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256.

- Application de cette distinction aux différents genres d'États.

En établissant de cette manière les limites entre les rétorsions et les représailles, on voit que les simples rétorsions peuvent avoir lieu même entre les États qui reconnaissent encore un juge commun, vu que des griefs de ce genre ne sont pas de nature à être décidés par un juge; mais que les représailles proprement dites ne devraient être exercées qu'entre des États qui n'ont aucun juge commun; que, par contre, elles ne devraient jamais avoir lieu entre des États qui, ou reconnaissent encore un pouvoir souverain au-dessus d'eux, tels qu'autrefois les États misouverains de l'Empire (a), ou qui, quoiqu'ils soient souverains, sont convenus de soumettre la décision de leurs différends soit à des juges compromissaires, soit à un tribunal commun: du moins elles ne devraient avoir lieu dans aucun des cas qui sont de nature à être décidés par un juge, ou expressément attribués à sa compétence (b). Ceci n'empêche pas cependant de tels États d'user de représailles envers de tierces puissances, s'appuyant sur ce que, dans leurs rapports avec elles, ils n'ont point de juge; au moins ils n'en peuvent être empêchés que médiatement, par égard pour la confédération dont ils sont membres (c).

(a) Sur les représailles de la part des anciens États de l'Empire, on peut voir WERNHER, Observat. forenses, p. 11, obs. cxv; KAHLE, De justis represaliarum limitibus, & 255.

(b) Exemples des anciennes Provinces-Unies des Pays-Bas ; de la constitution des États-Unis d'Amérique; de la Confédération suisse; de la Confédération germanique.

(c) Les écrits cités dans le paragraphe précédent font voir que les no

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D'un côté, chaque État devant protéger ses sujets contre les lésions des étrangers, et, d'un autre côté, devant administrer aux étrangers une justice aussi prompte et aussi impartiale qu'à ses propres sujets, ce ne sont pas les lésions seules qui ont immédiatement et primitivement lieu de nation à nation, mais aussi celles qui ont été commises par les sujets de l'une contre les États ou les sujets de l'autre, qui peuvent autoriser à des représailles, lorsqu'il conste que la satisfaction demandée à l'État a été ou refusée ou traînée en longueur d'une manière indue (a).

[Il semble difficile de partager l'opinion de GROTIUS, De jure belli ac pacis, lib. III, cap. 1, § 5, n. 1, qui voit dans une sentence judiciaire inique rendue au préjudice d'un étranger, in re minimè dubia, le principe pour sa nation d'obtenir réparation par la voie des représailles. BYNKERSHOECK, Quæstiones juris publici, lib. I, cap. xxiv, assimile une sentence injuste à la violence ouverte et partage l'opinion de Grotius. VATTEL, Droit des gens, édit. Guillaumin, liv. II, chap. vIII, § 350, partage cette opinion; enfin WHEATON, Eléments du droit international, t. II, p. 48, n'hésite pas à affirmer que ces principes sont sanctionnés par l'autorité de nombreux traités entre les puissances de l'Europe, réglant le sujet des représailles, et déclarant qu'elles ne seront accordées qu'en cas de déni de justice. Une sentence injuste, ajoute cet auteur, doit certainement être considérée comme un

tions de rétorsion et de réprésailles ne sont pas uniformément établies par les auteurs qui en ont traité.

(a) Autrefois les représailles furent décernées à la légère; mais, surtout depuis le quinzième siècle, les puissances de l'Europe ont établi de plus en plus, par traités, la règle qu'on n'en viendrait à des représailles que lorsque le déni ou la protraction de justice aura été dûment manifestée. V. mon Essai concernant les armateurs, chap. 1, % 4.

déni de justice, à moins que le simple privilége d'être entendu avant condamnation ne soit tout ce que renferme l'idée de justice. L'opinion de Grotius et des publicistes qui l'ont soutenue après lui n'est pas conforme aux idées qui environnent dans tous les pays civilisés l'autorité de la chose jugée. Le déni de justice est un fait apparent, incontestable; la justice ou l'injustice d'une sentence judiciaire émanée de tribunaux réguliers et ordinaires est au contraire un fait très-susceptible de controverse et d'appré ciation diverse, suivant la situation ou le point de vue de chacun, et notamment de celui dont elle lèse les intérêts. V. encore ce qui est dit suprà à la suite du § 255. CH. V.]

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Comme tout sujet ou citoyen répond de sa personne et de ses biens pour les dettes et les torts de l'État dont il est membre, ce n'est pas l'État seul, ou celui de ses sujets duquel on se plaint, c'est le particulier même innocent qui peut servir d'objet de représailles. Cependant cette responsabilité a des bornes. Et s'il est permis de saisir les biens et même de détenir la personne de tels particuliers, en laissant à leur État le soin de les indemniser, il ne l'est pas de les priver de la vie, ou à perpétuité de leur liberté, à moins de supposer des cas extraordinaires que la guerre seule peut faire naître, et dans lesquels notre propre conservation pourrait indispensablement exiger une telle mesure. On ne saurait donc indistinctement justifier l'usage du talion, en tant que celui-ci consiste à réprimer une injustice par une injustice exactement du même genre.

