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ou par un notaire assisté de deux témoins, l'usage et la jurisprudence reçue dans la généralité des cours et des tribunaux du royaume ont été d'entendre les dispositions de cet article en ce sens que, hors le cas de dispo'sition testamentaire, le vœu du législateur avait été suffisamment rempli, lorsque l'acte était revêtu des signatures des deux notaires, bien que l'un d'eux n'eût pas été présent à la rédaction, et qu'en le jugeant ainsi, un arrêt de la Cour de Nimes du 15 juin 1830 n'avait violé aucune loi (1). » Cet arrêt, dont nous n'admettons pas la doctrine quant au point principal, nous paraît résoudre dans notre sens la question qui nous occupe. En décidant en effet que le vœu du législateur a été suffisamment rempli lorsque l'acte est revêtu de la signature des deux notaires, la Cour repousse implicitement le moyen fondé sur la désuétude, et juge que l'article 9 de la loi du 6 ventòse an xi existe toujours par cela même qu'elle l'interprète, quel que soit d'ailleurs le mérite de cette interprétation.

Le législateur n'a pas méconnu cependant les avantages qu'il peut y avoir quelquefois à suivre des usages généralement adoptés; mais alors il a eu le soin de légaliser ces usages, en déclarant d'une manière formelle que l'on devait s'y référer. C'est ainsi que, dans les art. 674 et 674 du Code civil, il renvoie, pour l'exercice de certains droits de voisinage, aux usages locaux ; qu'il veut que ces usages soient consultés également, lorsqu'il s'agit des délais des congés, art. 1736. Il pose aussi une excellente règle d'interprétation des conventions, lorsqu'il dit que tout ce qui est ambigu s'interprète par l'usage du pays où le contrat s'est passé (art. 1159); qu'on doit suppléer dans le contrat les clauses qui sont d'usage, quoiqu'elles n'y soient pas (1) C. C. 6 août 1833.

exprimées, etc., etc. Enfin le juge, qui est toujours forcé de prononcer, peut, en cas de silence ou d'obscurité de la loi, aller puiser dans l'usage un moyen de la compléter ou de l'interpréter. Mais il y a loin de tous ces cas exceptionnels au principe général qu'on emprunte au droit romain, pour en faire à notre droit actuel une application qui nous paraît mauvaise.

Un peuple qui nous a précédés dans la carrière constitutionnelle, et qui a sur nous l'avantage que donne l'expérience de plusieurs siècles, le peuple anglais admet comme principe constant qu'une loi ne peut être abrogée que par une autre loi ; il pousse si loin le. respect pour ce principe, qu'il y a peu d'années encore, un plaideur offrit le gage de bataille à son adversaire, en vertu d'une vieille loi du moyen-âge sur le combat judiciaire. Cette loi quoique inobservée depuis longtemps, et d'ailleurs complétement en désaccord avec les mœurs nouvelles, ne fut pas cependant considérée comme étant tombée en désuétude, et il fallut un acte du parlement pour l'abroger.

Une des conséquences du principe que nous venons de développer, c'est que, dans un gouvernement tel que le nôtre, le pouvoir exécutif ne devrait jamais souffrir qu'une loi fût placée, par suite de la négligence de ses agents, dans cette position douteuse qui n'est ni la vie ni la mort. Quand une loi n'est pas observée depuis longtemps, elle s'efface du souvenir des justiciables, qui d'ailleurs, en la voyant violer chaque jour à la face de l'autorité qui ne réclame pas, peuvent croire qu'elle a réellement cessé d'exister. Et cependant nous avons va souvent le pouvoir réveiller des dispositions qui dormaient depuis longues années dans le vaste dépôt du Bulletin des Lois, et en demander l'application contre les particuliers. Selon nous, il en a le droit ; mais alors

le devoir qui lui est imposé de faire abroger formellement celles qu'il considère comme n'étant plus en harmonie avec l'état de la société, n'en devient que plus rigoureux, car il doit éviter tout ce qui peut entraîner les citoyens dans l'erreur ou devenir pour eux une source de procès. Nous citions dans notre dernière édition comme un exemple des inconvénients que présente le silence de l'autorité, la loi du 18 mars 1814 sur la célébration des fêtes et des dimanches; nous disions que bien qu'elle ne fût abrogée ni formellement ni implicitement par la Charte de 1830 et par les lois •postérieures, elle ne recevait pas son exécution, ce qui pouvait induire les justiciables en erreur. Notre opinion sur l'existence de la loi de 1814 a été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 1838; notre observation sur les inconvénients du silence de l'autorité acquiert de cette décision de la Cour de cassation une force nouvelle.

