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entendant qu'on lui défend de jurer, rirait peut-être : à ses yeux, c'est là une affaire de bon goût, non de morale. Mais s'il entendait Addison lui-même prononcer ce que je viens de traduire, il ne rirait plus.

IV

Ce n'est pas une petite affaire que de mettre la morale à la mode. Addison l'y mit, et elle y resta. Auparavant les gens honnêtes n'étaient point polis, et les gens polis n'étaient point honnêtes; la piété était fanatique et l'urbanité débauchée; dans les mœurs, comme dans les lettres, on ne rencontrait que des puritains ou des libertins. Pour la première fois, Addison réconcilia le vertu avec l'élégance, enseigna le devoir en style accompli, et mit l'agrément au service de la raison.

« On rapporte de Socrate, dit-il, qu'il fit descendre « la philosophie du ciel pour la loger parmi les << hommes. Mon ambition sera qu'on dise de moi que « j'ai fait sortir la philosophie des cabinets et des bibliothèques, des écoles et des colléges, pour l'installer dans les clubs et dans les assemblées, aux << tables à thé et aux cafés. Ainsi je recommande fort particulièrement mes méditations à toutes les fa

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ludicrous phrases and works of humour? Not to mention those who violate it by solemn perjuries? It would be an affront to reason, to endeavour to set forth the horror and profaneness of such a practice. (Spectator, no 535.)

LITT. ANGL.

III - 25

« milles bien réglées, qui chaque matin réservent une heure au déjeuner de thé, pain et beurre, les « engageant, pour leur bien, à se faire servir ponc«tuellement cette feuille, comme un appendice des

cuillers et du plateau1. » Vous voyez ici un demisourire; une petite ironie est venue tempérer l'idée sérieuse; c'est l'accent d'un homme poli qui au premier signe d'ennui tourne, s'égaye, même à ses dépens, finement, et veut plaire. C'est partout l'accent d'Addison.

Que d'art il faut pour plaire! D'abord l'art de se faire entendre, du premier coup, toujours, jusqu'au fond, sans peine pour le lecteur, sans réflexion, sans attention! Figurez-vous des hommes du monde qui lisent une page entre deux bouchées de gâteau, des dames qui interrompent une phrase pour demander l'heure du bal: trois mots spéciaux ou savants leur feraient jeter le journal. Ils ne veulent que des termes clairs, de l'usage commun, où l'esprit entre de primesaut comme dans les sentiers de la causerie ordinaire; en effet, pour eux, la lecture n'est qu'une cau-`

1. It was said of Socrates that he brought philosophy down from Heaven, to inhabit among men; and I shall be ambitious to have it said of me that I have brought philosophy out of closets and libraries, schools and colleges, to dwell in clubs and assemblies, at teatables and in coffee-houses. I would therefore in a very particular manner recommend those my speculations to all well regulated families that set apart an hour in every morning for tea, and bread and butter; and would earnestly advise them for their good to order this paper to be punctually served up, and to be looked upon as a part of the tea equipage. (Spectator, no 10.)

2. Bohea-rolls.

serie et meilleure que l'autre. Car le monde choisi raffine le langage. Il ne souffre point les hasards ni les à-peu-près de l'improvisation et de l'inexpérience. Il exige la science du style comme la science des façons. Il veut des mots exacts qui expriment les fines nuances de la pensée, et des mots mesurés qui écartent les impressions choquantes ou extrêmes. Il souhaite des phrases développées qui, lui présentant la même idée sous plusieurs faces, l'impriment aisément dans son esprit distrait. Il demande des alliances de mots qui, présentant une idée connue sous une forme piquante, l'enfoncent vivement dans son imagination distraite. Addison lui donne tout ce qu'il désire; ses écrits sont la pure source du style classique; jamais en Angleterre on n'a parlé de meilleur ton. Les ornements y abondent, et jamais la rhétorique n'y a part. Partout de justes oppositions qui ne servent qu'à la clarté et ne sont point trop prolongées; d'heureuses expressions aisément trouvées qui donnent aux choses un tour ingénieux et nouveau; des périodes harmonieuses où les sons coulent les uns dans les autres avec la diversité et la douceur d'un ruisseau calme; une veine féconde d'inventions et d'images où luit la plus aimable ironie. Pardonnez au traducteur qui essaye d'en donner un exemple dans cette moqueuse peinture du poëte et de ses libertés : « Il n'est pas contraint d'accompagner la Na<< ture dans la lente démarche qui la mène d'une sai« son à l'autre, ou de suivre sa conduite dans la production successive des plantes et des fleurs. Il

