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9. Louis XIV et Molière.

Pour l'intelligence de ce récit, il faut savoir que tous les soirs on apportait chez le roi un grand bol de bouillon, un poulet rôti froid, une bouteille de vin et quelques autres objets, en cas qu'il eût appétit ; ce service s'appelait l'en cas de nuit. Louis ayant su que les officiers de sa chambre témoignaient par des dédains offensants combien ils étaient blessés de manger avec Molière, valet-de-chambre du roi, parce qu'il avait joué la comédie, cet homme célèbre s'abstenait de se trouver à table avec eux. Le prince voulant faire respecter l'immortel auteur du Misanthrope et du Tartuffe, lui dit un matin, à l'heure de son petit lever: "On dit que vous faites maigre chère ici, Molière, et que les officiers de ma chambre ne vous trouvent pas fait pour manger avec eux. Vous avez peut-être faim; moi-même je m'éveille avec un très-bon appétit; mettez-vous à cette table, et qu'on me serve mon en cas de nuit." Alors le roi, découpant sa volaille, et ayant ordonné à Molière de s'asseoir, lui sert une aile, en prend en même temps une pour lui, et commande que l'on introduise les entrées familières, qui se composaient des personnes les plus marquantes et les plus favorisées de la cour. "Vous me voyez, leur dit le roi, occupé à faire manger Molière, que mes valets-de-chambre ne trouvent pas d'assez bonne compagnie pour eux. De ce même moment, toute la cour s'empressa de faire des invitations à Molière.

10. Le maire de Luçon.

Après avoir fait un séjour de vingt-quatre heures à Napoléonville, Napoléon Ier se dirigea vers Niort. En arrivant à Luçon, il s'aperçut que les habitants avaient fait de grands frais en arcs-de-triomphe pour le recevoir. Il témoigna au maire, qui vint à sa rencontre à la tête d'une députation, tout le plaisir qu'il éprouvait d'une

telle surprise et surtout d'une telle réception; mais à la suite de sa harangue, l'officier municipal, ayant recommandé à la générosité inépuisable de Sa Majesté les habitants de la commune qui, ajouta-t-il, n'étaient pas riches: "Mais alors, monsieur le maire, lui dit l'empereur d'un air plus qu'étonné, pourquoi ces dépenses inutiles, ces apprêts ?... Je m'en serais bien passé, je Ah! Sire, répliqua le maire, nous avons fait tout ce que nous devions; mais... j'avouerai à Votre Majesté que nous devons tout ce que nous avons fait. A cette spirituelle naïveté, l'empereur ne put s'empêcher de rire et fit remettre à l'officier municipal un rouleau de cent napoléons.

vous assure.

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MARCO DE SAINT-HILAIRE.

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11. Impartialité.

Un Arabe était venu se jeter aux genoux du sultan Amurath pour se plaindre des violences que deux inconnus exerçaient dans sa maison. Le sultan s'y transporta aussitôt, et, après avoir fait éteindre les lumières, saisir les criminels et envelopper leurs têtes d'un manteau, il commanda qu'on les mît à mort. L'exécution faite, le sultan, faisant rallumer les flambeaux, considère les corps de ces criminels, puis lève les mains au ciel et rend grâce à Dieu. "Quelle faveur, lui dit son vizir, avez-vous donc reçue du ciel ? Visir, répond le sultan, j'ai cru mes fils auteurs de ces violences, c'est pourquoi j'ai voulu qu'on éteignît les flambeaux, qu'on couvrît d'un manteau le visage de ces deux malheureux; j'ai craint que la tendresse paternelle ne me fît manquer à la justice que je dois à mes sujets. Juge si je dois remercier le ciel, maintenant que je me trouve juste sans être parricide.”

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12. Un nouveau Régulus.

Hododine combattait en 1798 contre les Vendéens. La fortune trahit son courage; il fut fait prisonnier.

On le chargea, comme Régulus à Carthage, d'une mission pour un échange de prisonniers. Les conditions étaient les mêmes; sa vie était attachée au succès de l'entreprise. Il part pour Nantes, expose l'objet de sa mission et ne peut réussir. Il avait fait serment de retourner au camp ennemi, dans le cas où les propositions ne seraient pas acceptées. Ses concitoyens lui firent les plus vives instances pour le décider à ne point se livrer aux Vendéens. Il résista avec fermeté aux prières de ses amis, aux larmes de sa famille, et alla dégager sa parole. Mais plus heureux que Régulus, il trouva des admirateurs de sa vertu parmi ses ennemis même; et loin de se souiller de son sang, les Vendéens renvoyèrent honorablement Hododine dans sa famille.

