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Histoire des avocats au Parlement de Paris, 1300-1600, par R. Delachenal, in-8° Plon et Nourrit 1885.

Voici une des études les plus importantes qui aient été faites sur l'ordre des avocats. Elle se limite aux avocats du Parlement de Paris et à une période nettement déterminée. C'est la plus importante au point de vue historique, car c'est celle de la constitution des règlements que l'ordre a observés jusqu'en 1789 et que reproduisent dans ses traits essentiels les règlements des barraux modernes. Après 1600, l'histoire du barreau de Paris devient surtout l'histoire de l'éloquence judiciaire.

M. Delachenal, dans une introduction qui révèle des connaissances historiques très sûres, montre comment l'ordre des avocats a disparu en Gaule après la destruction des tribunaux romains pour ne reparaître qu'au XI' siècle devant les officialités et au xi siècle devant les cours séculières. Pendant cet intervalle de sept siècles, il y a cependant des praticiens, causidici, clamitores, avant-parliers qui assistent les parties devant les cours féodales en vertu d'un mandat spécial; car le besoin d'être représenté par un homme expérimenté est de ceux qu'aucune simplification judiciaire ne pourra jamais faire disparaître.

Au xi et au XIV siècles les ordonnances royales règlent la profession d'avocat : au xv° siècle avocats et procureurs forment à Paris une confrérie sous le vocable de S.-Nicolas, qui partage avec S.-Yves le patronage des confréries d'hommes de loi au moyen-âge. Cette confrérie a un chef qui comme dans toutes les autres confréries porte le bâton et est dénommé bâtonnier; mais en même temps elle forme une communauté dont le chef est le doyen. Au xvr° siècle les avocats abandonnèrent le gouvernement de la communaute aux procureurs et c'est ainsi que le bâtonnier est devenu leur véritable chef.

Dans une série de chapitres M. Delachenal étudie successivement l'inscription au tableau, le choix d'un avocat et la distribution de conseil, origine des désignations d'office, les places des avocats à la grand'chambre et leur distribution en trois classes, les consultants qui s'asseyaient sur les fleurs de lis et étaient appelés par le Parlement à témoigner des usages et coutumes en vigueur, les avocats plaidants, les stagiaires, la liberté de la parole et la responsabilité de l'avocat, le costume, le paiement des honoraires. Le chapitre sur les origines de l'institution des avocats du roi jette un jour tout nouveau sur l'histoire du parquet et la formation de la magistrature française. Ce volume est enrichi de nombreux documents inédits eproduits en appendice: il est écrit selon la méthode si précise de l'école des Chartes et par conséquent ne fait aucune place aux légendes apocryphes. Une série de notices biographiques sur les principaux avocats du parlement de Paris au xiv siècle le termine et constitue une sorte de répertoire chronologique de la plus grande utilité pour l'histoire générale. Nous espérons que le succès obtenu par ce premier ouvrage engagera M. Delachenal à continuer des études aussi intéressantes. C. J.

La paix publique selon la logique et l'histoire, par H. de FAVIERS, 1 vol. in-12, Plon et Nourrit 1885.

Il est plus facile de recommander cet ouvrage écrit dans un excel

lent esprit et avec une érudition très sûre, que de l'analyser. Dans une première partie, l'auteur suit dans l'histoire le développement des principes de justice, qui doivent assurer la paix entre les peuples par le respect du droit des gens et la paix dans l'intérieur de chaque nation par la constitution légitime du pouvoir. Dans la seconde il fait l'application de ces principes à l'histoire de la France et montre comment la formation territoriale du pays, et la dynastie nationale des Capétiens, régnant dans le système d'une monarchie chrétienne et représentative, se sont constituées sur leur base.

M. de Faviers montre tout le vice des faux dogmes de 1789 tels qu'ils sont posés dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen: il expose comment les renonciations du duc d'Anjou et le traité d'Utrecht à défaut de la ligne directe des Bourbons ont fixé la légitimité dans la branche d'Orléans. C'est dire que son livre entre dans le vif des questions contemporaines.

Du Règne social de Jésus-Christ et du triomphe de la Sainte-Eucharistie au xını' siècle, par le P. DE ROCHEMURE. 1 br. in-4 de 54 p., Delhomme et Briguet, Paris et Lyon, 1885.

Ce sont les idées qui gouvernent le monde; ce sont les doctrines et les aspirations d'un siècle qui, par la puissance ou la faiblesse des institutions, par l'élévation où la médiocrité des caractères le rendront fécond où stérile, aussi bien dans l'ordre politique et social, que dans l'ordre scientifique, artistique et littéraire.

