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cher de l'opération l'insulte et le mépris, donner des espérances, accueillir tous ceux qui reviennent, publier des amnisties. Les changements vraiment utiles ont en leur faveur une puissance de raison et de conviction qui opère à chaque instant.

Chaque espèce de mécontentements peut avoir une espèce particulière de remèdes. Une perte pécuniaire nécessite une compensation pécuniaire. Une perte de pouvoir peut être compensée, soit par une indemnité en argent, soit par une indemnité en honneur. Une perte d'espérances peut être adoucie par des arrangements qui ouvrent à l'espérance de nouvelles carrières 1.

7. Pour obvier au mécontentement, la législation indirecte est préférable à la législation directe.

Les moyens doux valent mieux que les moyens violents. L'exemple, l'instruction, l'exhortation, doivent précéder ou accompagner la loi, et même en tenir lieu, s'il est possible.

Aurait-on dû établir l'inoculation par une loi directe? Non, sans doute: en supposant que cette mesure eût été possible, elle eût été bien funeste : on aurait porté l'effroi dans une multitude de familles. Cette pratique est devenue universelle en Angleterre, par la seule force des grands exemples et par la discussion publique de ses avantages.

Catherine II était bien habile dans l'art de régir les esprits elle ne fit point de loi pour obliger la noblesse russe, qui répugnait au service, à y entrer; mais, en déterminant tous les rangs, en fixant toutes les préséances, même dans le civil, d'après les grades militaires, elle arma la vanité contre l'indolence: les nobles des provinces les plus reculées, pour n'être pas effacés par leurs subalternes, se sont empressés d'obtenir les honneurs de l'armée.

8. Si vous avez plusieurs lois à introduire, commencez par celle qui, étant établie, facilitera l'admission des suivantes.

9. La lenteur de l'opération est, proportionnellement, une objection contre une mesure. Mais si cette lenteur est un moyen d'obvier au mécontentement, elle peut être préférable à une marche plus expéditive.

Quand les préjugés du peuple sont violents et opiniâtres, il est à craindre que le législateur ne se porte aux extrêmes: l'un de ces extrèmes est de s'enflammer contre ces préjugés, et de vouloir les extirper, sans peser, dans la balance de l'utilité, les bons et les mauvais effets de cette mesure; l'autre extrème est de souffrir que ces préjugés ne

1 Voyez les principes qui ont été suivis dans l'union de l'Écosse et de l'Angleterre, et récemment dans l'union

servent de prétexte à l'indolence et à la pusillanimité, pour laisser le mal sans remède.

Les préjugés nuisibles et les dogmes pernicieux renferment presque toujours quelque correctif, quelque moyen d'évasion pour un bon gouvernement et une bonne morale. C'est au législateur à se saisir de ce correctif et à en faire usage. Il élude, il arrête les plus mauvais effets du préjugé, au nom et sous l'autorité de ce préjugé même.

C'est ainsi, comme l'a observé Rousseau 2, que François Ier fit tomber l'usage des seconds dans les duels. «Quant à ceux, dit-il, qui auront la lâcheté « d'employer des seconds, etc. » Il opposa l'honneur à l'honneur; et comme on se battait pour faire preuve de courage, on n'osa plus appeler des auxiliaires qui jetaient un soupçon sur le courage

même.

Mais s'il ne peut parvenir à dénouer ce noud gordien, il doit le couper avec hardiesse. Le bonheur du très-grand nombre ne doit pas être sacrifié à l'opiniâtreté du petit, ni celui des siècles au repos d'un jour.

Les préjugés qui paraissent insurmontables au premier coup d'œil, peuvent ètre vaincus avec un peu d'adresse et de ménagement.

Parmi les gentous, un homme d'un certain rang se croirait déshonoré s'il était forcé de comparaitre dans une cour de justice. Qu'importe ce préjugé ? Des hommes de ce rang sont toujours riches. Quoi de plus aisé que d'envoyer une commission spéciale pour les examiner, à la charge pour eux de payer les frais ?

Parmi les Indous, ceux d'un rang élevé se soumettraient à tout, plutôt qu'à faire un serment. Qu'importe? Des hommes de ce rang méritent autant de confiance sur leur parole que les autres sur leur serment. Il n'y a qu'à les punir pour un simple mensonge comme on punit les autres pour un parjure. N'admet-on pas la déposition des quakers, en Angleterre, sur leur simple affirmation? Les pairs ne déposent-ils pas, en certains cas, sur leur honneur?

