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ordonnances du Roi, les arrêtés des préfets et des maires sont obligatoires pour les tribunaux, qui doivent en faire l'application, soit en les prenant pour base de leurs jugements, soit en condamnant ceux qui y contreviennent. Si les particuliers croient pouvoir réclamer, c'est devant l'autorité administrative qu'ils doivent le faire, et cette réclamation ne peut pas suspendre le cours de la justice. Cependant, comme les administrateurs et le Roi lui-même n'ont de pouvoir réglementaire et de commandement que dans de certaines limites, les tribunaux ne sont pas tenus d'appliquer leurs actes quand ils sont faits en dehors de leurs attributions (voir cidessus, no 96). De son côté, l'administration ne peut se dispenser d'exécuter les jugements valablement rendus par les tribunaux.

458. Si, accessoirement à un procès civil ou criminel, il s'élève des difficultés sur le sens d'un acte administratif invoqué par l'une des parties, les tribunaux ne peuvent pas l'interpréter, car il serait possible qu'ils en méconnussent l'esprit et en faussassent l'application: ils doivent renvoyer cette interprétation à l'autorité dont l'acte émane, et surseoir à statuer jusqu'à ce qu'elle ait cu lieu. Ce qui ne doit s'entendre que des difficultés véritables; car si l'acte est clair, quand même les parties ne seraient pas d'accord sur le sens à lui donner, les tribunaux doivent néanmoins en ordonner l'application (1), à moins que cette application ne soit attribuée, par une loi spéciale, à l'autorité administrative, comme lorsqu'il s'agit d'un marché passé entre l'État et un fournisseur. Les actes de vente de biens nationaux sont considérés comme des actes administratifs dont l'interprétation ne peut être faite que par les conseils de préfecture, lesquels, aux termes de la loi du 28 plu

(1) Arrêt C. cass. 20 déc. 1836.

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viôse an vIII, art. 4, connaissent de tout le contentieux en cette matière.

159. Le Code pénal donne une sanction à ces principes, en appliquant la peine de la dégradation civique aux juges, procureurs généraux ou du Roi, substituts, officiers de police judiciaire, qui auraient excédé leurs pouvoirs en s'immiscant dans les matières réservées aux autorités administratives, soit en faisant des réglements sur ces matières, soit en défendant d'exécuter les ordres émanés de l'administration; et contre les préfets, sous-préfets, maires et autres administrateurs, qui se seraient ingérés de prendre des arrêtés généraux tendant à intimer des ordres ou des défenses quelconques à des cours ou tribunaux. (C. P., 127, 130.)

160. Il ne suffisait pas de poser les principes, il fallait encore pourvoir à leur application, et fortifier davantage l'autorité dont l'organisation est la plus faible. De là l'obligation imposée aux juges de se dessaisir d'office, ou sur la réquisition du ministère public, des affaires qui sont de la compétence administrative, et le droit accordé à l'administration de réclamer l'affaire en élevant le conflit. Les tribunaux doivent, sur la réclamation qui leur est adressée, surseoir au jugement de l'affaire jusque après la décision de l'autorité supérieure. Les juges qui, nonobstant la réclamation, auraient procédé au jugement avant la décision de l'autorité supérieure, les officiers du ministère public qui auraient fait des réquisitions ou donné des conclusions pour l'exécution de ce jugement, seraient punis d'une amende de 16 francs au moins, et de 150 francs au plus. D'un autre côté, les administrateurs qui entreprennent sur les fonctions judiciaires en s'ingérant de connaître des droits et intérêts privés du ressort des tribunaux, et qui, après les réclamations des parties ou de l'une

d'elles, décident l'affaire avant que l'autorité supérieure ait prononcé, sont passibles de la même amende. (C. P., 128, 131.)

164. L'autorité supérieure qui prononce sur la question de compétence est le Conseil d'État, dont l'avis est approuvé par le Roi, et contre-signé par le ministre. Le Roi, en effet, placé au sommet du pouvoir exécutif, dont l'autorité judiciaire et l'autorité administrative ne sont que des émanations, était le seul régulateur possible de leur compétence. D'ailleurs l'administration aurait pu être facilement envahie par les tribunaux, si l'on eût réservé à ces derniers le jugement du conflit : car, toutes les fois que l'autorité judiciaire se serait déclarée compétente, ses décisions n'auraient été soumises à aucun recours, à aucune critique, parce qu'elle est essentiellement irresponsable, tandis que la décision du Roi, contre-signée par un ministre, tombe sous l'application du principe de la responsabilité; il n'y a donc pas à craindre, en présence des Chambres, un empiétement habituel et systématique de l'autorité administrative sur l'autorité judiciaire (1).

