Page images
PDF
EPUB

été bon, il est agréable en imitation comme bon, et que, s'il a été mauvais, il est agréable en imitation comme passé. » C'est à ce grossier mécanisme qu'il réduit les beaux-arts; on s'en est aperçu quand il a voulu traduire l'Iliade. A ses yeux, la philosophie est du même ordre. « Si la sagesse est utile, c'est qu'elle est de quelque secours; si elle est désirable en soi, c'est qu'elle est agréable. » Ainsi nulle dignité dans la science c'est un passe-temps ou une aide, bonne au même titre qu'un domestique ou un pantin. L'argent, étant plus utile, vaut mieux. C'est pourquoi « celui qui est sage n'est pas riche, comme disent les stoïciens, mais celui qui est riche est sage'. » Pour la religion, elle n'est que la « crainte d'un pouvoir invisible feint par l'esprit ou imaginé d'après des récits publiquement autorisés 2. » En effet, cela est vrai pour l'âme d'un Rochester ou d'un Charles II; poltrons ou injurieux, crédules ou blasphémateurs, ils n'ont rien

1. Nemo dat nisi respiciens ad bonum sibi.

Amicitiæ bonæ, nempe utiles. Nam amicitiæ cùm ad multa alia, tum ad præsidium conferunt.

Sapientia utile. Nam præsidium in se habet nonnullum. Appetibile est per se, id est jucundum. Item pulchrum, quia acquisitio difficilis.

Non enim qui sapiens est, ut dixere stoici, dives est, sed contra qui dives est sapiens est dicendus.

Ignoscere veniam petenti pulchrum. Nam indicium fiduciæ sui. Imitatio jucundum, revocat enim præterita. Præterita autem si bona fuerint, jucunda sunt repræsentata, quia bona. Si mala, quia præterita. Jucunda igitur musica, pictura, poesis.

2. Metus potentiarum invisibilium, sive fictæ illæ sint, sive ab historiis acceptæ sint publice, religio. Si publice acceptæ non sint, superstitio.

[ocr errors][ocr errors]

1

soupçonné au delà. — Nul droit naturel. « Avant que les hommes se fussent liés par des conventions, chacun avait le droit de faire ce qu'il voulait contre qui il voulait. » Nulle amitié naturelle. « Les hommes ne s'associent que par intérêt ou vanité, c'est-à-dire par amour de soi, non par amour des autres. L'origine des grandes sociétés durables n'est pas la bienveillance mutuelle. Tous dans l'état de nature ont la volonté de nuire.... L'homme est un loup pour l'homme.... L'état de nature est la guerre, non pas simple, mais de tous contre tous, et par essence cette guerre est éternelle. » Le déchaînement des sectes, le conflit des ambitions, la chute des gouvernements, le débordement des imaginations aigries et des passions malfaisantes avaient suggéré cette idée de la société et de l'homme. Ils aspiraient tous, philosophes et peuple, à la monarchie et au repos. Hobbes, en logicien inexorable, la veut absolue; la répression en sera plus forte et la paix plus stable. Que nul ne résiste au souverain. Quoi qu'il fasse contre un sujet, quel qu'en soit le prétexte, ce n'est point injustice. C'est lui qui doit décider des livres canoniques. Il est pape et plus que pape. Ses sujets, s'il l'ordonne, doivent

1. Omnis societas vel commodi causa vel gloriæ, hoc est, sui, non sociorum amore contrahitur.

Statuendum originem magnarum et diuturnarum societatum non a mutua benevolentia, sed a mutuo metu exstitisse.

Voluntas lædendi omnibus inest in statu naturæ.