L'auteur de Craintes et Espérances, petit livre où étaient exposés, l'an dernier, les motifs surnaturels de confiance dans l'avenir que peut suggérer l'observation attentive des évènements contemporains, recherche aujourd'hui dans son étude sur le Règne social de Jésus-Christ au XIII siècle, les causes intellectuelles et morales de l'épanouissement universel et ce l'incontestable grandeur de cet âge qui a contemplé, dans la politique, saint Louis et les Croisades; sur le Trône pontifical, Innocent III et Grégoire IX; dans la théologie, l'éloquence et la poésie sacrée, saint Thomas d'Aquin, saint Dominique, saint Bonaventure; dans les arts, enfin, le Giotto et les architectes de nos plus merveilleuses cathédrales.

Des faits nombreux, rappelés sommairement dans l'opuscule dont nous parlons, prouvent que l'éclat extraordinaire de cette époque, sa puissance créatrice et rénovatrice, ont simplement été le rayonnement tranquille et serein, à travers les choses du temps, de l'Homme-Dieu lui-même, en qui la foi vive et agissante de nos pères avait su voir le centre véritable et le foyer de l'existence des peuples aussi bien que de la vie individuelle. « Le triomphe social de Notre-Seigneur dont l'Eucharistie fut comme l'expression la plus vraie, le couronnement splendide, et en même temps, la récompense de cet admirable treizième siècle, qui mit Jésus-Christ au sommet de toutes ses gloires et de toutes ses tendances, autant que l'humaine faiblesse peut le comporter. »

Nous recommandons à nos lecteurs, cet excellent travail, dont la forme est des plus littéraires, et qui n'est pas moins bien écrit que solidement et judicieusement pensé.

A. G.

Le Gérant, J. BARATIER.

1500 Grenoble, imprimerie Baratier et Dardelct.

7254

DES

INSTITUTIONS ET DU DROIT.

(14"* Année.)

LES ORIGINES DE LA CIVILISATION MODERNE Par M. GODEFROID Kürth,

Professeur à l'Université de Liège (1).

Nous touchons à ce livre avec une certaine anxiété. Ce n'est pas, à notre sens, une tâche facile que celle de juger une œuvre de cette portée. Ecrite par un homme de grande science, de profonde érudition, d'un noble caractère, d'un style pur et original, et qui, de plus, est un ami, un compagnon d'armes, ne nous commande-t-elle pas, à tous ces titres, de laisser à d'autres plus habiles que nous le soin de l'apprécier? Peut-être ! Mais toujours est-il, qu'après avoir lu et relu, avec une satisfaction sans cesse grandissante, ces deux splendides volumes; après avoir savouré les pensées fécondes, l'érudition saine, revêtue d'un style entraînant, personnel, concis et vigoureux dont ils sont remplis, nous n'avons pu résister au désir de communiquer notre appréciation, quelle qu'elle soit, aux lecteurs de la Revue catholique des Institutions et du droit, et de leur retracer les grandes lignes de ce monument que vient d'élever M. Kürth. Nul organe de la publicité ne nous a semblé mieux placé pour présenter aux hommes d'étude, au public sérieux, l'oeuvre du savant professeur de Liége. La Revue, en effet, n'étudie-t-elle pas, dans le passé et dans le présent, les Institutions qui doivent refaire la vie du corps social? Ne fait-elle pas jaillir le droit des principes immuables du vrai et du juste, en même temps qu'elle interroge les faits qui lui donnent sa consécration et sa raison d'être? A ce point de vue, n'est-il pas du plus haut intérêt

(1) Deux magnifiques volumes gr. in-8° de XLVI, 387-313, Prix: 12 fr. - Louvain, Ch. PEETERS.

XLVII pp.
Vict. LECOFFRE, 1886.

14° ANN. IT SEM. 4° LIV. AVRIL 1886.

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Paris,

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pour ses lecteurs de savoir comment la civilisation moderne est née; sur quelles ruines elle s'est élevée, sous l'influence de quel souffle vivificateur elle s'est épanouie? Or, voilà précisément le programme que M. le professeur Kürth s'est tracé; voilà le problème auquel il a donné, à son tour, une solution magistrale, en homme de génie, en penseur profond, en coloriste habile, en orateur éloquent et sympathique.