13. Comment on devient maréchal de France.

Le maréchal Lefebvre avait un camarade de régiment qui vint le voir un jour et qui admirant, non sans un sentiment d'envie, son bel hôtel, ses belles voitures, sa nombreuse livrée, ses magnifiques appartements, tout le train enfin d'un grand dignitaire de l'empire: "Parbleu, lui dit-il, il faut avouer que tu es bien heureux, et que le ciel t'a bien traité ! Veux-tu, lui répondit le maréchal, avoir tout cela? Oui, certainement. La chose est très-simple: tu vas descendre dans la cour de mon hôtel; je mettrai à chaque fenêtre deux soldats qui tireront sur toi. Si tu échappes aux balles, je te donnerai tout ce que tu m'envies. C'est comme cela que je l'ai obtenu.

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SAINT-MARC GIRARDIN.

14. Pourquoi Charles XII ne buvait
que de l'eau.

Charles XII, roi de Suède, avait un jour, étant ivre, manqué au respect qu'il devait à la reine sa mère. Elle

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se retira dans son appartement, pénétrée de douleur, et y resta enfermée tout le lendemain. Comme elle ne paraissait pas, le roi en demanda la cause; on la lui dit. Il fit remplir un verre, et alla trouver cette princesse : Madame, lui dit-il, j'ai appris qu'hier, dans le vin, je m'étais oublié à votre égard; je viens vous en demander pardon, et afin que je ne tombe plus dans l'ivresse, je bois ce verre à votre santé ; ce sera le dernier de ma vie." Il tint parole, et depuis ce jour il ne but jamais de vin.

15. Dot imprévue.

M. de La Bruyère venait presque journellement s'asseoir chez un libraire nommé Michallet, où il feuilletait les nouveautés et s'amusait avec une enfant fort gentille, fille du libraire, qu'il avait prise en amitié. Un jour, il tire un manuscrit de sa poche, et dit à Michallet: "Voulez-vous imprimer ceci? (c'étaient les Caractères). Je ne sais si vous y trouverez votre compte ; mais, en cas de succès, le produit sera pour ma petite amie. "Le libraire, plus incertain de la réussite que l'auteur, entreprit l'édition ; mais à peine l'eut-il exposée en vente qu'elle fut enlevée et qu'il fut obligé de réimprimer plusieurs fois ce livre, qui lui valut deux à trois cents mille francs. Telle fut la dot imprévue de sa fille, qui fit dans la suite le mariage le plus avantageux.

Mémoires de l'Académie de Berlin.

16. Louis XI et le marmiton.

Louis XI étant au château du Plessis, près de Tours, descendit un jour dans les cuisines. Il y trouva un jeune garçon dont la physionomie prévenait en sa faveur. Le roi lui demanda d'où il était, qui il était, et ce qu'il gagnait. Ce jeune garçon, qui ne le connaissait pas, lui dit sans le moindre embarras: "Je suis du Berri, je

m'appelle Etienne, marmiton de mon métier, et je gagne

autant Louis.

le roi. que

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Que gagne donc le roi ? lui demanda Ses dépenses, reprit Etienne, et moi les miennes." Cette réponse libre et ingénieuse lui valut pour toujours les bonnes grâces du roi.

17. Avarice du président Rose.

L'abbé Régnier, secrétaire de l'Académie Française, y faisait un jour, dans son chapeau, une collecte d'une pistole, que chaque membre devait fournir pour une dépense commune. Ne s'étant point aperçu que le président Rose, connu pour son avarice, eût mis dans le chapeau, il le lui présenta une seconde fois : le président assura qu'il avait fait son offrande. "Je le crois, dit l'abbé, mais je ne l'ai point vu. Et moi, dit Fontenelle, je l'ai vu, mais je ne le crois pas.

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18. Le major qui perd son régiment.

En 1769, le régiment de B..., en garnison à Nîmes, fut conduit à la messe un dimanche par le sous-aidemajor, M. de Sav... Jeune et galant, il saluait de l'épée, à droite et à gauche, les dames qui étaient aux fenêtres, Un de ses camarades, M. de la Mart..., proposa au marquis de S..., colonel, qui marchait sur les flancs, avec les officiers, d'escamoter le régiment. Il y consentit. M. de la M..., prenant par le bras le premier grenadier de la tête de la colonne, fit tourner le peloton vers une rue qui conduisait aussi à l'église, mais par un chemin plus long. Tous les autres pelotons suivirent. Le bruit des tambours et de la musique empêcha M. de Sav... de s'apercevoir qu'il n'était pas suivi. A la porte de l'église, il se range pour faire défiler le régiment et ne trouve pas un soldat. Tandis qu'il regarde de tous côtés et ne sait s'il rêve, le colonel lui dit d'un air sérieux : "Eh bien, monsieur, qu'est devenu mon régiment?

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