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raient-elles inexactes? Si j'ai été égaré, mon esprit n'y a jamais eu la moindre part ; je n'en dirai pas de même de mon cœur.» On n'avait pas besoin de cette déclaration pour croire à la véracité du voyageur: d'ailleurs., ses observations sont d'accord avec ce que l'on savait déjà sur ce pays intéressant. Ses descriptions sont animées, et pleines de l'enthousiasme dont il s'accuse, lorsqu'il s'agit des Tyroliens; il est clair, précis et instructif, quand il parle des arts et de l'agriculture : en présence des grands objets que les Alpes tyroliennes mettent sous ses yeux, son pinceau paraît un peu faible. Si l'on veut voir, par exemple, le Tyrol méridional dans toute sa majesté, on fera bien de lire la Lettre de M. Léopold de Buch à M. de Humboldt, inserée dans lés Annales de Physique et de Chimie, le meilleur de nos recueils consacrés aux sciences. Le savant minéralogiste n'a voulu que décrire avec exactitude; il l'a fait, et ses tableaux sont d'une grandeur qui étonne l'imagination. M. Marcel de Serres n'a point négligé les ornemens littéraires : la citation suivante donnera une idée de son style. L'auteur est arrivé au pied des glaciers de Floch-Joch, dans le hameau de Fender, où il doit passer la nuit.

« Lorsque je fus un peu remis de mes fatigues, je sortis un instant pour jouir d'une belle soirée d'été au pied des glaces éternelles. Qui pourrait peindre les impressions que l'on éprouve, en écoutant dans le calme de la nuit ce bruit mystérieux du vent de la forêt, si doux à côté du fracas des torrens qui tombent de la cime des monts! Le murmure du zéphir à travers la feuillée me rappelait ces tendres soupirs qui s'échappent d'une âme doucement émue, tandis que le bruit sourd et lugubre du torrent me redisait les agitations d'un cœur tourmenté par des passions violentes. Les cris des oiseaux nocturnes interrompaient par intervalles ce bruit monotone, et en se mariant avec le belement des troupeaux, ils annonçaient la présence de la vie. Dans ces lieux solitaires, je me laissai al

ler à toutes les sensations qui se pressaient en foule dans mon esprit. Au milieu de toutes ces impressions pour moi si nouvelies, la cloche du hameau vint élever mon ame vers de plus hautes pensées. L'idée d'un Dieu consolateur ne me parut jamais si douce qu'au milieu de cette solitude. Ainsi, l'espérance se mete toujours à nos pensées les plus amères, et de tous les dons du ciei, eile nous abandonne la dernière. >>

Il est pénible de le dire : ce style, qui ne serait pas très-bon dans un roman, est tout-à-fait déplacé dans un livre instructif. M. Marcel de Serres n'a pas donné à cet ouvrage les soins qui l'auraient mis au niveau de ses autres écrits. Il a pensé que le récit de ses voyages devait conserver l'empreinte des affections diverses que le voyageur éprouvait en présence des objets; que ses peintures seraient plus naïves et plus aimables, s'il conservait les formes et le coloris de ses premières esquisses. Nous autres spectateurs ou lecteurs, nous préférons les tableaux achevés, et les livres bien rédigés. Nous savons que des notes écrites en voyage, quelquefois à la hate, dans des dispositions de corps et d'esprit extrêmement variées et souvent pénibles, ont besoin d'être revues avant d'être livrées à l'impression: que si on les reunit telles qu'elles sont, elles peuvent composer des volumes, et non pas un livre. Mais, comme nous l'avons dit au commencement de cet article, les lecteurs n'imiteront pas la sévérité à laquelle nous sommes condamnés; ils prendront ce que l'ouvrage de M. Marcel de Serres contient d'agréable et d'utile, et ils y trouveront beaucoup à prendre.

FERRY.

OEUVRRS DE FILANGIERI, traduites de l'italien. Nouvelle édition, accompagnée d'un Commentaire, par M. BENJAMIN CONSTANT, et de l'Éloge de Filangieri; par M. SALFI (1).

Deux conditions paraissent nécessaires pour favoriser l'essor des sciences politiques chez un peuple : il faut d'abord que les esprits soient préparés aux recherches spéculatives par un certain degré de culture philosophique; il faut ensuite que la situation intérieure de ce peuple, ou ses rapports avec d'autres états, appelant l'attention sur les ressorts du gouvernement et sur les principes de la législation, aient fait, des questions qui s'y rapportent, un objet d'intérêt public.

