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tefois, l'esprit, considéré comme instrument, s'était exercé, les hommes à talens avaient trouvé moyen de se faire connaître, et ceux qui se distinguaient dans les écoles étaient presque sûrs d'obtenir les premières dignités de l'église; en sorte que l'aristocratie de l'esprit commençait à rivaliser avec l'aristocratie de la naissance.

Pierre Abailard fut l'objet d'une jalousie acharnée et de persécutions cruelles, en raison même de la supériorité de ses talens et de son immense réputation. Les querelles où il fut engagé occupent une place considérable dans ce recueil. On y trouve des lettres des évêques de la province de Sens, adressées à Innocent II, sur les erreurs de P. Abailard; d'autres des évêques de la province de Reims, sur le concile où il fut condamné; d'autres, enfin, du pape lui-même, par lesquelles il approuve cette condamnation (Tom. XV, pag. 391-398). On y trouve de nombreuses lettres de saint Bernard, qui, après avoir dénoncé Abailard à l'église, s'adressait tour-à-tour aux évêques qui devaient siéger en jugement sur lui, au pape, aux cardinaux, au chancelier de l'église romaine, pour empêcher qu'aucun d'eux ne montrật de merci à cet homme illustre, qu'il accablait de tout le poids de sa sainteté (Tom. XV, pag. 576). On y trouve enfin des lettres de Pierre-le-Vénérable en faveur de cet illustre proscrit. Le célèbre abbé de Cluny, après avoir intercédé auprès du pape pour le restaurateur des études, put enfin lui accorder an asile dans son couvent, et permettre à ce vieillard d'y mou. rir en paix. (Tom. XV, pag. 636.)

Quelques évêques, en voyant le zèle qui se manifestait dans toute la France, pour suivre l'enseignement dans les nouvelles écoles, crurent l'occasion favorable pour lever une taxe assez considérable sur les maîtres qui y donnaient des leçons. Alexandre III, avec un sentiment plus libéral, interdit aux évêques et aux écolâtres d'exiger de pareilles rétributions. Dans

plusieurs de ses lettres, il répète au clergé qu'il doit rendre gratis la doctrine, comme il l'a reçue gratis. (Tom. XV, pag. 890, 924, 951.)

Ainsi, l'on trouve, dans ce recueil, plus d'un monument propre à éclaircir l'histoire de cette puissante fermentation, qui échauffant au XII* siècle les têtes de tous ceux qui prétendaient à la science, multiplia infiniment les écoles, et fit faire des progrès considérables à l'érudition et à la philosophie scolastique. Mais les autres progrès de l'esprit humain n'y ont point laissé autant de traces. On lirait d'un bout à l'autre ces deux volumes de lettres, sans deviner qu'il existat en France d'autre littérature que la latine, tandis que la langue provençale avait à cette époque atteint un très-haut point de perfectionnement, que des milliers de poètes ou troubadours cultivaient dans cette langue la poésie lyrique, et que les trouvères, avec non moins de succès, cultivaient la poésie épique dans le roman wallon.

Nous nous permettrons de conclure l'examen que nous venons de faire de ces deux volumes, en prononçant que le P. Brial n'a point été assez sévère dans son choix. La plupart des lettres qu'il y a rassemblées avaient été imprimées ailleurs, dans la Collection des conciles, ou dans les œuvres de plusieurs saints: elles y étaient plus à leur place que dans le corps des historiens de France; car la plupart n'ont aucun rapport avec l'histoire. Nous nous sommes élevés contre la méthode suivie par les éditeurs dans les volumes précédens, de tronquer les historiens, et de faire un choix que chaque lecteur veut faire lui-même; mais nous parlions alors d'ouvrages destinés au public, de chroniques, de narrations qui forment un tout, et dont une partie ne peut être jugée que d'après l'autre. Certes, nous ne pensions pas à dire, ou que chaque ligne tracée par un homme public appartînt à l'histoire, ou que chaque homme en place et chaque prélat fût un personnage historique.

De vraies lettres familières, écrites par les vrais hommes historiques des tems passés, seraient un des plus riches présens que le public pût recevoir; mais le fatras qui remplit les trois quarts de ces deux volumes, n'est bon qu'à ruiner les achcteurs, à encombrer les bibliothèques, et à décourager les lecJ. C. L. DE SISMONDI.

teurs.