[Les dettes dues à un ennemi avant le commencement des hostilités peuvent-elles être confisquées ? A ce sujet, WHEATON, Éléments du droit international, t. I, p. 292, fait observer que l'Angleterre suit une politique d'un caractère plus libéral, ou au

ins plus sage que pour les droits d'amirauté. Une puissance i possède une immense supériorité navale peut avoir intérêt, supposer avoir intérêt à prendre le droit de confisquer la proiété d'un ennemi saisie avant une déclaration de guerre; mais e nation qui, par l'étendue de ses capitaux, doit généralement re la créancière de tous les pays commerçants, ne peut, certes, oir aucun intérêt à confisquer les dettes dues à un ennemi, puisque t ennemi est en position dans presque tous les cas de lui rendre pareille avec un effet bien plus préjudiciable. C'est pourquoi, en que la prérogative de confisquer ces dettes existe en théorie, est rare qu'on l'exerce dans la pratique. Le droit du créancier iginaire de suivre le recouvrement de sa dette n'est pas éteint, n'est que suspendu la guerre, et renaît en pleine vigueur au etour de la paix. MASSE, le Droit commercial dans ses rapports vec le droit des gens, 2o édit., t. I, p. 139, en examinant l'opinion e VATTEL, le Droit des gens, liv. III, chap. v, § 77, et de BYNERSHOEK, Quæst. jur. publ., lib. I, cap. vII, établit des distincons en faveur des droits du créancier.

On lit à ce sujet, dans une biographie du comte Mollien par 1. Michel Chevalier, insérée dans la Revue des Deux-Mondes, nnée 1856, que pendant son séjour à Posen, l'empereur Napoléon Ier, supposant au cabinet de Londres l'intention de confisquer les fonds de la dette publique anglaise appartenant à les Français, ordonna à son ministre du trésor d'examiner si, lans le cas où il en agirait ainsi, il ne faudrait pas recourir à la nême rigueur. « La matière est très-délicate, disait-il, je ne veux pas donner l'exemple; mais si les Anglais le font, je dois user de représailles. » M. Mollien répondit qu'un pareil acte lui paraissait trop contraire à la politique anglaise pour qu'il pût y croire, qu'il souhaitait que le cabinet de Londres commît une telle faute, mais qu'on la lui rendrait plus funeste en ne l'imitant pas. A cette occasion, il envoya à l'empereur le mémoire de Hamilton, l'ami, le conseiller et le ministre de Washington, sur la question de savoir si la règle de la politique, plus encore que celle de la morale, n'interdisait pas à tout gouvernement, non-seulement de confisquer les capitaux qui lui avaient été prêtés par les sujets d'une puissance avec laquelle il serait en guerre, mais même de suspendre à leur égard le service des intérêts. Napoléon n'insista plus sur cet objet.

Pinheiro-Ferreira ajoute, avec raison, que la guerre n'étant, dans ses principes, que de gouvernement à gouvernement, et jamais de nation à nation, il ne saurait admettre de représailles ou rétorsions que sur ce qui appartient aux gouvernements belligérants, c'est-à-dire sur tout ce qui constitue les moyens de force à la disposition du gouvernement, et par conséquent destiné à nous porter dommage. CH. V.]

2259. Des différents genres de Représailles.

Le genre le plus usité de représailles, c'est la saisie des personnes ou des biens qui se trouvent soit sur notre territoire (a), soit en pleine mer, soit sur le territoire de la puissance contre laquelle on use de ce moyen. Mais ce genre n'est pas le seul, et toute violation d'un droit parfait de l'autre, soit primitif ou acquis, soit affirmatif ou négatif, peut, d'après les circonstances, se changer en représailles.

[Les représailles sont ou négatives ou positives. Elles sont négatives dans le cas où l'État qui les exerce se refuse à remplir l'obligation qu'il a contractée, ou à laisser une autre nation jouir du droit qu'elle réclame; elles sont positives dans le cas où l'État qui les exerce saisit les personnes et les biens d'une autre nation pour obtenir satisfaction.

Les représailles sont aussi générales ou spéciales.. Elles sont générales dans le cas où l'État offensé ou qui se croit offensé, enjoint à ses sujets de s'emparer des personnes et des biens d'une autre nation dans tous les lieux où ils pourront les trouver. Un pareil ordre équivaut à une déclaration d'hostilités, ou plutôt à la guerre elle-même. Les représailles ne sont que spéciales, lorsque, en temps de paix, un gouvernement accorde des lettres de repré

(a) Quelquefois les traités s'opposent à la saisie de ces biens qui, sous la foi du droit des gens, ont été reçus chez nous. V. mon Essai concernant les armateurs, 24.

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