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dans une telle conjoncture, cède à la force et se porte au mal, pouvait et devait souffrir plutôt les maux dont il était menacé, que de manquer à ce qu'il devait, ou à la vérité, ou à la justice, dont l'attrait, s'il l'avait aimée, l'aurait tenu ferme contre la terreur de tout autre mal, que celui d'abandonner un devoir si essentiel. Ainsi, la force n'a pas ruiné sa liberté, mais, l'affaiblissant, l'a engagé à en faire un mauvais usage, et à choisir librement le parti de faire le mal pour ne point souffrir; mais quand il s'agit d'une force qui ne met pas à l'épreuve de violer quelque devoir, et qui met seulement dans la nécessité de faire une perte, celui qui se trouve dans une telle conjoncture, qu'il faut, ou qu'il abandonne son intérêt, ou que, pour le conserver, il s'expose aux effets de la violence, est dans un état où il ne peut user de sa liberté pour prendre le parti de conserver ce qu'on peut lui faire perdre; car, encore qu'il soit vrai qu'il pût, s'il voulait, souffrir le mal dont on le menace, la raison détermine sa liberté au parti de souffrir la perte, et se délivrer par ce moindre mal de l'autre plus grand, que sa résistance aurait attiré. Ainsi, on peut dire qu'il n'est pas libre, et qu'il est forcé (1); puisqu'il ne pourrait sagement user de sa liberté, pour choisir le parti de résister à la violence, et de s'exposer, ou à la mort, ou à d'autres maux, pour conserver son bien; car enfin, ce qui blesse la prudence est contraire au bon usage de la liberté, puisque ce bon usage est inséparable de la raison, comme la volonté est inséparable de l'entendement.

On peut juger par cette remarque sur la liberté nécessaire dans les conventions, que si la violence est telle que la prudence et la raison obligent celui que l'on veut forcer d'abandonner quelque bien, quelque droit, ou autre intérêt, plutôt que de résister, le consentement qu'il donne à une convention qui le dépouille de son bien, pour se garantir d'une telle force, n'a pas le caractère de la liberté nécessaire pour s'engager, et que ce qu'il fait dans cet état contre son intérêt doit être annulé.

Il faut encore remarquer sur ce même sujet de l'effet de la force dans les conventions, que toutes les voies de fait, toutes les violences, toutes les menaces sont illicites; et que les lois condamnent, non-seulement celles qui mettent en péril de la vie ou de quelque tourment sur le corps, mais toutes sortes de mauvais traitemens, et de voies de fait. Et il faut enfin remarquer, que comme toutes les personnes n'ont pas la même fermeté pour sister à des violences et à des menaces, et que plusieurs sont si faibles et si timides, qu'ils ne peuvent se soutenir contre les moindres impressions, on ne doit pas borner la protection des lois contre les menaces et les violences, à ne réprimer que celles qui sont capables d'abattre les personnes les plus intrépides. Mais il est juste de protéger aussi les plus faibles et les plus timides, et (1) L. 21, § 5, ff. quod. met. caus.

c'est même pour eux principalement que les lois punissent toute sorte de voies de fait, et d'oppressions (1). Ainsi, comme elles répriment ceux qui, par quelque dol ou quelque surprise, ont abusé de la simplicité des autres, encore que le dol n'aille pas jusqu'à des faussetés ou à d'autres excès (2), elles s'élèvent à plus forte raison contre ceux qui, par quelques violences impriment de la terreur aux personnes faibles, encore que la violence n'aille pas à mettre la vie en péril.

Il s'ensuit de tous ces principes, que si une convention a été précédée de quelque voie de fait, de quelque violence, de quelques menaces qui aient obligé celui qui s'en plaint à donner un consentement contre la justice et son intérêt, il ne sera pas nécessaire pour l'en relever qu'il prouve qu'on l'ait exposé au péril de sa vie, ou de quelque autre grande violence sur sa personne; mais s'il paraît par les circonstances de la qualité des personnes, de l'injustice de la convention, de l'état où était la personne qui se plaint, des faits de la violence ou des menaces, qu'il n'ait donné son consentement, qu'en cédant à la force, il sera juste d'annuler une convention qui n'aura pour cause que cette mauvaise voie de la part de celui qui l'a exercée, et la faiblesse de celui qu'on a engagé contre la justice et son intérêt.

