait jaloux.

Le chapitre V du livre IV est une réfutation excellente et complète de la grande objection faite aux gouvernements -chrétiens. C'est de la théocratie! disent les ignorants après les libéraux, et ils croient avoir tout dit, alors qu'ils ne comprennent généralement pas eux-mêmes ce qu'ils veulent dire, sinon qu'ils entendent vivre, non pas en théorie peut-être, mais en pratique, dans l'indifférence ou même le scepticisme, se désintéresser de toute vérité surnaturelle s'affranchir de toute vérité religieuse et de tout frein moral, par conséquent. Voilà ce qu'est la liberté pour ces pauvres gens!

Or, il arrive que ces hommes, se croyant libres parce qu'ils effacent Dieu pour se dispenser de lui obéir, ont installé un autre culte, une servitude atroce au lieu de l'obéissance à la loi morale, une chaîne hideuse pour remplacer le lien (religio) les unissant à Dieu comme des enfants à leur père. Cette chaîne, cette servitude et ce culte sont ceux de Satan. Le P. Ayroles le démontre; (p. 386389). Un autre écrivain, Léo Taxil l'atteste par son écrasant témoignage, dans son livre les Frères Trois Points.

VIII

Les hommes sérieux ne nient guère aujourd'hui que la mission de Jeanne d'Arc ait été démontrée par des miracles et que sa vie publique soit une série d'actes merveilleux, impossibles à la puissance humaine. Un écrivain allemand, Guido Goerres, qui a écrit une remarquable Vie de Jeanne d'Arc, exprime cette vérité historique d'une façon pleine de poésie et de justesse : « histoire, dit-il, tout animée du » souffle vivant du Seigneur, et où les miracles éclatent » de tous côtés comme les étoiles scintillent au ciel calme » de la nuit. >>

Le P. Ayroles a consacré spécialement le livre II de son livre à montrer la libératrice de la France comme étant l'apparition la plus radieuse du surnaturel qui ait jamais été observée dans l'histoire d'un peuple. Si l'on excepte le peuple Juif qui, on peut le dire, a vécu, jusqu'à la venue du Christ, sous l'action continue et directe de Dieu, nul peuple ancien ou moderne n'a eu dans son histoire un fait comparable à la mission de Jeanne.

J'ai rappelé plusieurs fois dans cette Revue, dans divers articles sur le Génie et les traditions de la France, quelle alliance étroite et exceptionnelle a toujours existé entre le christianisme et la France. Que notre nation fut fidèle à sa mission divine ou qu'elle vécut dans l'oubli, l'ingratitude et les criminelles folies, elle n'a jamais échappé à l'action spéciale que Jésus-Christ a voulu exercer sur sa destinée. A bien des reprises, dans la suite de nos annales, il est facile de rencontrer le doigt de Dieu. Mais à aucune époque son action directe et foudroyante ne s'est montrée comme de 1429 à 1431. Il n'y a pas de surnaturel, à ce moment, que la venue et les actes de Jeanne. Il est établi par son témoignage que d'autres saints et particulièrement les saints français sont intervenus pour nous sauver. Saint Michel apparaît le premier, lui qui semble commander les milices célestes. La Vierge Marie, sainte Catherine et sainte Marguerite ont directement préparé la vie publique de la libératrice. Jeanne atteste que d'autres saints ont provoqué sa mission elle cite saint Louis, saint Remi, saint Martin, saint Denis, d'autres encore.

La Pucelle avait été prophétisée, comme elle a prophétisé elle-même à chaque instant de sa vie. Elle a montré par tous les actes de sa mission, par les résultats surhumains qu'elle a produits, par la pureté et la sainteté de sa vie, qu'elle était une manifestation indubitable du surnaturel divin. Le P. Ayroles fait un rapprochement saisissant entre l'existence de Jeanne et la vie mortelle du Christ. Toutes proportions gardées, on est surpris et remué des analogies que le Christ a voulu établir entre son passage sur la terre et l'apparition de celle qu'il a chargée de sauver la France. Ce chapitre est, à lui seul, une œuvre à méditer.

(La suite prochainement.)

A. DESPLAGNES.

DE LA DOCTRINE DE LA SOUVERAINETÉ

DANS L'ANTIQUITÉ.

Réponse à M. Armand GAVOUYÈRE, doyen de la Faculté libre de droit d'Angers.

Dans un article très habilement écrit qu'a publié la Revue, (vol. 24, p. 459), M. Armand Gavouyère proteste énergiquement contre l'idée que, dans mon rapport au Congrès de Dijon, j'ai donnée du droit césarien ou de la souveraineté politique, telle que l'ont conçue Rome, Athènes et toute l'antiquité païenne, et il qualifie d'injustes les accusations que j'ai portées contre le régime despotique, contre le socialisme d'Etat auquel était assujettie avant J.-C., la société avec ses membres dans l'Italie, en Grèce et dans tout l'Orient.

Je ne puis pas ne pas exprimer hautement ici tout le regret que j'éprouve de me trouver en désaccord avec un homme aussi considérable, avec un jurisconsulte aussi éminent que M. le Doyen de la Faculté libre de droit d'Angers. Cependant malgré tout le vif désir que j'ai de me rendre à sa manière de voir, même après avoir lu et relu son éloquent plaidoyer en faveur de la haute raison du Droit romain, je crois devoir à la vérité et à l'honneur de l'Eglise de maintenir l'appréciation du régime césarien que j'ai soutenue à la suite d'un bon nombre de publicistes catholiques et libéraux.

En effet M. A. Gavouyère convient que je ne suis pas seul à porter le jugement contre lequel il s'élève. Il a pris aussi à partie, dans le même article, l'honorable M. Coquille qui a si vertement fustigé depuis 30 ans les légistes anciens et modernes. Le savant professeur d'Angers aurait pu également s'en prendre, pour ne citer qu'un exemple dans les divers camps de la pensée, à MM. Edouard Laboulaye (1), Fustel de Coulanges (2), Saint-Girons (3). Ces publicistes et bien d'autres qu'on pourrait nommer, sont unanimes à reconnaître que, dans l'Etat antique, la souveraineté consistait à disposer en maître absolu des personnes aussi bien que des choses, que les individus n'y avaient ni l'idée

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