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peut accumuler dans sa description toutes les beautés du printemps et de l'automne, et, pour être plus agréable, mettre tous les mois à contribution. Ses rosiers, ses chèvrefeuilles, ses jasmins fleuriront ensemble, et ses plates-bandes se couvriront en même temps d'amarantes, de violettes et de lis. « Chez lui le sol n'est point réduit à certaines sortes de plantes; il convient également au chêne et au myrte, et s'accommode de lui-même aux produits << de tous les climats. Ses orangers peuvent y croître << sauvages; il y aura des myrtes dans chaque haie; ⚫ s'il trouve bon d'avoir un bosquet d'aromates, il se « procurera en un moment assez de soleil pour le voir lever. Si tout cela n'est point assez pour lui « arranger un paysage agréable, il peut faire des espèces de fleurs nouvelles, aux parfums plus riches, << aux couleurs plus puissantes que toutes celles qui « croissent dans les jardins de la nature. Ses concerts « d'oiseaux peuvent être aussi riches et aussi harmonieux, ses bois aussi épais et aussi sombres qu'il le désire. Une vaste perspective lui coûte aussi peu qu'une petite; il peut aussi aisément lancer ses cascades sur un précipice haut d'un demi-mille que « sur un rocher de dix toises. Il a les vents à son choix, et peut conduire les cours sinueux de ses rivières par tous les détours variés qui charmeront « le mieux l'imagination du lecteur. Je trouve

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1. He is not obliged to attend her in the slow advances which she makes from one season to another, or to observe her conduct in the successive production of plants or flowers. He may draw into his

qu'Addison profite ici des droits qu'il accorde, et s'amuse, en nous expliquant comment on peut nous amuser. Tel est le ton charmant du monde. En lisant ce livre, on l'imagine encore plus aimable qu'il n'est; nulle prétention; jamais d'efforts; des ménagements infinis qu'on emploie sans le vouloir et qu'on obtient sans les demander; le don d'être enjoué et agréable; un badinage fin, des railleries sans aigreur, une gaieté soutenue; l'art de prendre en toute chose la fleur la plus épanouie et la plus fraîche, et de la respirer sans la froisser ni la ternir; la science, la politique, l'expérience, la morale apportant leurs plus beaux fruits, les parant, les offrant au moment choisi, promptes à se retirer dès que la conversation les a goûtés et avant qu'elle ne s'en lasse; les dames placées au premier

description all the beauties of the spring and autumn, and make the whole year contribute something to render it more agreeable. His rose-trees, woodbines, and jessamines may flower together and his beds be covered ad the same time with lilies, violets, and amaranths. His soil is not restrained to any particular set of plants, but is proper either for oaks or myrtles, and adapts itself to the produces of every climate. Oranges may grow wild in it; myrtles may be met with in every hedge; and if he thinks it proper to have a grove of spices, he can quickly command sun enough to raise it. If all this will not furnish out any agreeable scene, he can make several new species of flowers, with richer scents and higher colours, than any that grow in the gardens of nature. His concerts of birds may be as full and harmonious, and his woods as thick and gloomy as he pleases. He is at no more expense in a long vista than a short one, and can as easily throw his cascades from a precipice of half a mile high as from one of twenty yards. He has his choice of the winds and can turn the course of his rivers in all the variety of meanders that are most delightful to the reader's imagination. (Spectator, n° 148.) .

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