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1o. État de l'ANGLETERRE, au commencement de 1823, écrit officiel publié par le ministère britannique, et traduit par MM. P. A. DUFAU et J. GUADET. Seconde édition (1);

2o. SYSTÈME DE L'ADMINISTRATION BRITANNIQUE en 1822; par Charles DUPin (2);

3. DISCOURS prononcé par M. Charles DUPIN, à la séance publique de l'Institut, du 2 juin 1823 (3).

Depuis quelque tems, le gouvernement britannique donne à l'Europe un louable exemple, qui sera peut-être suivi par bien peu de cabinets. Car, il faut être bien fort et bien habile pour rechercher la critique, au lieu de la craindre. Une administration qui ne redoute point la lumière, prouve par cela même qu'elle veut le bien, et qu'elle le fait; ceuxlà seuls qui n'ont pour but que l'intérêt général, peuvent s'exposer sans alarmes au jugement de l'opinion publique.

Le père de M. Pitt disait avec raison que le seul secret du véritable homme d'état était de bien étudier et de bien chercher à connaître cette opinion, dont tant de gens et de partis se disent à tort les organes.

(1) Paris, 1823. Un vol. in-8°, Iv et 233 pag. Béchet aîné, quai des Augustins, no 57; prix, 4 fr.

(2) Paris, 1823. Un vol. in-8°. Bachelier, quai des Augustins, no 55; prix, 3 fr.

(3) Paris, 1823. Brochure in-8°. Bachelier.

Ce qui constitue la plus grande force du gouvernement anglais, c'est que, prenant toujours, autant qu'il le peut, cette opinion pour guide dans ses opérations, il est certain de l'avoir pour appui, et qu'alors il agit en toutes occasions, non avec une force individuelle, mais avec une force nationale.

C'est ce qui explique comment un pays si peu étendu fait de si grands prodiges, en accroissement de richesses, en extension de commerce, en succès militaires, et en influence politique.

Je regarde donc les deux tableaux que le ministère a publiés pour nous présenter l'état de l'Angleterre en 1822 et en 1823, comme les documens les plus précieux et les plus utiles pour les hommes d'état de tous les pays. Car, en mettant à part les moyens d'application qui doivent varier suivant les mœurs des nations et la nature de leurs institutions, on est certain au moins de trouver, dans ces comptes rendus, vrais principes de la prospérité publique.

les

C'est surtout aux hommes d'état de la France qu'il est plus nécessaire d'étudier et de méditer ces tableaux. La conformité des bases de notre gouvernement avec celles du gouvernement représentatif anglais, nous donne plus de possibilité qu'à d'autres d'imiter des travaux que notre rivalité ne peut nous empêcher d'admirer. Quand la rivalité dégénère en haine; elle ne produit que des malheurs, c'est lorsqu'elle porte à une noble émulation, qu'elle devient utile à l'humanité.

Les deux états de l'Angleterre, traduits sur la quatrième édition anglaise par MM. Dufau et Guadet, sont d'une telle importance qu'il serait impossible, dans les bornes étroites que la Revue nous prescrit, d'en donner une satisfaisante analyse.

Lorsqu'il est question d'une production littéraire, on peut choisir et citer les plus beaux morceaux ; mais ici, tout est

à peser, à juger; ce sont partout des faits prouvés par des chiffres, ou des systèmes opposés, soutenus par de graves argumens qu'on affaiblirait en les analysant.

Cependant, comme il ne suffit pas de dire, lisez ; nous essaierons, pour faire mieux sentir l'utilité de ces écrits, de retracer en peu de mots l'impression que la lecture du premier tableau et de profondes observations sur les lieux mèmes ont faite dans l'esprit d'un excellent citoyen, d'un savant distingué, M. Charles Dupin, membre de l'Institut, dont la plume éloquente est consacrée aux sciences, à la patrie et à l'humanité : puisse-t-il continuer long-tems avec la même activité ses travaux utiles, dont il nous fait partager les fruits, et ses voyages dans lesquels il cherche assidument les lumières qu'il aime à répandre !

M. Dupin, dans un écrit intitulé: Système de l'administration britannique en 1822, s'est proposé de présenter le tableau résumé des moyens employés par l'administration britannique dans le court espace d'une année pour améliorer la fortune de l'état et le bien-être des citoyens. Il joint à ces résultats les observations qui sont le fruit de cinq voyages dans les trois royaumes d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande; il cherche surtout les rapprochemens et les conséquences qui peuvent nous offrir quelque but d'amélioration et de perfectionnement sur les grands objets d'utilité publique, au sujet desquels il importe le plus de répandre des idées justes et

étendues.

<< Chez un peuple libre et fier, disait, en 1821, l'historien de l'administration britannique, les ministres ne peuvent se soutenir que par le sentiment qu'inspirent leur capacité et leur caractère : là, le caractère est influence; l'influence est pou-voir; et ce pouvoir d'influence atteint jusqu'au but où ne saurait arriver le pouvoir matériel de la loi, ni la force physique de l'autorité. Enfin, l'attachement du peuple pour son gouver

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