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DE L'UNIVERSITÉ D'ÉTAT

Et des mesures à prendre à son égard, sous un gouvernement chrétien.

Je rends hommage, en commençant mon travail, aux bons catholiques emprisonnés dans l'Université d'Etat. Ils y font beaucoup moins de bien qu'ils n'en feraient ailleurs, mais leur foi et leur bonne foi veulent être respectées.

Du reste, ce n'est pas d'eux que j'ai à m'occuper, mais de l'Université d'Etat elle-même, de son principe, de l'éducation qu'elle donne, des élèves, des maîtres, de l'enseignement.

J'ajoute que je laisserai de côté l'instruction primaire dont l'athéisme officiel est universellement reconnu, pour m'attacher surtout à l'instruction secondaire où j'ai passé bien des années de ma vie, conduit par ma destinée de collèges en lycées, aux quatre coins de la France, et notamment dans deux établissements élevés en des pays dits cléricaux. On envoie assez souvent les professeurs réputés catholiques aux lieux où ils peuvent, par leur présence, ménager les sentiments religieux et renforcer ou plutôt tromper la confiance des parents.

C'était, au moins, ce qui se faisait, de temps à autre, il y a 15 ou 20 ans. (1) Mes souvenirs sont trop récents, pour que je puisse nommer les personnes: je me contenterai, en les généralisant, de raconter fidèlement mes impressions.

L'enseignement supérieur qui fait surtout des bacheliers d'Etat, des licencés et un certain nombre de docteurs, tire son élite de l'enseignement secondaire. C'est le même esprit. En général, il est peu goûté, et les professeurs y sont rarement entourés par de nombreux auditeurs. Le talent des maîtres, presque toujours incontestable, y est refroidi par la glace du scepticisme. Ce n'est pas la science qui fait des hommes, c'est le cœur. Le scepticisme, pour ne pas dire l'athéisme, au moins pratique, est donc la plaie de l'Université d'Etat. Quand nous l'aurons fait voir, dans l'enseignement secondaire, qui n'est qu'un des trois rameaux sortis du même tronc, nous aurons tout dit et tout

(1) Cela se pratique encore aujourd'hui. Nous connaissons des facultés de l'Etat, presque entièrement composées de cléricaux, en certaines villes où l'Université voulait lutter contre des facultés catholiques.

prouvé. C'est la même sève qui les anime, et leur fait porter les mêmes fruits de mort, dans l'éducation et la société.

Un mot d'abord du principe de l'Université. C'est l'indifférence, en matière de religion. Est-ce que l'indifférence est possible ? ou plutôt, qu'est-ce que l'indifférence? Qu'est-ce qu'être indifférent entre les diverses religions? C'est ne mettre aucune différence entre elles, et les pratiquer toutes également ? Non... ce serait ridicule et invraisemblable. C'est donc les mépriser toutes, de la même manière ? Certainement. Mais mépriser le Dieu des chrétiens, celui des musulmans et tous les dieux possibles, qu'est-ce autre chose que n'avoir aucun Dieu ? Où est l'athéisme, s'il n'est pas là ? Le principe de l'Université d'Etat est donc, en réalité, l'athéisme. Et comment pourrait-il en être autrement, puisque l'Etat moderne est athée.

Et voyez comme l'Université est conséquente avec son principe? Pour ne parler que d'après ma propre expérience, dans les chaires de rhétorique que j'ai occupées, j'ai eu pour prédécesseurs immédiats ou presque immédiats un libre-penseur poussé jusqu'à la commune, deux protestants et un juif. L'Etat pouvait-il mieux pratiquer l'indifférence? Dans un des grands lycées de France, c'est encore un juif qui m'avait un instant préparé à la licence, et un juif qui avait essayé de m'enseigner l'Allemand. Jugez du reste.

D'après le même principe, l'Etat, sans conscience, mais respectueux de la conscience de chacun, fait demander, au moins dans les classes supérieures, aux adolescents à qui vient le premier poil, s'ils veulent oui ou non se confesser, vers Pâques.

Le système se pratiquait en grand, dans un lycée où j'ai professé. L'aumônier faisait, un à un, passer sous ses yeux, les futurs défenseurs de la démocratie. Voulez-vous ? ne voulez-vous pas ? Si oui on le confessait; si non allez-vous-en. C'était glacial comme une formalité ! Il n'en était pas toujours ainsi ; et nous avons vu, dans certain autre lycée, l'Etat, sous la forme des autorités administratives de l'établissement, rechercher les Pâques, les poursuivre à l'excès, les rendre le plus faciles possible. Ce n'était plus qu'un objet d'administration, de recrutement et de concurrence. L'Etat sortait de son immobilité, mais non de son athéisme, pour se faire hypocrite.