On a fait ici toutes ces remarques, pour rétablir les principes naturels des règles de cette matière; et pour rendre raison de ce qu'on n'a pas mis, parmi les règles de cette section, la règle du droit romain qui veut qu'on ne considère pas comme des violences suffisantes pour annuler un consentement, celles qui ne pourraient troubler que des personnes faibles et timides, mais qu'il faut que la violence soit telle, qu'elle imprime une terreur capable d'intimider les personnes les plus courageuses (3), ce qu'une autre règle réduit au péril de la vie, ou à des tourmens sur la personne (4); car il est très-juste, et c'est notre usage, que toute violence étant illicite, on réprime celles même qui ne vont pas à de tels excès, et qu'on répare tout le préjudice que peuvent causer des violences qui engagent les plus faibles à quelque chose d'injuste, et de contraire à leur intérèt. Ce qui se trouve même fondé sur quelques règles du droit romain, où toute force était illicite, et où les voies de fait étaient défendues, lors mème qu'on les employait à se faire justice à soi-même (5). Et ces règles sont tellement du droit naturel, qu'il ne pourrait y avoir d'ordre dans la société des hommes, si les moindres violences n'étaient réprimées.

1. On appelle force toute impression illicite, qui porte une personne contre son gré, par la crainte de quelque mal considérable,

(1) Levit. 6, 2, 19, 13. (2) L. 1, ff. de dolo. (3) P. 6, ff. quod met. caus. (4) L. 13. Cod. de Traus. 1. 8. Cod. de resc. vend. (5) L. 1, § ff. quod met.

caus.

à donner un consentement qu'elle ne donnerait pas, si sa liberté était dégagée de cette impression (1). (C. civ. 1109, s.)

2. Toute convention, où l'un des contractans n'a consenti que par force, est nulle; et celui qui a exercé la force en sera puni selon la qualité du fait, et sera tenu de tous les dommages et intérêts qu'il aura causés (2). (C. civ. 1111,1117.)

3. Quoiqu'on ne se porte pas à des violences, ni à des menaces qui mettent la vie en péril, si on use d'autres voies illicites, comme si on retient une personne enfermée jusqu'à ce qu'elle accorde ce qu'on lui demande; si on la met en péril de quelque mal, dont la juste crainte l'oblige à un consentement forcé, ce consentement sera sans effet; et celui qui aura usé d'une telle voie, sera condamné aux dommages et intérêts, et aux autres peines qu'il pourra mériter selon les circonstances. Ainsi, si celui qui tient en dépôt des papiers, ou d'autres choses, nie le dépôt, et menace de brûler ce qu'il est obligé de rendre, à moins que celui à qui le dépôt doit être rendu ne lui donne une somme d'argent, ou autre chose qu'il exige injustement, ce qu'on aura consenti de cette manière sera annulé; et ce dépositaire sera puni de son infidélité, et de cette exaction, selon les circonstances (3). (C. civ. 1112.)

Les lois ne souffrent aucune sorte de violence, ni l'usage d'aucune force aux particuliers, non pas même pour se faire justice. Ainsi elles souffrent encore moins qu'on force, qu'on menace, qu'on intimide pour extorquer un consentement à une prétention injuste.

4. Si un magistrat, ou autre officier use de son autorité contre la justice, et que, par des menaces ou d'autres mauvaises voies, soit pour l'intérêt d'autres personnes, où pour le sien, il engage quelque personne à donner un consentement, qui ne soit donné que par la crainte du mal qu'il peut faire, ce consentement extorqué par cette violence sera annulé, et l'officier tenu du dommage qu'il aura causé (4), et des autres peines qu'une telle malversation pourra mériter. (P. 183, 166, 167, i. 483, 484, s.)