Ni les mahométans ni les Indous ne pourraient souffrir qu'un officier de justice visitat l'appartement de leurs femmes. N'est-il pas facile de ménager leur délicatesse sans violer la loi, dans les cas où elle ordonne des inspections de ce genre? Nommez des femmes pour cet office, et tout est concilié.

Les femmes anglaises seraient alarmées, si on soumettait leur personne à la choquante inquisition d'un douanier. Mais, abusant des égards que la bienséance leur assure, il arrive fréquemment

de l'Irlande. 2 Lettre à d'Alembert sur les specta

cles.

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qu'en retournant de Calais à Douvres elles sont chargées de mousselines et de dentelles. Faut-il blesser la délicatesse des femmes ou leur permettre de frauder le fisc? Il est aisé de les soumettre à l'inspection de personnes de leur sexe.

Parmi les nombreuses tribus d'Indous, il y en a une dont les membres sont appelés decoits. Brama leur a révélé qu'ils doivent voler tout ce qui s'offre à eux, et tuer tous ceux qui tombent entre leurs mains. Doit-on, par respect pour leur conscience, leur permettre le libre exercice de leur vocation? Si c'est le bon plaisir de Brama que ces gens-là vivent de cette industrie, c'est aussi le bon plaisir de Brama qu'ils en souffrent les conséquences.

On se rappelle ce qu'étaient les assassins et leur chef surnommé le Vieux de la montagne. Chacun d'eux, fidèle aux ordres du chef, courait exécuter un meurtre où que ce fût, pour mériter le prix éternel de l'obéissance. La terreur de cette secte fanatique se répandit au loin. Les rois n'étaient plus en sûreté sur leurs trònes. On ne savait quelles victimes offrir pour apaiser ces dieux infernaux. Enfin, un prince tartare, ayant découvert leur retraite, sut appliquer à ce mal le seul remède dont il fût susceptible; il en extermina la race entière, et l'espèce ne s'en est pas reproduite.

M. Hastings, examinant comment l'on devait agir avec les decoits, recommande un traitement plus doux et aussi effectif. Il veut qu'on les réduise à l'esclavage eux et leurs familles. L'esclavage, considéré comme peine, n'est pas bien sévère dans un pays où la liberté politique est inconnue considéré comme moyen préventif, il remplit parfaitement son objet.

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Montesquieu (livre XIX, ch. XIV) dit : «Que lorsqu'on veut changer les mœurs et les manières, il faut les changer par d'autres mœurs et d'autres manières, et non par des lois; parce que les lois, dit-il, sont des institutions particulières du législateur, tandis que les mœurs et les manières sont des institutions de la nation en général. » La maxime elle-même est vraie jusqu'à un certain point mais la raison qu'il en donne est bien peu fondée; car tout ce que la loi peut défendre pourrait être un acte de la nation en général, si ce n'était à cause de la loi qui l'interdit. Pour comprendre ce qu'il y a de vrai dans la maxime, et pour en découvrir la raison, voyons l'exemple qu'il cite : car, sans ces exemples, on serait souvent bien embarrassé à trouver le sens de ses préceptes.

:

Pierre le Grand fit une loi qui obligeait les Russes à se faire couper la barbe, et à porter des habits courts comme les Européens. Des soldats apostés dans les rues avaient ordre de saisir ceux qui étaient en contravention, et de tailler impitoyablement

les longues robes jusqu'à la hauteur des genoux. Cette mesure, dit Montesquieu, était tyrannique. Pour opérer cette révolution dans l'habillement, il ne devait pas faire de lois; son exemple aurait suffi.

L'objet de Pierre Ier, dans cette ordonnance, pouvait être, ou de se satisfaire lui-mème en obligeant ses sujets à quitter une mode qui le choquait pour une autre qui lui plaisait, ou il se proposait de les polir, c'est-à-dire, de façonner leur caractère national sur les mœurs européennes qu'il croyait plus propres à les rendre heureux. Cette dernière supposition est la plus probable aussi bien que la plus honorable à ce grand homme, et Montesquieu paraît l'adopter. Dans le premier cas, la loi coercitive est inconvenable: la peine annexée est destituée de fondement, et, par conséquent, on peut l'appeler violente et tyrannique. Dans le second cas, c'était une mesure de législation indirecte contre toutes ces habitudes nuisibles dont il espérait corriger ses sujets en les formant sur le modèle des Européens. Pour amener l'imitation des mœurs, il fallait commencer par faire disparaître la distinction des habillements. Il fallait introduire une nouvelle association d'idées. « Vous êtes Européens, voulait-il dire à ses nobles, conduisez-vous donc comme tels traitez vos femmes et vos vassaux comme les hommes de votre rang traitent les leurs en Europe: rougissez de cette ivrognerie et de cette brutalité qui déshonoreraient des gentilshommes européens : cultivez votre esprit; adoucissez vos manières ; recherchez comme eux l'élégance et la politesse dans les arts et dans les plaisirs.

