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abus est beaucoup moindre en réalité qu'on se l'imagine; quand les citoyens seront accoutumés à l'importance et à l'exercice de leurs droits politiques ils mettront plus d'attention, plus de zèle, plus d'intérêt personnel à remplir la mission d'élire qui leur est confiée; si les corps électoraux acquièrent une meilleure composition la garantie redouble sous cet aspect; et vous voyez même quelle est la tendance de l'esprit général, puisque d'une part, quand on craint que des électeurs nomment des citoyens qui ne sont pas dans leur département, on est obligé de convenir que dans le fait ils ne seront pas même portés à nommer hors du corps électoral ce serait bien plus cela qu'il faudrait combattre que de craindre l'extension de cette maxime nécessaire à la sûreté du gouvernement représentatif, que tous les citoyens français puissent être nommés représentans de la nation par quelque section élisant que ce soit; car le corps qui élit n'élit pas par son propre droit; il élit en vertu d'une délégation qui lui est donnée par la nation, pour la nation, attendu que ·la nation ne peut pas se réunir entière : il y a donc dans chaque section le même droit que dans la nation, et l'on doit y trouver les mêmes principes que si la nation élisait en corps.

» C'est une idée étroite, et que l'esprit public a rendue défavorable, que celle de croire qu'il faut consacrer dans chaque département l'élection de député au corps législatif. La disposition que vous avez rendue était bonne dans la circonstance où vous l'avez faite; car les motifs n'ont pu d'abord vous déterminer que jusqu'à ce que le système politique des assemblées politiques pût se perfectionner : cela peut rester avec avantagé comme loi que vous avez faite; mais il ne faut pas consacrer imperturbablement, constitutionnellement, comme principe du gouvernement représentatif, un principe qui à la longue détruirait le gouvernement représentatif; il ne faut pas mettre dans la Constitution la maxime qu'on ne peut pas élire un citoyen français parce qu'il n'est pas de tel département... (Murmures. Aux voix, aux voix.)

» J'avais oublié de dire à l'Assemblée que le motif puissant qui a déterminé les comités c'est qu'ils ont cru qu'en

concentrant la nomination des députés dans chaque département c'était donner au pouvoir exécutif le moyen.... (Ab, ab, ab! dans l'extrémité gauche. Aux voix, aux voix. Bruit.)

» Ce moyen peut être fort mauvais, l'Assemblée peut bien ne pas l'adopter, mais je soutiens que l'Assemblée doit l'entendre; c'est que s'il existe dans le royaume deux hommes dont le mérite éminent, dont l'admission au corps législatif intéresse essentiellement la nation, il est évident que le pouvoir exécutif n'a qu'un département à gagner pour les empêcher d'être élus..... » (Les murmures continuent; M. Thouret abandonne la tribune.)

On ferme la discussion : l'Assemblée décrète que la disposition réclamée, contenue dans le décret du 22 décembre 1789, sera insérée dans la Constitution; en conséquence les deux premiers articles de la section III sont mis aux voix, et adoptés avec l'amendement à l'article 2 :

« Art. 2. Les représentans et les suppléans seront élus à la pluralité absolue des suffrages, et ne pourront être choisis que parmi les citoyens actifs du département, »

L'article 3 avait été ajourné avec l'article 7 de la section précédente. (Voyez plus haut, page 108.) M. Thouret mit en délibération les articles 4 et 5, concernant les incompatibilités dans les fonctions de député. Sur les observations de plusieurs membres que ces articles (1) ne renfermaient qu'imparfaitement les décrets des 9 et 13 juin de la même année, l'Assemblée décida presque sans discussion

(1) Voici les articles du projet :

Art. 4. Seront néanmoins obligés d'opter les ministres et les autres agens du pouvoir exécutif révocables à volonté, les commissaires de la trésorerie nationale, les percepteurs et receveurs des contributions directes, les préposés à la perception et à la régie des contributions indirectes, et ceux qui, sous quelque dénomination que ce soit, sout attachés à des emplois de la maison domestique du roi.

Art. 5. L'exercice des fonctions municipales, administratives et judiciaires sera incompatible avec celle de représentant de la nation pendant toute la durée de la législature.» (Voyez les mêmes articles dans la Constitution, adoptés et rédigés d'après le décrét du 13 juin 1791.)

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que ces décrets seraient rétablis et fondus dans l'acte cons titutionnel. (Dans la discussion relative aux incompatibi lités, les 9 et 13 juin 1791, il n'y eut point de véritable opposition; on ne différa que sur les formes; l'Assemblée se trouvait unanime quant au principe, consistant à écarter constitutionnellement du sein des représentans, qui sont inviolables et libres dans leur opinion, tout fonctionnaire dépendant et responsable.)

Dans la séance du 13 M. Thouret rouvrit la discussion en donnant lecture de l'article 6 avec un ton marqué :

« 6. Les membres du corps législatif pourront être réélus à la législature suivante, et ne pourront l'être ensuite qu'après l'intervalle d'une législature.

Une grande agitation se manifeste dans la salle; aux voix, aux voix, s'écrie-t-on de l'extrémité gauche et du côté droit. M. Thouret réclame un moment de délai.

