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En jugeant si une attaque pouvait être repoussée avec moins de mal pour l'agresseur, il faut se mettre à la place de celui qui est attaqué, et se rappeler que dans l'agitation de son esprit il n'a pas pu considérer de sang-froid tous les moyens, et choisir précisément celui qui allait à son but avec le moins de mal possible pour son adversaire. Il y a bien de la différence, à cet égard, entre la méditation du cabinet et la chaleur de l'action.

Supposez qu'un homme vous assaille subitement avec un bâton, et qu'à votre portée vous ayez un bâton et une barre de fer. En saisissant la barre de fer, vous donnez à votre homme un coup dangereux ou vous le tuez. Cela sera réputé défense de soi-même justifiable, à moins qu'on ne prouve que vous avez pris délibérément la barre de fer par préférence au bâton, dans l'intention de le tuer ou de le blesser plus qu'il ne fallait pour votre sûreté.

Commentaire raisonné sur la loi.

Première question. Pourquoi les plus légères injures de cette classe sont-elles rendues punissables?

Réponse. Parce qu'il y toujours une raison pour punir. Il n'est aucune sensation, quelque indifférente qu'elle paraisse, qui ne pût devenir un tourment intolérable par sa durée ou sa répétition. Qu'un homme puisse toucher votre personne de quelque manière que ce soit, et qu'il n'en ait aucun compte à rendre, il peut abuser de cette licence au point de vous rendre la vie à charge. Vous êtes en effet son esclave. Vous vivez dans une crainte perpétuelle ; et le sentiment de votre infériorité ne vous quitte plus.

D'un autre côté, si l'offense est légère, la peine le sera aussi; et quelque minime que fût l'injure, la peine peut s'atténuer à proportion, parce que le juge exerce à cet égard un pouvoir de discrétion du côté de la douceur.

Deuxième question. Pourquoi les délits négatifs en ce genre sont-ils rendus punissables comme les délits positifs?

Réponse. Parce que, dans un cas comme dans l'autre, la peine est fondée, elle est efficace, elle est nécessaire.

Troisième question. Pourquoi ajoute-t-on une peine ultérieure à celle qui est renfermée dans l'obligation de compenser le mal qui a été fait ?

en perte, et l'offenseur en gain. D'ailleurs, il y a des différences de fortune sur lesquelles on établit difficilement une proportion. C'est beaucoup pour l'un de recevoir telle somme; c'est très-peu pour l'autre de la payer. Les riches pourraient se persuader que pour un certain prix ils sont en liberté de satisfaire leur ressentiment envers quelqu'un d'une classe inférieure.

Quatrième question. Pourquoi l'amende se trouve-t-elle parmi les articles de la peine?

Réponse. Parce que l'argent levé par voie d'amende produit un double avantage, comme punition par son effet sur le délinquant, comme taxe qui tend à diminuer d'autant la charge de l'imposition du citoyen honnête.

Cinquième question. Pourquoi l'emprisonne

ment ?

Réponse. Afin de pourvoir au cas où le délinquant n'aurait pas de quoi payer l'amende."

Ensuite, afin de pourvoir au cas où le délinquant étant soutenu secrètement par un parti, une peine purement pécuniaire ne l'affectat point.

Sixième question. Pourquoi la caution?

Réponse. Pour prévenir ou pour étouffer tout dessein que pourrait avoir l'offenseur de se venger sur son adversaire, pour l'avoir appelé en justice et livré au châtiment.

Septième question. Pourquoi le bannissement de la présence de la partie lésée?

Réponse. Parce qu'il est des cas où ce châtiment sera nécessaire pour humilier davantage l'offenseur; et qu'en d'autres cas il faut épargner à l'offensé des souffrances futures.

Les délits de cette classe sont très-variés. Il n'est point de tourment si affreux qui ne puisse y appartenir. Il peut donc arriver que la vue de l'offenseur serait un supplice pour longtemps ou même pour toujours à la partie lésée. Si l'un des deux doit fuir l'autre, il vaut mieux que les inconvénients de l'éloignement tombent sur le coupable que sur son innocent antagoniste qui a déjà trop de son injure.

Huitième question. Pourquoi l'âge est-il un moyen d'aggravation?