Tout délit forestier, commis par un garde forestier dans les bois confiés à sa garde, est de droit réputé commis dans l'exercice de ses fonctions (5).

Un adjoint de maire prévenu d'avoir ordonné une arrestation arbitraire, s'il a procédé en qualité d'officier de police judiciaire, peut être poursuivi sur la citation du procureur général : il n'y a pas de nécessité d'autorisation de l'administration supérieure (6).

(1) L. 2, ff. quod met. caus. L. 3, § 1, eod. L. 5, eod. L. 1, eod. (2) L. 1, ff. quod met. caus. L. 3, eod. L. 6, ff. de off. præs. L. 116, ff. de reg. jur. (3) L. 8, $1, ff. quod met. caus. L. 1, eod. L. 22, eod. L. ult. § 2, eod. Levit. 6, 2. (4) L. 3, § 1, quod met. caus. L. ult. C. de his quæ vi metusve. c. g. s. V. la sect. 8 du Contrat de vente, dans le préamb. V. ord. de Philippe-le-Bel, en 1320. (5) Cass. 14 juillet 1822. (6) Ordonnance, 8 janvier 1817.

Dans le cas de forfaiture de la part d'un fonctionnaire public de la lasse de ceux dont il est parlé dans l'art. 483, le mandat d'amener ne peut être décerné par le juge d'instruction: il doit être procédé contre lui comme il est dit aux art. 479 et suivans (1). Lorsque le premier président de la cour royale remplace le juge d'instruction relativement aux crimes imputés aux magistrats inférieurs et aux officiers de police judiciaire, il ne peut, sans commettre un excès de pouvoir, annuler la procédure qui aurait été faite par un juge d'instruction ordinaire. Il faut, au contraire, que cette annulation soit prononcée par la chambre du conseil du tribunal de première instance, ou par la chambre d'accusation de la cour royale. (2).

Lorsque le premier président et le procureur général d'une cour royale remplissant les fonctions de juge d'instruction et de procureur du roi pour la poursuite de crimes commis par les fonctionnaires dési gnés par l'art. 484, la chambre du conseil de première instance ne peut en connaître. L'affaire doit être portée de plano devant la chambre de mise en accusation de la cour royale, qui statue sur le rapport du procureur général (3).

5. Si la violence, les menaces ou autres voies semblables sont exercées sur d'autres personnes que celui de qui on veut extorquer un consentement, et qu'on l'intimide par l'impression que fera sur lui la crainte de voir ces personnes exposées à quelquemauvais traitement, comme si c'est sa femme, ou son fils, ou une autre personne de qui le mal doive le toucher, le consentement donné par de telles voies sera annulé, avec les dommages et intérêts, et les autres peines selon les circonstances (4). (P. 400.)

Il y a commencement de crime d'extorsion prévu par cet art. du code, lorsque, après avoir écrit le corps du billet à ordre que l'on se propose d'extorquer par violence, on conduit la victime, pour la forcer de les signer, au lieu où tout a été préparé pour la consommation du crime.

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Celui qui a commis le crime d'extorsion, ou de tentative d'extorsion d'un titre contenant obligation, encourt la peine portée par l'art. 400, lors même que ce titre serait resté imparfait et irrégulier. Le complice de l'auteur d'une tentative de crime, lorsqu'elle a été commise avec une ou plusieurs des circonstances nécessaires pour lui imprimer le caractère de crime, est passible de la même peine que l'auteur, lors même qu'il n'a pris aucune part au commencement d'exécution (5).

6. Tout ce qui aura été fait par force, ne sera pas seulement nul à l'égard de ceux qui l'auront exercée, mais à l'égard de toute autre personne qui prétendrait s'en servir; car ce qui de soi-même est illicite, ne peut subsister pour qui que ce soit; quoique même ceux qui ont exercé la violence n'en profitent point (6).

