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fonctions, tendant à lui faire baisser ou déposer les armes, sera regardé comme séditieux, et sera puni d'un emprisonnement qui ne pourra excéder deux années.

M. Pétion paraît à la tribune. (L'assemblée est vivement agitée.)

M. Pétion. Je désirerais seulement entendre une seconde lecture du projet, afin de connaître positivement ce qu'il contient. Voilà le seul motif qui m'a fait monter à cette tribune.

M. Regnaud fait une seconde lecture du projet.

M. Pétion demande la parole.!

On demande à grands cris, dans toutes les parties de la salle, à aller aux voix.

M. Pétion. Le moment dans lequel je parle est peu favorable à l'opinion que je veux défendre; mais je la défendrai cependant avec l'intime conviction qu'une partie du premier article du projet qui vous est présenté est funeste à la liberté de la presse. (On entend dans la partie gauche de la salle ces mots répétés par divers membres: Oui, funeste à Marat, Brissot, Laclos, Danton!) L'article contient des expressions à l'aide desquelles on pourrait rendre des jugemens très-arbitraires. (On entend des applaudissemens dans la partie gauche, et dans la galerie placée en face de M. le président.) On n'a pas cru que je m'éleverais contre la totalité de l'article; du moins on n'a pas dû le croire. L'article porte: Toutes personnes qui auront provoqué la désobéissance à la loi. Personne plus que moi ne respecte la loi. (Les murmures sont étouffés par les applaudissemens.) Les murmures ne m'empêcheront pas de continuer; car je défie qu'on me reproche une seule action dont un honnête homme puisse rougir. (De plus nombreux applaudissemens recommencent.) Je respecte la loi et j'engage à la respecter. (Quelques murmures, quelques applaudissemens.) Il est bon d'observer que l'article pourrait donner lieu à une multitude de persécutions. Lorsqu'une loi est rendue, certainement il faut y obéir; mais il est permis à tout citoyen de l'examiner, d'établir qu'elle n'est pas conforme aux principes de la raison et de la justice.

(Quelques murmures.) J'ai écrit avec liberté sur une loi; on me dira que j'ai affaibli le respect qui lui était dù »; on me dira : « Si vous n'aviez pas écrit, l'on n'aurait pas désobéi. » C'est donc vous qui avez provoqué la désobéissance. Voilà comme on parvient à tuer la liberté de la presse. (Une voix s'élève: C'est pour Brissot que vous parlez là.) Je m'élève de toutes mes forces contre ceux qui provoquent au meurtre. Celui qui dit : Désobéissez à la loi, est coupable; mais....

M. Regnaud de Saint-Jean-d'Angely. Je propose de mettre après ces mots: Toutes personnes qui auront provoqué le meurtre, l'incendie, le pillage, ceux-ci: ou conseillé formellement la désobéissance. »

Cette proposition est adoptée..!

Les articles proposés par M. Regnau sont décrétés.

M. Garat l'aîné. Les lois de toutes les nations qui ont voulu pourvoir à la sûreté publique, ont eu soin de prévoir les mesures indirectes par lesquelles on pourrait y porter atteinte. C'est contre ces provocations indirectes qu'il faut se prémunir. (On demande l'ordre du jour) Sans dire: désobéissez à la loi, on peut, en parlant avec trop de liberté, avec licence.... (Les cris redoublent; l'ordre du jour !)

M. Barnave. Le moment où l'assemblée indique aux citoyens le respect qu'ils doivent avoir pour la loi, est aussi celui où elle marquera son profond respect pour la liberté, et sa haine pour toate mesure qui pourrait amener l'arbitraire.

L'assemblée, interrompant M. Barnave, passe à l'ordre du jour.]

Voici maintenant la narration de Desmoulins, que nous avons annoncée.

Camille Desmoulins envoyant à la Fayette sa démission de

journaliste.

Nous avions tort, la chose est par trop claire;

Et vos fusils ont prouvé cette affaire.

« Libérateur des Deux-Mondes, fleur des janissaires-agas, phénix des alguazils-majors, don Quichotte des Capets et des

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deux chambres, constellation du Cheval blanc, je profite du premier moment où j'ai touché une terre de liberté, pour vous envoyer ma démission de journaliste et de censeur national, que vous me demandez depuis si long-temps, et que je mets aux pieds de M. Bailly et de son drapeau rouge. Je sens que ma voix est trop faible pour s'élever au-dessus des clameurs de vos trente mille mouchards, et d'autant de vos satellites; au-dessus du bruit de vos quatre cents tambours et de vos canons chargés à raisin. D'ailleurs, sur quels mémoires écrire aujourd'hui un journal? J'avais jusqu'ici médit de votre altesse plus que royale, en grande partie sur les mémoires des honorables membres Lameth, Barnave et Duport; c'est sur leur caution, autant que d'après ma portion congrue d'intelligence, que je vous dénonçais aux 83 départemens comme un ambitieux qui ne vouliez que dominer, un esclave de la cour, pareil à ces maréchaux de France à qui la Ligue avait donné le bâton, et qui se regardant comme Lâtards, cherchent à se faire légitimer; enfin, c'est sur leur garantie autant que sur les faits, que je vous regardais comme un conspirateur contre le peuple, et un traître plus dangereux que Bouillé. D'un autre côté, quand vous n'auriez pas dans mille et un journaux peint les Lameth des plus noires couleurs; Brissot, que vous avez trompé si indignement, nous a dé claré que vous ne lui parliez qu'avec le plus profond mépris de ces personnages avec qui vous êtes maintenant lié. A vous entendre rendre ce témoignage, il était difficile de juger lequel était un plus grand vaurien, et voilà que tout à coup vous vous embrassez tous deux, vous vous proclamez l'un et l'autre les pères de la patrie, et vous dites à la nation: Fiez-vous à nous, nous sommes des Cincinnatus, des Washingtons, des Aristides. Auquel croire de vos deux témoignages, de celui de la veille ou de celui du lendemain? Et quelle sera la caution du journaliste?... Il ne peut plus même croire aux preuves juridiques; il vous arrive une fois de venir aux Jacobins; Danton vous y accuse de 4 ou 5 crimes capitaux vous ne pouvez pas vous justifier d'un seul, vous passez condamnation : qu'en résulte-t-il? Ce n'est pas