Réponse. Afin que le texte de la loi soit une leçon de moralité : tellement que les jeunes gens, voyant que la loi montre une faveur particulière à leurs supérieurs d'âge, contractent une disposition à les traiter toujours avec un respect particulier. C'est par l'âge que les hommes acquièrent de l'expérience, et par l'expérience, la sagesse. Le respect. des plus jeunes pour les plus âgés tourne donc au

Réponse. Sans cette peine additionnelle, on ne serait pas sûr, dans tous les cas, que la valeur de la punition l'emportât sur le profit de l'offense. Com--profit des uns et des autres. ment peut-on s'assurer que la compensation ordon. née par un juge remplirait entièrement son but? Si elle n'est pas entière, l'offensé est pour ainsi dire

Neuvième question. Pourquoi donne-t-on une protection particulière aux femmes?

Réponse. On se propose encore un objet moral.

On a besoin de leur inspirer un sentiment plus délicat d'honneur, et on atteint ce but en grossissant toute injure qui leur est faite. D'ailleurs, il faut que la loi inspire aux hommes une disposition particulière de considération envers les femmes, parce qu'elles ne sont pas toutes belles, parce que la beauté même n'a qu'un temps, et que l'homme, en général, a une supériorité constante sur les femmes, pour les forces du corps : il a peut-être même la supériorité du côté de l'esprit, soit qu'il la tienne de la nature, soit qu'il l'acquière par l'exercice.

Dixième question. Pourquoi une injure de cette classe faite à un parent est-elle punie avec plus de sévérité?

Réponse. Pour un objet moral. La disposition constante à respecter les parents est utile aux enfants mineurs eux-mêmes, afin qu'ils se soumettent plus docilement à la conduite de ceux qui savent mieux qu'eux ce qui leur convient, et qui ne veulent que leur bonheur. Elle est utile aux parents, à qui elle sert de récompense pour les dépenses, les craintes et les soins de l'éducation. Enfin elle est utile à l'État, parce qu'elle encourage les hommes à entrer dans la condition du mariage, et à former des familles, qui sont la richesse et la force de la communauté.

Une partie de ces raisons, indépendamment de la considération de l'âge, s'applique aux tuteurs, aux instituteurs et aux maîtres.

Onzième question. Pourquoi la préméditation est-elle une source d'aggravation?

Réponse. 1. Plus un homme manifeste d'opiniatreté dans ses ressentiments, plus la société doit appréhender de sa part. Plus son appétit de se venger dure longtemps, plus il est probable qu'il accomplira sa vengeance. Si un homme irrité contre vous jette feu et flamme, mais que sa colère ne dure qu'un jour, il suffit de vous garantir un jour durant, et vous êtes en sûreté. Mais s'il persévère dans l'intention de s'en venger pendant dix jours, le danger auquel vous êtes exposé de sa part, est dix fois aussi grand que dans le premier cas. Ceux qui entendent parler de la querelle entre vous et lui, conçoivent cela, et éprouvent une inquiétude secrète, en pensant qu'ils ont parmi eux une personne d'un si dangereux caractère. On ne s'explique pas précisément la raison de ce qu'on sent, mais voilà ce qui cause la différence du sentiment public sur une personne qui manifeste plus ou moins de durée dans un projet de vengeance.

2. D'ailleurs, plus un homme est gouverné longtemps par les motifs hostiles dans une occasion donnée, plus il annonce des dispositions perverses, antisociales. Il faut que la peine soit plus forte pour agir sur un caractère plus dur. Ce qui suffi

rait pour amollir et gagner un naturel aimant, n'aurait aucun effet sur un cœur implacable et farouche. Il faut le dompter par une crainte supérieure.

Douzième question. Pourquoi a-t-on considéré comme aggravations les diverses circonstances d'attaquer de nuit, d'attendre en embuscade, de violer le domicile, lorsqu'il y a eu dessein prémédité?

Réponse. Ces diverses circonstances tendent toutes à augmenter le danger et la terreur de l'individu attaqué, mais surtout quand le domicile est violé, quand un homme se voit forcé dans son dernier retranchement, dans cet asile intérieur où il renferme tout ce qu'il a de précieux, où il se livre au sommeil avec confiance. Si votre adversaire vous attend au dehors, vous pouvez prendre des mesures, vous êtes en sûreté dans votre maison; mais si les portes et les murs ne l'arrêtent pas, vous n'avez plus de sécurité nulle part. Cette réflexion, qui se présente à chacun, produit une alarme générale.

Mais si la querelle commençait de nuit, la nocturnité ne serait plus une circonstance d'aggravation. Mème l'irruption nocturne dans le domicile ne serait ni si dangereuse, ni si alarmante, quand l'homme, averti par des menaces, aurait pu prendre des mesures pour s'échapper ou se défendre.

Treizième question. Pourquoi fait-on de la clandestinité un moyen d'aggravation?