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Pouvait-il opérer le changement du caractère national sans changer le mode de l'habillement? ou pouvait-il introduire l'habit européen par son seul exemple et d'autres moyens de douceur? Dans ces deux cas, la peine n'aurait pas été inutile, comme le dit Montesquieu, mais elle n'était pas nécessaire. Le bien qui pouvait résulter pour les mœurs du changement d'habit, était-il assez grand pour être acheté au prix de la sévérité de la loi? S'il ne l'était pas, la peine était trop dispendieuse. Tel est le procédé lent et minutieux, mais sûr et satisfaisant, d'après lequel on doit estimer la tendance d'une loi sur le principe de l'utilité.

Lorsqu'on traite des sujets de cette importance, on ne saurait trop éviter le ton péremptoire et décisif. Les conclusions doivent d'abord être hypothétiques. Chaque côté de la question doit être présenté avec le degré d'incertitude qui lui appartient. Défions-nous de ceux qui, par la véhémence de leurs assertions, par la confiance de leurs prédictions, compensent la faiblesse de leurs arguments. La première chose que doit savoir un homme d'État, c'est que la législation est une science de

calculs moraux, et que l'imagination ne supplée ni au travail ni à la patience.

Le parlement britannique fit, en 1745, une loi pour obliger les montagnards d'Écosse à quitter leur habillement national. Cette loi avait un objet politique. Ce peuple était fort attaché à ce signe distinctif, et regardait avec mépris les habitants du plat pays, qui, depuis longtemps, avaient adopté l'habit européen. Le prétendant, en se montrant revêtu de ce costume antique, avait charmé ces braves montagnards, qui vinrent en foule sous ses drapeaux. Après que la rébellion fut terminée on voulut faire disparaître ce vêtement national qui retraçait d'anciennes idées et servait de signalement à un parti; mais cette ordonnance, qui mettait incessamment l'image de la contrainte sous les yeux, ne servait qu'à rappeler ce qu'on voulait faire oublier. Après un demi-siècle d'expérience on a senti l'inutilité et le danger de cette loi tyrannique; elle a été révoquée, et l'Angleterre n'a pas de soldats plus fidèles, plus intrépides que ces montagnards, dont on aurait peut-être détruit l'énergie si on avait eu le malheur de triompher de leurs anciennes coutumes par des moyens de force.

Il résulte, en général, de ces maximes que le législateur qui veut opérer de grands changements doit conserver le calme, le sang-froid, la tempérance dans le bien. Il doit craindre d'allumer les passions, de provoquer une résistance qui peut l'irriter lui-même; il ne doit point se faire, s'il est possible, d'ennemis désespérés, mais environner son ouvrage d'un triple rempart de confiance, de jouissances et d'espérances, épargner, concilier, ménager tous les intérêts, dédommager ceux qui perdent, et s'allier, pour ainsi dire, avec le temps, ce véritable auxiliaire de tous les changements utiles, ce chimiste qui amalgame les contraires, dissout les obstacles, et fait adhérer les parties désunies. Quand on a la force réelle pour soi, il ne s'agit pas de la déployer pour la faire sentir. A demi voilée, elle a plus de succès. Tout le monde sent son intérêt à se réunir le plus tôt possible au parti de la véritable puissance, et l'on ne persévère pas dans une résistance inutile, à moins que l'amour-propre n'ait été blessé.

CHAPITRE IV.

QUE LES DÉFAUTS DES LOIS SE MANIFESTENT DAVANTAGE LORSQU'ELLES ONT ÉTÉ TRANSPLANTÉES.

