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glin, que M. Bouillé et lui ont tout préparé de concert avec plusieurs complices qu'il nomme, et dont quelques-uns sont arrêtés : le nom du roi, comme principal moteur, ne se trouve dans aucune des pièces saisies chez eux, dans aucune de leurs lettres interceptées. Au milieu de ce silence, sans aucune preuve formelle, lorsqu'il est possible que le roi ait été trompé en effet, conclurons-nous, contre toute règle, et avec plus de rigueur que s'il était question d'un simple particulier, que le roi cependant est le complice du général Bouillé?

Mais à défaut de pièces expresses, nous dira-t-on, le manifeste du roi, joint à sa fuite, prouve assez sa complicité. Le roi dit dans son manifeste qu'il ne veut pas de la constitution; qu'il en veut une autre; qu'il veut régner, et qu'il le veut à cette unique condition. J'adopterai, si l'on veut, toutes les conséquences de ces assertions; j'observerai seulement qu'on peut vouloir une autre constitution sans avoir des projets hostiles. Eh! Messieurs, quels moyens ne nous donneraient pas nos adversaires, s'ils niaient cette proposition! Quelques-uns d'entre eux, un certain nombre de Français, plusieurs journalistes surtout, ne veulent pas de la constitution; ils nous parlent, ceux-ci, de chasser le monarque, et de donner à son fils un conseil de régence; ceux-là, de le conserver, mais de lui donner un conseil qui aura voix délibérative; ceux-là, enfin, de chasser les rois, et d'établir à leur place un conseil exécutif nommé par les quatre-vingt-trois départemens... Certainement ces propositions ne tendent à rien moins qu'à changer la forme du gouvernement; elles font plus dans mon opinion: elles tendent à substituer l'anarchie à la place du règne des lois, et peut-être même à ramener le despotisme; et quand tout cela ne pourrait pas se démontrer, toujours serait-il vrai qu'elles tendraient à amener la guerre civile; car moi, par exemple, et je suis sûr qu'un très-grand nombre de Français pensent de même; moi, dis-je, je déclare ici qu'il faudra me

de Royal-Allemand pour se ressaisir du roi au moment de son arrestation, le roi lui a envoyé l'ordre de rétrograder et de ne se livrer à aucun acte hostile.>> (Note de l'orateur.)

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poignarder, me chasser de la France tout au moins, avant que je laisse parmi nous l'administration suprême, sous quelque forme que ce puisse être, passer dans les mains de plusieurs. (La majorité de l'assemblée applaudit à plusieurs reprises.) Ces propositions, Messieurs, sont donc contre révolutionnaires. Elles ont cependant été affichées avec profusion dans toutes les rues; on en a agité toutes les sociétés ; des journalistes les impriment et les établissent dans toutes leurs feuilles en conclurons-nous, Messieurs, que leur intention est d'établir cette constitution nouvelle, c'est-à-dire de faire cette contre-révolution par des moyens violens? Non, Messieurs, ces hommes, dangereux sans doute, ne sont pas encore des factieux, et ils le seraient si telle était leur intention. Ils veulent le bien, soit; ils ne veulent d'autre armé que la raison, soit encore; mais pourquoi prétendent-ils que Louis XVI n'a pas pu vouloir user des mêmes moyens qu'eux pour opérer les changemens qu'il méditait? Qu'ils soient justes, du moins, s'ils ne veulent pas que nous croyions qu'ils ne poursuivent Louis XVI que par une consé, quence de leur funeste système..

Louis XVI trompé, comme se trompent les partisans de tout conseil exécutif quelconque, Louis XVI a pu vouloir, du sein d'une place qui le mettait à l'abri de ce qu'on lui avait dit être la fureur du peuple, faire des observations à l'assemblée; il a pu croire que ses raisons triompheraient; il a pu ignorer qu'on voulait le faire servir à des projets violens; et de ce que la preuve expresse n'est nulle part qu'il ait eu connaissance de ce complot, j'en conclus, moi, qu'il l'a effectivement ignoré.

Je reprends mes conséquences, et je pose d'abord en principe (quoique je sois le partisan de l'inviolabilité absolue; quoique je pense qu'un roi, pour ses actes publics et privés, ne doive pas être poursuivi devant les tribunaux, parce que, la matière des délits étant indivisible, un roi pourrait être accusé pour un délit de police comme pour un assassinat; parce qu'un roi accusé à faux, comme il le serait sans cesse par des factieux, ou par de ces hommes qui se croient grands lorsqu'ils s'attaquent à ce

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qu'il y a d'élevé, serait sans cesse dans les liens de quelque décret, et pourrait se trouver éternellement suspendu de ses fonctions, et laisser l'État sans gouvernail); je pose, dis-je, en principe, que je ne crois pas que cette inviolabilité puisse mettre à couvert un roi conspirateur qui quitterait son poste pour se mettre à la tête d'une armée ennemie; un tel coupable ne pourrait, à la vérité, être jugé par les tribunaux tant qu'il n'aurait pas cessé d'être roi; mais dès l'instant qu'un roi agit pour réaliser de tels projets, il cesse de l'être; et, quoique la loi ne soit pas faite, la sainte loi de l'insurrection, préexistante à tout ordre social, donnerait encore le droit de le chasser. Si donc, en effet, le roi était allé se mettre en connaissance de cause à la tête du projet de M. Bouillé, j'opinerais à l'instant pour qu'il fût détrôné; mais cette preuve ne m'est pas acquise, et je m'arrête religieusement à cette raison puissante: seulement, Messieurs, je demanderai que l'assemblée déclare formellement qu'un roi qui quittera son poste pour aller se mettre à la tête d'une armée ennemie, par le seul fait de son action hsotile contre l'État, soit censé avoir abdiqué la couronne.