La première de ces causes se déploya avec énergie, dans le cours du dix-huitième siècle : les progrès de la politique furent un résultat nécessaire des lumières générales qui se répandaient sur toutes les branches des connaissances humaines. L'esprit philosophique, c'est-à-dire, cet esprit d'examen qui soumet à l'épreuve de la raison ce qui reposait sur l'autorité de la coutume, après avoir porté l'investigation dans le domaine de la nature, après avoir sondé les profondeurs d'un monde non moins obscur, de l'intelligence humaine, ne pouvait rester indifférent devant la machine compliquée de l'ordre social; il devait infailliblement en interroger toutes les parties avec un regard curieux.

Le livre de Montesquieu, en créant, pour ainsi dire, la

(1) Paris, 1822. Dufart, quai Voltaire, no 19. Six vol. in-8°; prix, 36 fr.

science, la popularisa d'abord. Ses généralisations hardies, ses divisions neuves, les applications multipliées par lesquelles il dévoile la constitution secrète des états, et enfin la vigueur d'un génie maître de son sujet, tout concourut à donner aux esprits une impulsion puissante. L'Italie n'y resta point étrangère. Les noms de Beccaria et de Filangieri suffisent pour le témoigner. Ce dernier, dont les méditations s'étaient tournées de bonne heure vers l'étude de l'organisation sociale, fut frappé de l'influence des institutions; il en aperçut la rela→ tion intime avec la prospérité des états et le bonheur des hommes. Voyant l'imperfection des législations existantes, il conçut l'idée d'une vaste réforme, et le désir de réaliser les conceptions de la philosophie. Montesquieu avait demandé à l'histoire les résultats pratiques de l'expérience; et, démêlant l'esprit de tant de lois diverses, il s'était contenté d'expliquer ce qui existe: Filangieri, interrogeant la philosophie spéculative, voulut opposer aux abus le tableau complet de ce qui doit être, ou du moins de ce qui pourrait être, et il entreprit son grand ouvrage, la Science de la législation. Ce livre, plein d'excellentes vues, toujours dictées par l'amour de l'humanité, fit école en Italie, et obtint un succès mérité dans toute l'Europe.

Cependant, depuis sa publication, le mouvement imprimé aux esprits ne s'est pas ralenti; et en même tems, une seconde cause, non moins énergique, non moins efficace, a concou-ru aux progrès de la science politique. En moins d'un demisiècle, les graves événemens qui ont changé la face des deux mondes, les nombreuses expériences que le genre humain a subies sur lui-même, les luttes fréquentes des peuples entre eux, ou avec les gouvernemens, ont donné aux uns et aux autres de salutaires enseignemens, et prêté aux théories de sévères et instructifs commentaires. Mais enfin, quelque dur qu'ait été l'apprentissage, les leçons de l'expérience n'ont pas

été perdues pour les esprits méditatifs; et, sans parler des résultats pratiques que les peuples ont obtenus ou réclamés pour l'amélioration de l'ordre social, carrière où l'on peut suspendre leur marche, mais non arrêter leur pensée, on ne peut nier que la spéculation du moins ne se soit enrichie de quelques idées nouvelles.

Il est donc possible que l'ouvrage de Filangieri, expression de la raison publique, à l'époque où il fut écrit, ne soit pas toujours à la hauteur des opinions qui se sont formées depuis sur certaines matières, encore neuves de son tems. Pour remplir ces lacunes inévitables, l'édition qui paraît aujourd'hui est accompagnée d'un commentaire destiné à recomposer en quelque sorte la chaîne d'idées qui lie le passé au présent, et qui forme la transition du dix-huitième siècle au dix-neuvième. Un publiciste dont le talent et la célébrité doivent donner à ce travail un nouveau degré d'intérêt, M. Benjamin Constant, s'est proposé de rectifier ce que les idées de Filangieri peuvent avoir d'inexact, de les développer quand elles sont vagues ou incomplètes, de combattre enfin quelques erreurs dont il n'a pu s'affranchir. Il paraîtra sans doute naturel que nous donnions une attention plus particulière au travail du commentateur, qui nous offrira les moyens de comparer les principes autrefois admis en législation et en politique, avec ceux que professent de nos jours les hommes

éclairés.

Quelques observations de l'auteur italien sur le perfectionnement de l'art militaire, et sur la conversion des princes au système pacifique, ont donné à M. Benjamin Constant l'occasion de reproduire ses vues ingénieuses et profondes sur la marche des sociétés modernes (1). La question n'a rien per

(1) Ce sont les idées déjà si bien exposées dans le livre sur la Conquête et l'Usurpation, mais présentées avec de nouveaux développemens.

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