votre tête qui tombe; c'est vous qui proscrivez celle de Danton." D'après ces deux faits, il est bien inutile de nous obstiner plus longtemps à nous charger de la haine de tous les mauvais citoyens, et à nous dévouer à leurs poignards. Je l'ai dit ailleurs, ce n'est pas à un Romain à descendre dans l'arène et à combattre les bêtes féroces pour amuser des esclaves. Si les faits qui précèdent ne me justifiaient pas assez de quitter un poste où je n'ai point été placé par la patrie, et où moi seul, je me suis constitué sentinelle, qui osera me condamner d'abandonner la presse à la vénalité, à la servitude et au mensonge, d'après les faits qui suivent, et le court exposé que je vais faire de l'audace des tyrans de la capitale et de leurs forfaits d'un seul jour?

Comme les Pyrénées-Orientales, comme la ville de SaintClaude, comme celle de Marseille, et comme tant d'autres dont l'assemblée nationale a supprimé lâchement les adresses, la trèsgrande majorité des citoyens de Paris s'indignait de l'obstination de nos représentans à donner pour chef au peuple français un vil parjure; et à remettre le sceptre dans une main que la loi condamnait pour ses nombreux crimes de faux à être séparée du bras par la hache de Samson. Alexandre Lameth avançait pourtant à la tribune que l'opinion de ceux qui, en remettant à Louis XVI la peine afflictive, demandaient qu'il fût déchu de la couronne, était une opinion factice et d'une poignée de factieux. Voyons, disaient ceux-ci, si nous sommes quelques factieux ou la presque unanimité de la nation. Le décret nous accorde le droit de pétitionner: signons une pétition; on comptéra les signatures. Brissot rédige une pétition constitutionnelle, irréprochable, digne de la majesté du peuple, et telle qu'elle allait être couverte avant quinze jours de plus de dix-huit millions de signatures. La foule de signataires qui se pré sentent indique le champ de la fédération, comme le seul convenable à une si grande affluence, et l'autel de la patrie, pour écarter l'idée de factieux et de mauvais citoyens. L'inviolabilité de l'autel les rassurait. Ils veulent encore se mettre plus à couvert, douze députés (j'étais du nombre) sont envoyés à la municipalité, pour la prévenir du rassemblement et

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de la pétition. Vous êtes dans le chemin de la constitution, nous dit le procureur-syndic Desmousseaux, et la loi vous couvre de son inviolabilité. Cependant leur conscience glace d'effroi et les pères conscrits, et les municipaux, et le commandant-général, et tous les traîtres. Ils craignent l'émission du vœu du peuple de Paris, qui va bientôt devenir le vœu de toute la France, et leur jugement prononcé par la nation en personne, séante en son lit de justice, en son Champ-de-Mars. Comment faire?... la loi martiale?... Mais le moyen de la publier contre des pétitionnaires tranquilles et sans armes, qui ne font que suivre les décrets? Voici ce qu'ils imaginent : ceux qui avaient fait pendre un homme, le boulanger François, pour nous donner la loi martiale, en font pendre deux pour la mettre à exécution. L'assemblée était indiquée pour le lendemain 17, à l'autel de la patrie. La nuit du 16 au 17, deux hommes s'introduisent sous l'autel : un jeune homme qui avait obtenu de son père la permission d'aller copier les nouvelles inscriptions de l'autel de la patrie, en les transcrivant seul à quatre heures du matin, entend travailler, court en avertir ceux qu'il rencontre, et revient avec une centaine de citoyens. On lève une planche; on trouve deux hommes feignant de dormir, et auprès d'eux des vivres et un tonneau. Le peuple ne les pend point: il veut découvrir la vérité; il les mène au comité de police le plus voisin. Point de commissaire; personne. La foule augmente autour des deux hommes. Ils disent qu'on leur a promis 25 louis de rente viagère, s'ils se cachaient sous l'autel ; qu'ils n'avaient point de mauvais desseins. Les mouchards, les gens apostés, craignant sans doute une plus grande révélation, contrefont les patriotes enragés, se jettent sur ces deux hommes et les mettent en pièces, deux heures après leur arrestation; et ni la garde, ni le commissaire n'étaient venus pendant ces deux heures. Et deux ou trois hommes portent les deux têtes au bout d'une pique, et on les laisse long-temps se promener dans Paris. On voulait préparer les citoyens par l'horreur de ce spectacle à supporter la loi martiale. Aussitôt la nouvelle se répand avec la rapidité de l'éclair qu'on a coupé deux têtes, et voilà qu'on calomnie

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« EelmineJätka »