7. Dans tous les cas où il s'agit de donner atteinte à une convention, ou à quelque consentement qu'on prétend donné par la

(1) Cass. 18 avril 1816. (2) Cass. 27 août 1818. (3) Cass. 10 mai 1822. (4) L.. 8. ff. S ult. quod met: caus. S ult. inst. de noxal. act. (5) Cass. 6 fév. 1812. (6) L. 14, § 3, ff. quod mèt. caus. L. 9, § 1, eod. L. 5. C. eod.

il en

crainte de quelque violence, ou autre mauvais traitement, faut juger par les circonstances, comme de l'injustice qui a été faite à celui qui prétend avoir été forcé, de la qualité des personnes, de celles des menaces, ou autres impressions, comme si on a mis une femme en péril de son honneur; si des personnes violentes ont usé de menaces contre une personne faible, et l'ont exposée à quelque péril; si c'était le jour ou la nuit, dans une ville ou à la campagne. Et c'est par ces sortes de circonstances, et les autres semblables, et par la conséquence de réprimer toute sorte de violences et de mauvaises voies, qu'il faut juger de l'égard qu'on doit avoir à la crainte où s'est trouvé celui qui se plaint, et à l'impression qu'elle a pu faire sur sa raison et sa liberté (1). (C. civ. 1112, 1115, 892, 1117, 1338.)

Les faits de violence doivent avoir le caractère de délit pour annuler l'obligation (1112) (2). Au reste, il faut que la crainte inspirée soit contraire au droit et à la justice, celle d'une contrainte légale ne peut pas opérer la nullité d'une obligation: par exemple, on ne peut demander la nullité d'un remboursement fait en assignats à une époque où ils avaient cours, sous prétexte qu'il n'a été reçu que par contrainte, parce que ce remboursement était autorisé par la loi (3).

De ce que, pour établir le dol et la fraude qui ont donné naissance à un acte, on argumente de l'invraisemblance et de la fausseté des énonciations qu'il renferme, il ne s'ensuit pas qu'il faille recourir à l'inscription de faux, et qu'on ne puisse, sans cette voie, faire annuler l'acte pour dol et pour fraude (4). Lorsque la renonciation à une hypothèque acquise n'a été consentie que sur de fausses apparences de solvabilité données par le débiteur, le rétablissement de l'hypothèque sur ses biens encore libres, peut être ordonné par les tribunaux, lorsque cette mesure ne blesse pas les intérêts des tiers (5).

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La ratification d'un acte nul dans son principe, n'a pas un effet qui remonte à l'époque où cet acte a été passé. L'acte ratifié est régi non par la loi qui existait lors de la confection, mais par celle sous l'empire de laquelle la ratification a eu lieu (6). L'exécution d'un contrat nul n'en couvre pas le vice, s'il n'est établi que la partie qui l'a exécuté connaissait le moyen de nullité et a voulu y renoncer.- Un acte notarié est nul par cela seul que la date en a été surchargée, et les parties peuvent en demander l'annulation, même après l'avoir exécuté, s'il n'est pas prouvé qu'elles ont voulu en couvrir le vice (7).

Un acte souscrit par suite de dol et de violence, quoiqu'il soit susceptible de confirmation, ne serait pas susceptible de confirmation ou rati. fication par exécution volontaire, s'il ne contenait qu'une obligation sur cause fausse, la cause fausse rendant l'acte sans effet, et conséquemnent non susceptible de ratification (8). Une surenchère n'est pas un acte tellement récognitif de la validité de la vente, qu'on ne puisse plus l'attaquer pour vice de dol et de fraude, surtout si l'on a fait à cet égard des réserves par l'acte de surenchère (9).

(1) L. 3, ff. ex quib. caus. maj. L. 8, § 2, quod met caus. L. ult. eod. L. 13, ff. quod met. caus. (2) Toulouse, 24 juillet 1810. (3) Bruxelles, 12 thermidor 10. (4) Aix, 13 juillet 1813. (5) Angers, 26 juin 1818. (6) Cass. 12 déc. 1810. (7) Cass. 27 août 1812. (8) Cass. 9 juin 1812. (9) Rejet, 11 janv. 1815.

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