Après avoir montré le danger qui accompagne l'introduction d'un nouveau système de lois suppo

sées les meilleures possible, il n'est pas besoin de prouver que ce danger serait beaucoup plus grand s'il s'agissait de lois imparfaites; mais ce qui vaut la peine d'être observé, c'est que ces lois paraîtraient beaucoup plus défectueuses dans le pays où elles auraient été transplantées, que dans celui où elles auraient été longtemps établies. Observation qui doit être pesée par les gouvernements qui veulent donner les lois du peuple conquérant à un pays conquis.

:

Le peuple en tout pays est attaché aux lois sous lesquelles il a vécu il les estime comme un héritage qu'il tient de ses ancètres; il ne connaît rien de mieux il n'est point en état de les comparer à d'autres. Tous les avantages qu'il retire de la société politique dérivent de ces lois. Le bien qu'elles font est évident, le mal qui en résulte est obscur on est porté à l'attribuer à d'autres causes, à le regarder comme une suite nécessaire des imperfections de la nature humaine, et comme un prix qu'il faut payer pour jouir de leurs bienfaits. Cette classe nombreuse d'hommes, qui sont, pour ainsi dire, les prètres de la loi, ne cesse d'entretenir le peuple dans cette superstition qui leur est si favorable en assurant leur fortune, et en augmentant leur importance personnelle. En effet, si la multitude ouvrait les yeux sur les défauts des lois, quelle opinion auraitelle des hommes dont tout le mérite consiste à les maintenir ? Quand une religion tombe, ses ministres tombent avec elle: tout ce qui diminue la vénération pour l'idole, affaiblit le respect pour les sacrificateurs. Ainsi la voix de tous les juristes s'élève de concert pour célébrer le système établi; et le peuple, entraîné par cette réunion imposante de suffrages, ne songe pas même à examiner l'intérêt qui les dicte. La tolérance des nations pour des abus indigènes, et leur intolérance contre des lois étrangères, ont leur source dans ce mélange inévitable d'ignorance et de préjugés. On veut bien supporter les inconvénients auxquels on est accoutumé; on ne veut pas en souffrir de nouveaux. La partialité jette un voile sur les préjugés dans lesquels on a été nourri; mais des préjugés étrangers n'ont point la protection de la vanité nationale, et sont repoussés avec horreur.

Qu'on transporte des lois imparfaites du pays conquérant dans le pays conquis, on verra que les deux nations en formeront les jugements les plus opposés l'une les estimera beaucoup au delà de leur valeur; l'autre en concevra un mépris exagéré.

La branche constitutionnelle des lois d'Angleterre est admirable à plusieurs égards. L'organisation du corps législatif est, à peu de chose près, un modèle de perfection. Telle a été du moins

Non. — Eh bien,

En avez-vous saisi l'ensemble?
sachez que vous ne pouvez former aucun jugement
sur des parties détachées. Tout se tient dans cette
doctrine; et si vous ôtez un anneau, vous risquez
de briser la chaîne.

Le droit anglais, comme tout autre système de lois formé successivement par agrégation et sans aucun plan, se divise en deux parties: les statuts et la loi commune, ou la coutume. Les statuts, c'est-à-dire, les actes du corps législatif, rédigés avec une grande attention pour les circonstances et pour les intérêts de l'Angleterre, n'ont pu avoir aucun égard au bien-être de ces pays dont l'acquisition n'était pas même prévue. La loi commune, c'est-à-dire, la loi non écrite, résultat des coutumes, mêle à quelques principes d'une valeur inestimable une foule d'incohérences, de subtilités, d'absurdités et de décisions purement capricieuses. Il est impossible de croire que dans cet ouvrage fantastique on ait eu en vue le bien-être d'aucun pays.