Réponse. Parce qu'elle augmente le mal du délit. Elle ajoute la terreur à la douleur, et peut rendre un homme le plus malheureux des êtres, en lui faisant craindre une succession d'injures semblables, auxquelles il ne voit point de fin, puisqu'il n'y a point de ressources contre un ennemi invisible. Dans les cas ordinaires, où l'on connaît l'auteur du délit, on a la protection des lois : on est sûr que si le mal n'est pas réparé, du moins il ne sera pas augmenté, il ne restera pas impuni. Mais si le délinquant peut trouver le moyen de se tenir derrière le rideau, sans être connu ni soupçonné, il a tout le profit du crime, il se rit des lois et se fait un jeu des terreurs qu'il inspire. Il faut donc lui ôter l'envie de recourir à des inventions de ce genre, en lui offrant la perspective effrayante d'un degré extraordinaire de peine dans le cas où ses subtilités seraient confondues. Les moyens artificieux lui paraîtront moins séduisants, accompagnés de tant de craintes.

Quatorzième question.Pourquoi, dans les peines, distingue-t-on le déguisement des autres méthodes. de clandestinité?

Réponse. Le déguisement peut porter la terreur à un degré extrême; un masque difforme, un long crêpe, un voile blanc qui habille un fantôme,

peuvent avoir le plus grand effet sur l'imagination, particulièrement sur des personnes faibles et superstitieuses ou malades, sur des femmes et des cnfants. Cette circonstance fournit d'ailleurs une occasion tout à fait opportune pour une peine analogue et frappante.

Quinzième question. Pourquoi la circonstance d'un salaire est-elle aggravation?

Réponse. Premièrement, elle ajoute à l'alarme et au danger. Qu'un homme en batte un autre dans sa propre querelle, cette violence n'inspire des craintes qu'à ceux qui auront des querelles avec lui. Mais qu'un homme s'engage pour de l'argent dans la querelle d'un autre, tous ceux qui peuvent avoir une rixe avec qui que ce soit ont à craindre ce batteur de profession. Plusieurs personnes qui se croient bien en sûreté, parce qu'elles ont eu querelle avec des adversaires faibles ou timides, vivraient dans une alarme continuelle, en apprenant qu'il est des hommes qui vendent leur force et leur courage à ceux qui en ont besoin, et que leurs ennemis peuvent s'en prévaloir pour exécuter, par ces étrangers, ce qu'ils ne peuvent faire par eux-mêmes. Le danger paraîtra plus grand à proportion de ce que leurs ennemis sont plus opulents, et peuvent tenter par de plus grandes récompenses: circonstance qui tendrait à redoubler les inconvénients inévitables de l'inégale distribution des richesses, et qui ajouterait à la facilité qu'ont les riches d'humilier et d'opprimer les pauvres.

Secondement, une telle action indique le caractère le plus vil et le plus dépravé. Le motif de l'in

térèt pécuniaire l'emporte manifestement sur tous les motifs sociaux, et il n'y a que la crainte d'un degré extraordinaire de peine qui puisse enchaîner un naturel aussi atroce.

Seizième question. Pourquoi la provocation estelle une source d'atténuation?

Réponse. Cette circonstance diminue le mal du délit, savoir le mal du second ordre. Lorsqu'un homme provoqué jusqu'à un certain point se porte à faire du mal, il peut être dangereux, mais il ne l'est que dans ce cas. Aussi longtemps qu'on se conduit avec lui comme tout homme doit se conduire avec son semblable, on n'a rien à craindre de sa part. Il faudrait avoir formé secrètement le projet de l'offenser pour être alarmé de la vengeance qu'il tire d'une provocation.

Une provocation, même imaginaire, pourvu que l'erreur ait été de bonne foi, est une source d'atténuation par les mêmes raisons qu'une provocation réelle. La force de l'atténuation est pourtant inférieure dans ce cas, mais seulement à cause de la difficulté de certifier le point de fait, savoir, la sincérité de celui qui, s'est cru provoqué sans

l'être.

Dix-septième question. Pourquoi l'outre-passation de défense est-elle une source d'atténuation?

Réponse. Cette circonstance agit comme la précédente, avec plus de force encore. L'homme qui, dans sa propre défense, fait plus de mal que cette défense n'exige, ne paraît à craindre que pour ceux qui l'attaqueraient.

BENTHAY.

TOME 1.

17

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DE L'INFLUENCE

DES TEMPS ET DES LIEUX

EN MATIÈRE DE LÉGISLATION.

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