84. La révolution de 1789 n'a pas seulement porté sur le droit public, mais elle a réformé l'ensemble de notre législation par des lois qui ont statué sur presque toutes les matières de droit public et de droit privé. Cependant quelques-unes des anciennes lois ont survécu, et sont encore en vigueur aujourd'hui.

Les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements qui portaient sur les matières réglées par le Code civil, ont cessé d'avoir force de loi à partir de la promulgation de ce Code (1). Il en est de même des dispositions relatives aux matières qui sont l'objet des Codes de commerce, de procédure, d'instruction criminelle, des Codes pénal, forestier, etc., etc. Cependant il faut observer que ce principe ne s'applique qu'aux matières (1) L. 30 vent. an XII, art. 7.

réglées par un système complet dans les lois nouvelles, et non à celles qui ne sont l'objet que de quelques dispositions isolées (1); ainsi il y a des lois antérieures aux Codes que ceux-ci supposent, auxquelles ils se réfèrent, et qui par conséquent sont encore en vigueur. Le Code pénal dit même positivement dans son art. 484 que dans toutes les matières qui n'ont pas été réglées par lui, et qui sont régies par des lois et règlements particuliers, les cours et les tribunaux continueront de les observer. C'est surtout en matière de police qu'il existe un grand nombre d'anciens règlements, dont quelques-uns ont une date fort ancienne, et sont encore appliqués aujourd'hui tels sont l'édit de décembre 1607, concernant la voirie; l'arrêt du Conseil du 27 février 1765, sur l'alignement; celui du 7 septembre 1755, relatif aux matériaux à prendre dans les endroits non clos, pour l'usage des ponts et chaussées, etc., etc.

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La loi des 19 et 21 juillet 1794 autorise l'administration à publier de nouveau les lois et règlements de police et à rappeler les citoyens à leur observation; c'est ce qu'il convient de faire toutes les fois qu'il s'agit d'une disposition qui peut être ignorée de la masse des citoyens : ainsi le Directoire exécutif a pris, le 25 messidor an v, un arrêté pour ordonner l'exécution des mesures prescrites en cas d'épizootie par un arrêt du parlement du 24 mars 1745, et par deux arrêts du Conseil des 19 juillet 1746 et 16 juillet 1784, arrêts que le ministre de l'intérieur présente comme n'étant point abrogés, mais dont il déclare avoir concilié les dispositions avec l'ordre constitutionnel. En effet, il arrive souvent que l'application des anciennes lois pénales ne peut avoir lieu que partiellement, parce que plusieurs de leurs dispositions sont abrogées formelle

(1) C. cass, arrêt du 19 févr. 1813.

ment ou implicitement: telles sont celles qui prononcent des peines qui n'ont point été conservées dans le Code pénal, comme la peine du fouet, de l'amende honorable, etc. Il faut donc alors distinguer avec soin ce qui est abrogé de ce qui peut coexister avec les lois nouvelles.

85. Une loi du 30 juillet 1828 admettait en principe que le droit d'interpréter la loi est une conséquence du droit de la créer : ainsi, lorsque après la cassation d'un premier arrêt ou jugement en dernier ressort, le deuxième arrêt ou jugement rendu dans la même af→ faire, entre les mêmes parties, avait été cassé par les mêmes moyens, le jugement de l'affaire était renvoyé à une Cour royale qui prononçait sans recours; mais, dans la session législative suivante, une loi interprétative était soumise aux Chambres. Ce système avait été critiqué sous plusieurs rapports. 1° Il donnait à la der→ nière Cour royale plus d'autorité qu'à la Cour de cassation, qui se trouvait ainsi placée dans un état d'infériorité tout-à-fait incompatible avec sa qualité de Cour suprême. 2o En renvoyant l'interprétation au Corps législatif par la raison que c'est à l'auteur d'une loi à l'interpréter, on supposait que chaque législature était également bien pénétrée des intentions des législatures antérieures; que les Chambres actuelles, par exemple, pourraient se mettre à la place des Chambres de la Restauration, du Corps législatif impérial, ou de la Convention, pour expliquer leurs intentions; on pouvait même arriver à une impossibililé, car si les trois branches du pouvoir législatif n'étaient pas d'accord sur l'interprétation à donner, aucune conciliation ne pouvait avoir lieu, puisqu'il ne s'agissait pas d'innover, mais seulement d'expliquer le sens d'une loi. 3o Enfin la loi ainsi rendue devait s'appliquer aux dif

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