l'opinion d'un grand nombre d'hommes judicieux et impartiaux ; opinion qui paraîtra d'autant plus juste, que l'on considérera mieux cette constitution dans son rapport avec la situation et les circonstances du peuple qui jouit de cet inestimable avantage. Une autre partie de la loi, qui a une grande liaison avec la première, et qui mérite aussi de grands éloges pour quelques-uns de ses principes fondamentaux, c'est l'organisation des tribunaux, la publicité de la procédure, le jugement par jury dans les causes politiques, la liberté de la presse, l'habeas corpus, le droit d'association et de pétition, et quelques autres lois qui sont l'égide de la liberté publique et individuelle. Cette base excellente de la législation est bien la première par son importance, mais comparée à la masse totale des lois, elle n'en fait pas la centième partie. Cependant il est aisé de sentir que l'estime due à la branche constitutionnelle s'étend naturellement à toutes les autres par un procédé simple et facile de l'imagination, et surtout des affections. Le bien sert de sauvegarde au mal. Il n'entre pas même Que ne pourrait-on pas dire des vices nombreux dans l'esprit qu'avec des lois si excellentes on ait de la branche pénale de la loi, du manque pu en laisser subsister de mauvaises. Il se forme absolu d'ordre et de symétrie dans l'ensemble, un préjugé naturel en faveur de l'ensemble: l'estime de noms propres pour plusieurs chefs de délit, refuse de s'allier avec le mépris, et la haute opinion de définitions pour le petit nombre d'offenses qui que l'on a conçue pour une partie de ce code est ont un nom propre? Que ne pourrait-on pas dire un obstacle à tout examen qui tendrait à en dégrader de l'impunité de plusieurs pratiques malfaisantes, une autre. Peut-on croire, en effet, que le code civil et des peines imméritées attachées à plusieurs actes et criminel d'un peuple qui a une constitution si dont le mal est presque imperceptible, de la supérieure à toutes les autres, ne soit qu'un amas négligence totale de toute règle de proportion entre de fictions, de contradictions et d'inconséquences? les peines et les délits, du mauvais choix de Admettrait-on que le bon et le mauvais principe l'espèce des peines qui n'ont aucune analogie avec eussent combiné leurs forces dans le mème ouvrage; la nature des offenses, de l'abus qu'on a fait, qu'ici l'on reconnût une création de l'intelligence, ou plutôt de la prodigalité dans l'emploi de cette un plan formé avec profondeur, exécuté avec peine invariable, inégale, incommensurable, improordre, suivi avec constance, et que là on aperçut l'ir-fitable, impopulaire, irrémissible, la peine de mort; régularité du chaos, les caprices du hasard et l'entas- - de ce défaut total de méthode et de justesse dans la très-imparfaite attention qu'on a donnée aux différentes bases de justification, d'aggravation, d'atténuation et d'exemption; du manque de principes fixes, et de règles positives pour estimer la quantité et la qualité des compensations, et des satisfactions que requièrent les différentes espèces d'injures?

sement confus de matières indigestes? Ces discordances, choquantes pour un observateur attentif, ne frappent point la multitude, qui se plaît à s'imposer à elle-même le dogme d'une admiration absolue. La seule immensité de ces lois, dont la collection forme une bibliothèque qu'un homme studieux ne saurait lire en dix ans, est une enveloppe ténébreuse qui les défend contre toutes sortes d'attaques 2. Essayez de vous mesurer avec quelque athlète de la loi; hasardez quelque critique modeste. Il vous accable aussitôt du double poids de son ignorance et de la vôtre. Avez-vous étudié cette jurisprudence? vous dit-il d'un air de triomphe.

1 Tout le monde connait le panégyrique de Montesquieu dans l'Esprit des Lois, et l'ouvrage de M. Delolme sur la constitution de l'Angleterre.

BENTHAM. - TOME 1.

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Plus le crime est atroce, moins il y a de remède pour la partie lésée. Demandez à un jurisconsulte ce qu'il pense de cette maxime il vous répondra sans doute qu'elle est injuste, qu'elle est absurde, faite pour une nation d'idiots, ou pour ce monde renversé et ces peintures grotesques destinées à

2 La glorieuse obscurité de la loi, expression d'un juge d'Angleterre, qui croyait faire un éloge en prononçant la plus forte de toutes les censures.

l'amusement des enfants, dans lesquelles on repré- | semaines, puis quinze jours. Si ces réponses sont

sente le cochon qui met le cuisinier à la broche, et le voleur qui pend le juge. Cependant, il est plusieurs cas où cette maxime a été suivie par la loi commune de l'Angleterre avec la plus grande exactitude. Si un homme vous poche un œil, Vous pouvez le faire payer pour cela; mais s'il vous crève les deux yeux, il n'y a point de dédommagement pour vous tout ce qu'on lui prend appartient nominativement au roi, et passe réellement au shérif. Si on vous tue un cheval, vous en aurez la valeur; si on tue un de vos enfants, vous n'aurez rien. La confiscation, s'il y en a une, passe à un étranger comme dans l'autre cas. Qu'on mette le feu à votre maison: si c'est par malheur, vous recevrez une indemnité; si c'est par malice, vous n'en recevrez point: mais tel autre qui n'a rien souffert, recevra pour sa consolation les biens confisqués, si le délinquant a des biens. Il est des avocats qui soutiennent que cela revient au même. « Dès qu'il y a une satisfaction, disent-ils, la justice « a fait son devoir, n'importe qui la reçoit. » Pour récompenser de tels raisonneurs, il faudrait statuer que tout ce qui leur est dû par leurs clients sera payé au trésor public.