§ III. Garantie des Fonctionnaires publics.

162. C'est en yain qu'on enlèverait aux tribunaux le jugement des actes de l'administration, s'ils pouvaient librement traduire devant eux et juger ses agents: car alors, en frappant sur les personnes, ils condamneraient indirectement les actes, et ils paralyseraient facilement toutes les mesures par la crainte qu'ils inspireraient aux fonctionnaires. La loi du 14 décembre 1789 protége les officiers municipaux dénoncés pour délit d'administration (2). La loi du 24 août 1790 et (1) Décret du 16 fruct. an III. L. du 21 fruct. an III, art. 27.

(2) Tout citoyen actif pourra signer et présenter contre les officiers municipaux la dénonciation des délits d'administration dont il prétendra qu'ils se

la constitution du 3 septembre 1794 disent positivement que les juges ne pourront citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions (1). La constitution du 22 frimaire an vi a modifié ce qu'il y avait de trop général dans cette disposition par son art. 75, ainsi conçu :

« Les agents du gouvernement, autres que les mi»nistres, ne peuvent être poursuivis pour des faits >> relatifs à leurs fonctions qu'en vertu d'une décision >> du Conseil d'État: en ce cas, la poursuite a lieu » devant les tribunaux ordinaires. >>

163. Ce privilége reçoit le nom de garantie des fonctionnaires publics. Il est fondé sur un motif d'ordre public, de telle sorte que ceux auxquels il est attribué ne peuvent valablement y renoncer (2), que l'exception résultant du défaut d'autorisation peut être proposée en tout état de cause, et même relevée d'office par les tribunaux (C. cass. 11 mars 1837); mais elle ne pourrait être opposée au gouvernement, qui peut donner l'ordre à ses procureurs généraux de poursuivre sans l'autorisation du Conseil d'État les fonctionnaires qui auraient commis des crimes ou des délits.

164. L'art. 75 de la constitution de l'an vIII excepte de ses dispositions les ministres, qui sont placés dans une position exceptionnelle par l'art. 71. Aujourd'hui, d'après l'art. 47 de la Charte, la Chambre des Députés a seule le droit d'accuser les ministres pour les actes

seraient rendus coupables; mais avant de porter cette dénonciation devant les tribunaux, il sera tenu de la soumettre à l'administration ou au directoire du département, qui, après avoir pris l'avis de T'administration du district ou de son directoire, renverra la dénonciation, s'il y a lieu, devant le juge qui en devra connaître. » (L. du 14 décembre 1789, art. 61. V. sur l'application de cet article, n° 166.)

(1) Loi du 24 août 1790, t. 2, art. 13; const. du 3 sept. 1791, tit. 3, ch. 5, art. 3.

(2) Arrêt du Conseil du 6 juin 1811; C. cass. 11 mars 1837.

qui rentrent dans l'exercice de leurs fonctions, et la Chambre des Pairs a le droit de les juger. Les particuliers ne peuvent que dénoncer à la Chambre des Députés les faits dont ils croient avoir à se plaindre. Mais les ministres, pour les délits privés emportant peine afflictive et infamante, peuvent être poursuivis devant les tribunaux ordinaires en vertu d'une autorisation du Conseil d'État (Const. de l'an viii, art. 71.). D'après les principes que nous avons exposés, nos 65 et 69, les pairs en tout temps, et les députés pendant la session, ne peuvent être poursuivis en matière criminelle qu'avec l'autorisation de la chambre à laquelle ils appartiennent. Les membres du Conseil d'État ne peuvent être poursuivis pour les délits personnels emportant peine afflictive et infamante qu'avec l'autorisation du Conseil. (Const. de l'an vIII, art. 70) (1).

Les expressions de la constitution de l'an VIII offrent une généralité dont on a quelquefois abusé. La jurisprudence ne considère aujourd'hui comme couverts par la garantie que les dépositaires d'une portion de l'autorité du gouvernement, qui agissent directement en son nom et sous sa direction médiate ou immédiate, et font ainsi partie de la puissance publique (2); tel serait un commandant militaire, un préfet et un sous-préfet, un commissaire de police, etc.

165. Le principe fondamental, dans cette matière, est que le privilége ne peut être invoqué par les fonctionnaires publics que pour des actes qui ont lieu dans

(1) Le privilége des pairs, des députés, et des conseillers d'État, ainsi que le mode spécial de poursuites prescrit par les art. 479 et suiv. du Code d'Instruction criminelle, et l'art. 10 de la loi du 20 avril 1810 pour certains dignitaires, ne doivent point être confondus avec la garantie des fonctionnaires publics.

(2) Arrêt C. cass. 23 juin 1831; id. 3 mai 1838.

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