La seule faute qu'ait commise Louis XVI, est, je le répète, d'avoir protesté contre la constitution. Eh bien! ce cas est, suivant moi, encore un cas de déchéance; et en effet, si un roi qui ne veut pas prêter serment à la constitution lors de son avènement au trône est censé abdiquer, celui qui, ayant prêté ce serment, en vertu duquel seul il est roi, proteste contre, se remet dans le même état où il était avant de l'avoir prêté : il en faut donc tirer la même conséquence. Remarquez cependant, Messieurs, que ce cas n'est pas à comparer à l'autre : le premier réagit sur tous les citoyens; leur vie en est menacée, leur propriété en est troublée; tous les crimes des guerres les plus cruelles en sont la conséquence, et le monstre couronné qui se permet un tel attentat, accumule sur sa tête tous les forfaits, et appelle toutes les vengeances; le second cas, au contraire, est purement personnel au monarque, et ne compromet la sûreté d'aucun individu, lorsqu'il n'est accompagné d'aucune intention

d'action. Je pense 'donc, Messieurs, qu'il faut ici une loi expresse, et je soutiens qu'avant cette loi il est impossible d'agir contre un monarque qui aurait rétracté son serment.

Vainement dirait-on que cela se déduit de la nature des choses; quelque évident que soit un délit, il faut le déclarer tel; il faut surtout lui appliquer positivement une peine avant de pouvoir légalement le réprimer. L'assemblée d'ailleurs, en déclarant deux cas d'abdication, le premier lorsque le roi refuse son serment, le second lorsqu'il fuit à l'étranger, et qu'après la sommation du corps-législatif il laisse écouler les délais; l'assemblée, dis-je, a suffisamment par-là manifesté que, quelque naturelle que soit à cet égard une conséquence, elle entendait cependant la déclarer d'une manière positive: et en effet, Messieurs, le roi est un individu privilégié; il est, par sa position, hors de l'état naturel des choses; et si quelque point n'était pas formellement exprimé, il y aurait dès-lors un extrême embarras pour distinguer le cas où cet état naturel des choses lui serait applicable. Il s'ensuit que quelque claire que soit une conséquence par rapport au monarque, il est impossible de lui en faire l'application avant de l'avoir établie en loi.

Ainsi donc, si la loi existait, il n'y aurait pas le moindre doute pour moi. Louis XVI a protesté contre son serment: il serait censé avoir abdiqué; mais cette loi n'existe pas. En concluant, Messieurs, à ce que vous la décrétiez, je dis qu'elle ne peut pas être appliquée au roi.

J'appuie, en conséquence, le projet des comités ; et pour que ses principes ne restent pas douteux, je fais la motion expresse que vous décrétiez avant tout les articles suivans:

Art. Ier. Si le roi, après avoir prêté son serment à la constitution, se rétracte, il sera censé avoir abdiqué.

› Art. II. Si le roi se met à la tête d'une armée pour en diriger les forces contre la nation, ou s'il ordonne à ses généraux d'exécuter un tel projet, ou enfin s'il ne s'oppose pas par un acte formel à toute action de cette espèce qui s'exécuterait en son il sera censé avoir abdiqué.

nom,

› Art. III. Un rồi qui aura abdiqué ou qui sera censé l'avoir fait, redeviendra simple citoyen, et il sera accusable suivant les formes ordinaires pour tous les délits postérieurs à son abdication. >]

Ces articles furent mis aux voix, et décrétés après le discours de Barnave.

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[La nation française vient d'essuyer une violente secousse; mais si nous devons en croire tous les augures qui se manifestent, ce dernier événement, comme tous ceux qui l'ont précédé, ne servira qu'à presser le terme, qu'à assurer la solidité de la révolution que nous avons faite. Déjà la nation, en manifestant son unanimité, en constatant l'immensité de ses forces au moment de l'inquiétude et du péril, a prouvé à nos ennemis ce qu'ils auraient à craindre du résultat de leurs attaques. Aujourd'hui, en examinant attentivement la constitution qu'elle s'est donnée, elle va en prendre une connaissance approfondie, qu'elle n'eût peut-être pas acquise de long-temps si les principes de la morale, paraissant en contradiction avec ceux de la politique, sí un sentiment profond, contraire dans ce moment à l'intérêt national, n'eût pas obligé l'assemblée à creuser ces grandes et importantes questions, et à démontrer à toute la France ce que savaient déjà par principes ceux qui l'avaient examiné, mais ce que la foule peut-être ne savait pas encore, je veux dire la nature du gouvernement monarchique, quelles sont ses bases, quelle est sa véritable utilité pour la nation à laquelle vous l'avez donné.

La question qui vous est soumise présente évidemment deux aspects différens : la question de fait, là question de droit ou constitutionnelle. Quant à la question de fait, je me crois dispensé de la discuter par le discours éloquent qu'a prononcé à cette tribune celui des opinans (M. Salles) qui a immédiatement avant moi soutenu la même opinion. Je me plais à rendre justice je ne dirai pas seulement à l'étendue des talens, mais à l'âme vé

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