Status hominum naturalis antequam in societatem coïretur, bellum. Neque hoc simpliciter, sed bellum omnium in omnes. Bellum sua natura sempiternum.

renoncer au Christ, au moins de bouche; le pacte primitif lui a livré sans réserve l'entière possession de tous les actes extérieurs; au moins, de cette façon, les sectaires n'auront pas, pour troubler l'État, le prétexte de leur conscience. C'est dans ces extrémités que l'immense fatigue et l'horreur des guerres civiles avaient précipité un esprit étroit et conséquent. Sur cette prison scellée où il enfermait et resserrait de tout son effort la méchante bête de proie, il appuyait comme un dernier bloc, pour éterniser la captivité humaine, la philosophie entière et toute la théorie, non-seulement de l'homme, mais du reste de l'univers. Il réduisait les jugements à « l'addition de deux noms, » les idées à des états du cerveau, les sensations à des mouvements corporels, les lois générales à de simples mots, toute substance au corps, toute science à la connaissance des corps sensibles, tout l'être humain à un corps capable de mouvement reçu ou rendu', en sorte que l'homme, n'apercevant lui-même et la nature que par la face méprisée, et

1. Corpus et substantia idem significant, et proinde vox composita substantia incorporea est insignificans æque ac si quis diceret corpus incorporeum.

Quidquid imaginamur finitum est. Nulla ergo est idea neque conceptus qui oriri potest a voce hac, infinitum.

Recidit ratiocinatio omnis ad duas operationes animi, additionem et substractionem.

Genus et universale nominum non rerum nomina sunt.

Veritas in dicto non in re consistit.

Sensio igitur in sentiente nihil aliud esse potest præter motum partium aliquarum intus in sentiente existentium, quæ partes motæ organorum quibus sentimus partes sunt.

rabattu dans sa conception de lui-même et du monde, pût ployer sous le faix de l'autorité nécessaire et subir enfin le joug que sa nature rebelle refuse et doit porter. Tel est en effet le désir que suggère ce spectacle de la restauration anglaise. L'homme méritait alors ce traitement, parce qu'il inspirait alors cette philosophie; il va se montrer sur la scène tel qu'il s'est montré dans la théorie et dans les mœurs.

VII

Quand les théâtres, fermés par le Parlement, rouvrirent, on s'aperçut bientôt que le goût avait changé. Shirley, le dernier de la grande école, n'écrit plus et meurt. Waller, Buckingham, Dryden, sont obligés de refaire les pièces de. Shakspeare, de Fletcher, de Beaumont, pour les accommoder à la mode. Pepys, qui va voir le Songe d'une nuit d'été, déclare « qu'il n'y retournera plus jamais, car c'est la plus insipide et ridicule pièce qu'il ait vue de sa vie. » La comédie se transforme; c'est que le public s'était transformé.

Quels auditeurs que ceux de Shakspeare et de Fletcher! Quelles âmes jeunes et charmantes! Dans cette salle infecte où il fallait brûler du genièvre, devant cette misérable scène à demi éclairée, devant ces décors de cabaret, ces rôles de femmes joués par

1. 1662.

des hommes, l'illusion les prenait. Ils ne s'inquiétaient guère des vraisemblances; on pouvait les promener en un instant sur des forêts et des océans, d'un ciel à l'autre, à travers vingt années, parmi dix batailles et tout le pêle-mêle des aventures. Ils ne se souciaient point de toujours rire; la comédie, après un éclat de bouffonnerie, reprenait son air sérieux ou tendre. Ils venaient moins pour s'égayer que pour rêver. Il y avait dans ces cœurs tout neufs comme un amas de passions et de songes, passions sourdes, songes éclatants, dont l'essaim emprisonné bourdonnait obscurément, attendant que le poëte vînt lui ouvrir la nouveauté et la splendeur du ciel. Des paysages entrevus dans un éclair, la crinière grisonnante d'une longue vague qui surplombe, un coin de forêt humide où les biches lèvent leur tête inquiète, le sourire subit et la joue empourprée d'une jeune fille qui aime, le vol sublime et changeant de tous les sentiments délicats, par-dessus tout l'extase des passions romanesques, voilà les spectacles et les émotions qu'ils venaient chercher. Ils montaient d'euxmêmes au plus haut du monde idéal; ils voulaient contempler les extrêmes générosités, l'amour absolu; ils ne s'étonnaient point des féeries, ils entraient sans effort dans la région que la poésie transfigure; leurs yeux avaient besoin de sa lumière. Ils comprenaient du premier coup ses excès et ses caprices; ils n'avaient pas besoin d'être préparés; ils suivaient ses écarts, ses bizarreries, le fourmillement de ses inventions regorgeantes, les soudaines prodigalités de

« EelmineJätka »