Dès la préface de ce livre, on sent l'homme maître de son sujet, que dis-je, amoureux de son sujet, avec lequel il a vécu de longues années, qui lui a coûté des recherches patientes, des lectures à faire frémir la légèreté contemporaine, mais aussi des satisfactions sereines et pleines de grandeur. Comme les penseurs d'autrefois, dont il est l'héritier, il a sacrifié son repos, sa santé, à ses chères études; il a confié au lecteur ses amertumes du présent, en même temps qu'il regarde l'avenir avec l'inébranlable confiance du chrétien. Puisse Dieu lui commander encore d'autres ceuvres pareilles. Quand Dien commande, il donne la force d'accomplir. L'introduction nous présente une étude sur le principe civilisateur lui-même. La question y est posée et résolue avec une franchise et une netteté toute philosophique et toute chrétienne. Comme le dit avec raison l'éminent écrivain, cette question est de celles que le penseur doit résoudre de toute nécessité, au risque de flotter sans cesse dans le vague, dans l'incertain; au risque de se heurter constamment à des impossibilités. Nous voudrions voir nos hommes d'expédients, nos soi-disant librespenseurs, répondre aux déductions irrésistibles de M. Kürth.

A moins de se faire le champion du principe matérialiste, ou, comme on dit aujourd'hui, positiviste, on ne saurait admettre que la civilisation soit uniquement matérielle, qu'elle ne connaît que la matière, que l'intelligence et la morale n'y sont pour rien. C'est mentir à la nature même de l'homme, aux aspirations de celui-ci vers l'immortalité. La destinée de l'homme est donc un des facteurs essentiels de la civilisation, la destinée de la société en est un autre; mais celle-ci dépend nécessairement de celle-là. Or, la société antérieure au christianisme, que savait-elle en matière de civilisation? Bien peu de chose, en vérité, si ce n'est qu'elle avait conservé des aspirations vers un idéal qui, pour elle, était un rêve, une inconnue.

Les pages que consacre M. Kürth à cette grave question sont assez nombreuses, mais elles ne sont pas longues, tant elles sont étincelantes de vérité, de simplicité, de conviction. Aucun lecteur sérieux ne les passera; tous les liront comme nous avec une véritable jouissance, et se diront:

C'est beau, c'est vrai et c'est grand! Le terrain ainsi déblayé, l'Auteur entre de plein pied dans son sujet, il y est à l'aise. L'histoire se déroule sous sa main avec sa majesté, ses enseignements lumineux, dans son harmonie providentielle. L'écrivain nous présente d'abord la société qui s'écroule sous le poids de ses vices, de sa corruption, tout autant que sous les coups des barbares (ch. 1). En face d'elle, se dresse le monde germanique, dont l'organisation est étudiée avec une patience bénédictine, une grande élévation de vues et une non moins grande fermeté de jugement.

Au-dessus de la société qui s'effondre, et de celle qui grandit et va se transformer, plane l'Eglise, avec ses origines et ses destinées divines, avec sa puissante unité, ses doctrines surnaturelles, son désintéressement et son amour. Le 1e chapitre est radieux, magnifique, grandiose, plein de théologie rigoureusement scientifique, et par suite orthodoxe. Nous voudrions pouvoir le copier en entier, et le livrer à l'admiration des uns, à la critique impuissante des autres. Les trois combattants du champ clos où vont se décider les destinées de la civilisation moderne, sont désormais connus. Nous allons assister à présent à la lutte la plus gigantesque dont l'histoire fasse mention, et, faut-il le dire, cette lutte ne cessera qu'avec la fin des temps, lorsque le genre humain, sorti des mains de Dieu et retourné vers lui, aura définitivement accompli son rôle providentiel. L'Empire romain d'Occident se dissout le premier (ch. Iv); celui de Byzance survit, pour montrer au monde l'impuissance d'un pouvoir sorti des voies de la Providence. Ces empereurs, à part deux ou trois qui paraissent se souvenir qu'ils sont les ministres de Dieu pour le bien, ces empereurs sont misérables et ridicules à la fois; ils entraînent après eux la société dégénérée, aux destinées de laquelle ils président (ch. vi). Le monde germanique, au contraire, après avoir entassé les ruines, après avoir abattu ce qui était condamné à périr, se jette dans les bras de l'Eglise, dont la majesté, la douceur et une auréole divine qu'elle a au front, captivent ces natures pleines de sève et d'aspirations élevées, en dépit de leur mœurs et de leurs institutions. L'Eglise les assouplit, les purifie et les transforme; et les origines de la civilisation moderne allaient apparaitre, si l'hérésie arienne, s'attaquant à l'essence même du christianisme, n'était venu en arrêter l'essor (ch. vII).

C'est une histoire délicate, pleine de périls pour l'écrivain laïque, que celle de l'arianisme. Mais, c'est aussi une histoire riche en enseignements féconds, même au point de vue de l'histoire moderne. Si l'arianisme a entravé la marche de la civilisation aux premiers siècles de l'ère chré

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