Si les maîtres peuvent être, sans que l'Etat se soucie de la vérité, religieux, protestants, juifs, libres-penseurs, voire mème catholiques, les élèves à leur tour, sont ou peuvent être eux-mêmes, catholiques, libre-penseurs,

juifs ou protestants. On admet tout dans ce capharnaum de l'enseignement public, dans cet ossuaire de la vieille et chrétienne société française.

Aussi quelle éducation commune, harmonieuse, quelle unité d'éducation pensez-vous donner à des recrues si diverses, élevées par des maîtres si différents, sous les auspices d'un Etat sans principe, ou plutôt dont le principe c'est de n'en avoir pas ! Du moment où le néant commande, c'est le néant qui sera le seul effet de l'éducation dans le monde universitaire.

Encore une fois, je laisse de côté les exceptions, et j'ai connu plus d'un martyr du devoir parmi les maîtres et les aumôniers. Quant aux enfants, ils sont heureux, lorsqu'ils sortent du lycée et du collège communal, où ils ont été pensionnaires, avec la foi ou un reste de la foi qu'avaient pu leur donner une mère, ou quelquefois même un père chrétien. Leur éducation est nulle. Ils passent du professeur d'histoire, qui est athée, au professeur de physique, darwiniste, au professeur de philosophie, évolutionniste, au professeur d'allemand, qui peut être un juif de la Silésie, pour rentrer dans l'étude, et y travailler, avec la cohue des opinions les plus contraires agitées dans leur cerveau, sous l'oeil d'un maître d'études qui rogne ses ongles ou lit un

roman.

Le dimanche on va à la messe; jadis on y allait aussi le jeudi. On va même à vêpres. On chante, où l'on crie, où l'on se tait, suivant l'humeur.

J'ai vu, dans un des plus grands Lycées, les élèves qui se préparaient à l'école polytechnique, fiers de leurs chiffres et de leur sottise, drapés dans leur insolence, entrer chaque dimanche à la chapelle, sans prendre d'eau bénite, s'asseoir sur leurs bancs, sans s'être agenouillés, riant, se bousculant, la chemise bouffante sur les reins, l'air débraillé, déhanché, la figure ignoble. Depuis six mois, après une révolte heureuse, ils tenaient les rênes du gouvernement dans cette maison modèle. En ce lycée il y eut deux révoltes en cinq ans sans compter les incidents moins graves. Un proviseur catholique dut partir; c'était un tyran; un autre, non moins bon et digne du plus grand respect, dut, après avoir été hué par les grands, chercher une autre position, où il pût être honnête en toute sécurité. Les révoltes sont habituelles dans l'Université; et j'ai gardé d'un troisième proviseur, chrétien ou à peu près, une lettre où il se plaint de l'ingratitude des enfants qui ont payé ses huit ans de régime paternel, (parlementaire serait mieux dit,) par une révolte, dans une des régions les plus catholiques de France.

J'ai enseigné, plusieurs années, dans un lycée qui eut

aussi, malgré la douceur des mœurs, mais par la force des choses, sa petite révolte. Le proviseur perdit la tête et renvoya, d'un coup, les grandes divisions. Chacun partit comme il voulait, et où il l'entendait. Je conserve la lettre d'un père qui se plaint amèrement que son fils, élève de troisième, bel adolescent, ait été livré complètement à luimême, sans que les parents fussent seulement avertis, jusqu'à l'heure où il lui plut de prendre le chemin de fer, et de retourner sous le toit paternel.

Revenons des proviseurs aux professeurs, de l'éducation de l'étude à celle de la chaire universitaire. Un trait toute une classe de trente élèves, je l'affirme, s'est perdue corps et âmes, sous la direction d'un professeur de rhétorique à moi connu, qui célébrait Robespierre et niait la la Providence, avec le même enthousiasme. Sait-on bien, dans le monde, quel effet peut produire sur les têtes ardentes des jeunes méridionaux, doux et vifs à la fois, impressionnables au-delà de toute expression, la prédication allumée d'un sectaire qui est assis dans une chaire de Lettres? Ces mêmes enfants, fous au sortir de la Rhétorique, formaient en troisième la réunion des têtes les plus candides et des cœurs les plus obéissants. Un proviseur chrétien, qui ne fit que passer dans ce pays, avait par hasard transfiguré le lycée, tant les enfants sont maniables au bien comme au mal!