M. Thouret. « Je ne dirai qu'un mot sur cet article. L'opinion que le comité de constitution avait eue lors de la proposition de cette question ayant été soumise à un nouvel examen, les comités de constitution et de révision ont été unanimement d'accord que cet article était nuisible à l'intérêt national; c'est pour cela qu'ayant été obligés d'apposer notre signature à notre travail nous avons cru devoir y ajouter que nous persistions dans notre première opinion. Voilà à quoi se borne mon observation, ainsi que la note imprimée à la suite de cet article. »>

Les cris aux voix recommencent; la majorité est debout, L'Assemblée délibère, et confirme cette disposition dans les mêmes termes qu'elle l'avait décrétée le 19 mai de la même année. (Voyez tome V.)

L'article 7 était ainsi conçu dans le projet :

7. Les représentans nommés dans les départeinens ne seront pas représentans d'un département particulier, mais de la nation entière (1);

(1) Le principe avait été décrété en novembre 1789, sur la seule pro-, position du comité de constitution, et à l'unanimité.

et la liberté de leurs opinicus ne pourra être gênée par aucun mandat, soit des assemblécs primaires, soit des électeurs. »

M. Lanjuinais. « Je crois que les mots ne pourra étre génée ne peuvent rester; il est évident que des esprits subtils ne manqueraient pas de tirer des conséquences de cet article. Je demande qu'il soit dit: et il ne pourra leur étre donné aucun mandat. (Adopté. Voyez la Constitution.) i

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La troisième section était décrétée; le rapporteur des comités allait passer à la suivante lorsque M. Saint-Martin rappela à l'Assemblée le décret du 7 avril, qui défend aux membres des législatures de recevoir du pouvoir exécutif ni dons, ni pensions, ni traitemens, ni emplois, etc., pendant la durée de leurs fonctions ni pendant quatre ans après en avoir cessé l'exercice. M. Saint-Martin demandait que ces dispositions fussent placées dans la section qui venait d'être décrétée. M. Thouret s'y opposa, les regardant «< comme des mesures bonnes en révolution, lorsqu'après un long despotisme une nation s'éveille et se reconstitue, lorsque son principal ennemi est le pouvoir exécutif, parce que c'est lui qui a corrompu et qui a opprimé, et que c'est contre lui que la nation reprend l'exercice de ses droits; mais, ajouta M. Thouret, quand la révolution est terminée, quand après avoir tout détruit il faut tout rétablir, quand il faut former un gouvernement qui donne le mouvement et la vie au corps politique, alors c'est une erreur profonde que de traiter encore le pouvoir exécutif en ennemi de la chose publique. » Le rapporteur finit en déclarant que les comités s'étaient déterminés à ne pas employer le décret du 7 avril « parce qu'il leur avait paru mettre dans un état permanent d'hostilité les deux pouvoirs constitutionnels qui doivent le plus fraterniser. » Ces puissans motif's ne purent convaincre les esprits les dispositions que rejetaient les comités avaient de nombreux partisans; déjà deux fois accueillies (1)

:

(1) En novembre 1789, proposées en partie par M. Lanjuiuais, et ajournées; décrétées en avril 1791, sur la motion de Robespierre, et presque sans discussion. (Voyez tome V, Organisation du ministère.

dans l'Assemblée, elles y retrouvèrent des défenseurs qui les soutinrent avec opiniâtreté, soit en se renfermant dans ce seul argument qu'elles avaient été décrétées constitutionnellement, soit en s'attachant à détruire les objections faites par les comités. Les motifs donnés pour et contre se trouvent réunis dans les discours de MM. Duport et Ræderer.

M. Duport. (Séance du 13 août 1791.) « La France entière a été témoin de la rapidité avec laquelle la question Ja plus essentielle pour la liberté a été enlevée. Je demande que cette question soit mûrement examinée... (Murmures.) S'il est vrai qu'un acte de générosité, je veux bien l'appeler ainsi, ait porté les membres de l'Assemblée actuelle à renoncer à toutes les places du pouvoir exécutif, je demande si les mêmes motifs peuvent être allégués dans la question qui vous est présentée pour qu'il soit interdit à jamais au pouvoir exécutif, que vous désirez être populaire, actif, de choisir ses agens dans les législatures! Avec cette interdiction le pouvoir exécutif deviendra votre ennemi et vous détruira; il détruira la liberté... (Allons donc! Oui, oui. Ecoutez.)

» Le pouvoir exécutif détruira votre liberté, je le répète, ou vous le détruirez vous-mêmes (murmures), et votre liberté est alors également en danger. Je dis que s'il y a des hommes assez méprisables pour porter leurs ressentimens dans le cœur des autres, ou qui croient voir dans une opinion infiniment raisonnable un désir qui regarde quelques individus de cette Assemblée, ces hommes ne sont pas dignes de siéger ici; je dis que des hommes qui depuis plus de deux ans, et même avant ce temps, ont toujours travaillé pour la liberté de leur pays (murmures), qui y ont tout sacrifié, que ces hommes-là ont le droit d'être écoutés; je dis que sí la colère, la haine ou toute autre passion préside à la délibération sage qui doit établir un gouvernement solide dans ce pays-ci, ce gouvernement ne sera pas établi (on rit); et personne ne me niera qu'il ne faille examiner une question de cette importance avec tout le sang froid qu'elle exige, et que la France vous demanderait un jour compte des momens que vous avez employés à des questions bien autrement

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