Quant à la variété des procédures devant les divers tribunaux, aux longueurs, aux formalités, aux embarras, aux frais énormes qu'elles entraînent, c'est un autre chapitre dont il est impossible de présenter les détails. L'intégrité des juges anglais est parfaitement à l'abri de tout reproche et de tout soupçon mais la procédure est bien loin de cette simplicité, de cette clarté, de cette brièveté, de cette économie qu'on doit se proposer dans cette partie.

Vous êtes père de famille; vous venez à moi, et vous me dites: «Deux de mes enfants sont en

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querelle pour un jouet : l'aîné s'en est saisi, et << prétend que son frère le lui a donné; le cadet «<le nie absolument que ferai-je pour les mettre « d'accord, et pour découvrir la vérité du fait? »>

La chose est sérieuse, lui répondrai-je : il y a ici usurpation et mensonge: je vous conseille d'approfondir cette dispute, et de ne pas la traiter légèrement. Gardez-vous bien de mander les deux jeunes gens par-devant vous, de les interroger l'un en présence de l'autre, d'appeler immédiatement les témoins s'il y en a, et de hâter ainsi la conclusion. Voici ce que vous devez faire. Sans parler ni à l'un ni à l'autre, sans souffrir qu'ils vous parlent, faites que le cadet de vos fils couche par écrit toute sa plainte, adressant à son frère toutes les questions qu'il croit convenables : donnez à l'autre un temps raisonnable pour préparer ses réponses: d'abord six semaines, ensuite un mois, puis trois

évasives, suivez la même marche: accordez de nouveaux délais ils serviront à donner au cadet le loisir d'adresser à son frère quelques autres questions qu'il avait omises la première fois, on une série d'autres questions rendues nécessaires par la réponse faite aux premières. Nouveaux ajournements pour cela. Cependant l'aîné, à son tour, voudra peut-être raconter son histoire, et faire aussi des questions. Par là le temps de la délibération sera doublé. Quand les affaires en seront venues à ce point, vous pouvez lire vous-même leurs écritures, ou prier un tiers de s'informer dans la famille de tout ce qu'on a pu connaître relativement au fait primitif, mais toujours en prenant bien garde de ne point parler aux enfants eux-mêmes. Quand ce tiers vous aura communiqué ce qu'il a appris, alors l'affaire sera mûre pour la décision. Il est bien vrai que, pendant cet intervalle, on aura dépensé la valeur du jouet en plumes et en papier le souvenir des événements à l'origine de la dispute sera effacé: vos enfants se seront exercés dans l'art de la fausseté et de la chicane: il y aura beaucoup de temps perdu pour vous et pour vos gens toute votre maison aura pris parti pour l'un ou pour l'autre, et il y aura des deux parts une animosité profonde; mais aussi vous aurez découvert la vérité, vous aurez montré l'importance que vous mettiez à la querelle, et la paix renaîtra parmi vos enfants. Après avoir entendu ce savant discours, je ne sais si le père de famille qui m'a consulté me regardera comme un fou, mais je sais que j'ai représenté sans aucune altération la marche d'un procès dans la cour d'équité, sans parler de mille incidents qui compliquent encore cette marche, sans faire mention de ces termes techniques qui en font un mystère pour tout autre que pour les adeptes. Je sais bien qu'un État est plus grand qu'une famille : mais c'est aux partisans de cette procédure à montrer pourquoi les mêmes moyens qui rempliraient le but de la justice dans un cas, ne le rempliraient pas également dans un autre. Sans être admirateur de la justice sommaire des cadis, on peut dire qu'elle ressemble plus à celle d'un père de famille que celle que nous venons de décrire.

Qui le croirait? Cette masse d'absurdités n'est point une production de l'ancienne barbarie, ce sont des raffinements modernes. On voit encore, dans l'histoire, les traces du temps où un juge anglais avait le pouvoir de faire prompte justice. Chaque partie était prête à parler et à répondre, à examiner et à être examinée en présence du juge. Il y avait alors peu d'avocats, point de procureurs, pas un denier de frais, jusqu'à ce qu'on eût vu qui

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