L'un des soutenants de notre politique impie est sorti tout déformé des mains du misérable que j'ai indiqué plus haut. Son père était cependant un honnête homme; sa mère une pieuse femme de la campagne. L'éducation du lycée l'a perdu.

au

En somme, cette éducation, malgré la bonne volonté de quelques chrétiens isolés, est détestable, dortoir, où la prière ne veille pas, ni la robe du prêtre, à l'étude, où le plus souvent, une sorte de manoeuvre, sans amour, sans conscience, surveille des enfants sans obéissance et sans respect, en classe, où le professeur, s'il n'est pas chrétien (il l'est si rarement), par ses conclusions ou ses remarques malignes, désapprend la foi à ses élèves, les oriente vers le scepticisme, c'est-à-dire les désoriente, les égare, et aux joies pures de la religion et de la famille, substitue insensiblement les joies de l'orgueil et l'isolement de l'égoïsme. Je le demande à maintes mères de famille; leurs enfants sont-ils revenus du lycée tels qu'ils y étaient entrés, bons, affectueux et respectueux ?

Que j'en pourrais citer dont je vois, par souvenir, la figure marquéc, à 16 ans, de tous les caractères de la volupté, du découragement et de la dépravation! Tel qui entrait comme un ange, dans un internat officiel, était chassé l'an

née suivante, pour son immoralité. Il fallait pour cela, que la chose fût bien avérée; et le vrai coupable, dans la pensée des chefs, c'était moins l'élève que celui qui l'avait découvert. Sur les complaisances de certains administrateurs, pour retenir les élèves, sur leur morale facile, que j'aurais de choses faciles à dire du nord au midi, et de l'est à l'ouest !

Je peux citer beaucoup de faits particuliers. Je suis un témoin auquel Dieu n'a pas épargné les exemples; ma condition de catholique m'a fait envoyer, à diverses reprises, dans les pays les plus cléricaux. J'y ai fait ma synthèse d'après une moisson de faits abondants. Jugez du reste et des collèges situés en pays républicains ou radicaux !

Je connais personnellement un bon chrétien qui, dans son enfance, faillit être le martyr de toute une coalition d'élèves déjà grands, parmi lesquels et avec lesquels il fallait être coupable ou victime.

J'ose dire que, parmi mes camarades et professeurs célibataires, il n'en est pas un, peut-être, dont la conduite ait résisté à la tentation du plaisir, s'il n'était chrétien. Je ne sais si l'orgueil en préserva que je ne connais point! Mais tout ce que j'ai vu et connu, ou à peu près, quelque naïve et bonne que fût l'âme, naturellement, tout ce que j'ai vu, dis-je, de Normaliens et d'autres, ne tardait pas à tomber dans l'impureté la plus vulgaire. Certains vieux garçons me donnent encore des nausées, quand j'y pense; et le scepticisme dont s'armait ce fonds de libertinage, n'avait d'égal qu'une impartialité stupide et prétentieuse qui jugeait Dieu de haut, et toutes les religions, même le catholicisme, dans une balance équitable. » Les jeunes philosophes surtout, atteignaient l'idéal de la glace et du ridicule.

Avec une rhétorique sans bon sens, qui entretenait et justifiait les charités faites à la nature, pas l'ombre de gaîté sur tous ces visages universitaires, mais un froid mortuaire dont je ne citerai qu'un exemple: Après une cérémonie de première communion, l'évêque de...... reçut les professeurs du Lycée dans le salon du Proviseur. Sa Grandeur, tout en òtant ses vêtements de cérémonie, attendait un mot de la bouche d'un administrateur ou d'un maître. On était en cercle. C'était à qui ne parlerait pas, faute d'esprit cu de confiance. L'Evêque attendit si longtemps, qu'il s'en

alla.

Je dois ajouter qu'il y a, dans l'Université, des gens moraux et même des chrétiens pratiquants. Mais voulez-vous savoir quel est le lieu où l'on peut trouver tous les oripeaux des vieilles hérésies, et la friperie moins fanée des erreurs de notre siècle ? C'est dans cette peu réjouissante réunion

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