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puisque la nature, par l'inégale distribution des II. Ep. facultés physiques et intellectuelles, n'établit qu'une trop grande inégalité parmi les hommes ; on ne pouvait aussi entendre, en droits civils, puisque l'inégalité inévitable des propriétés est la premiere base du code social qui les garantit; on ne pouvait donc entendre que l'égalité politique, celle qui rend égaux, devant la loi, les hommes que la nature et la société avaient rendus inégaux. En ce sens, cette vérité étoit si claire, qu'elle n'avait pas besoin de développement; et cependant, par égard pour la faiblesse humaine, ou pour éviter le danger des interprétations de la malveillance, ces mots, droits politiques, eussent été desirés, parce qu'en fait de législation, rien ne va sans dire. Cette discussion sur la déclaration des droits avait été interrompue par les besoins urgents des finances: le premier emprunt de 30 millions, accordé, mais avec des modi- 9 août fications, avait manqué par les modifications mêmes : il avait fallu recourir à de nouveaux moyens. Un second mémoire du premier ministre des finances, demandait un second emprunt de 80 millions; il fallut l'accorder et sans modifications. Mirabeau, en cette circonstance, eut un de ces mouvements décisifs d'éloquence digne des Catilinaires, qu'il cita heureusement en repoussant l'application de Catilina, qui lui avait été faite quelques jours auparavant, et peut

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M. Ep. être avec connaissance de cause: c'était une invitation assez franche qu'il faisait au Gouvernement on ne l'accueillit pas, et son amourpropre blessé, autant que son intérêt, l'appelèrent au parti opposé; il s'y livra.

Dès-lors commençaient à se former dans l'assemblée deux partis distingués par le nom de côté droit et de côté gauche, selon qu'ils siégeaient, par rapport à la place ou siégeait le président; et, dans le côté gauche, se formait une coalition plus spécialement révolutionnaire: ils prétendaient au titre de chefs du parti populaire et ils en exercèrent souvent l'influence: ayant soin de précéder toujours le vœu de l'assemblée, ils semblèrent souvent le décider; habiles à la devancer dans le chemin qu'elle voulait prendre, ils semblèrent le lui indiquer et l'y conduire, affectant de marcher toujours les premiers, on les crut souvent à la tête; et cette apparence devenant habitude, devint enfin une réalité. Ce parti, ou, pour s'exprimer avec plus de justesse, cette partie liée ayant un plan de conduite et sachant organiser ses moyens secondaires, fut tour à tour le guide et l'instrument du parti dominant. Trois jeunes hommes fondèrent cette association Duport, membre du parlement de Paris; il s'était déja fait connaître dans le parti opposé à la cour: homme d'une fermeté d'esprit et de caractère prématurée, ayant de

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l'élévation dans l'ame et dans la pensée, systé- II.• Ep. matique et exalté, il eût voulu, deux siécles plutôt être chef de secte religieuse. Lameth, doué d'une politique fine et déliée, qui presque toujours, dans un temps de trouble, rend nécessaires les moyens de l'adresse active et entreprenante; et Barnave, plus jeune encore, qui s'était déja fait remarquer dans les troubles du Dauphiné, par un vrai talent d'orateur : il était la parole du conseil, confiant, audacieux à la tribune. Les rôles étaient partagés : Duport pensait ce qu'il fallait faire, Barnave le disait, et Lameth le faisait. Il serait difficile de dire s'ils youlaient d'abord autre chose que de l'éclat; mais ils y réussirent d'autant plus aisément, que ce triumvirat n'inspira d'abord qu'un intérêt de jeunesse sans défiance; on commença même par rire de ses prétentions, on finit par leur céder, il fut, surtout au commencement et presque jusqu'à la fin de cette session, le premier moteur de la société des jacobins; il fit, défit et refit à peu près ce qu'il voulut; personne ne convenait de son influence, mais elle existait: il eut l'adresse de mettre la popularité à la mode, de donner un grand lustre aux succès de la tribune, et un grand prix aux applaudissements des tribunes; il fut créateur de cette tactique assez savante qui intéressa les spectateurs à l'action, et les appela sur la scène; on s'accoutuma bien

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11. Ep. tôt, dans l'assemblée, à prendre la voix des tribunes pour la voix du peuple, et cela fait, il ne s'agit plus que de s'assurer un parti assez déterminé, dans les tribunes, pour entraîner le mouvement des indifférents; il fit tout le bien qui se serait fait sans lui, et souvent plus de mal qu'il ne croyait en faire; oncrut longtemps que Duport était un agent secret des grands corps auxquels il avait appartenu. Duport était assez exalté pour être instrument sans le savoir, mais il avait l'amè assez haute pour n'y pas consentir : Lameth voulait ce qui mène à la fortune, les places, les ministères, les grands emplois : Barnave voulait de la gloire ou plutôt de la célébrité ; il l'obtint et la paya ensuite de sa tête, au temps où toutes les dettes contractées s'acquittèrent ainsi. Le grand art fut de se rendre nécessaire et de suivre les évenements pour le devenir.

Là, se ralliaient, sans le savoir, et par la nature des choses, tous ceux que leur opinion, leurs talents, leur caractère ou leurs vues personnelles de ressentiment, d'intérêt ou d'ambition, distinguaient dans le côté gauche ; le frère de Lameth, Charles, par élan,par ardeur de faire; d'Aiguillon, Menou, que l'amitié retenait dans le même chemin, Victor Broglie qui eût cru manquer à un nom célèbre en n'y ajoutant pas la célébrité du moment; un jeune Montmorenci, à peine de l'âge requis par la loi, il s'unit un instant au parti,

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jusqu'au moment où il s'aperçut qu'il le suivait. 11. Ep La Rochefoucaut même, d'un âge mûr, d'un'es-1789. prit sain, d'une droiture d'intention et d'action, considérée également dans tous les partis, et qui ne se retira en lui-même qu'après avoir vu qu'il devait se suffire. A cette époque, les orateurs du tiers-état avaient, pour un moment, fait les honneurs de la tribune ; il fallait, disaient-ils, laisser passer l'effervescence nobiliaire. Quelque temps après seulement, reparurent les Chapelier, Pethion, Busot... et ce Robespierre qui ne prévoyait pas ses destinées, mais qui, dès-lors, commençait ce système toujours suivi de renchérir sans cesse de popularité sur la popularité de ses rivaux et de l'assemblée même. Cette avantgarde populaire n'était pas le corps d'armée qui fit la constitution, qui rarement se laissa entraîner à des mesures exagérées; qui, contraint quelquefois de se soumettre à la force des circonstances, n'empêcha pas toujours le mal, mais auquel ont eut l'obligation de tout le mal qui ne se fit pas, toujours opposé aux deux extrêmes qui, en cette qualité, se touchèrent souvent. Là étaient des hommes sages, travaillant, dans les comités, ces rapports, ces décrets, ces lois, ces grands développements de législation, d'adminis tration dans toutes les parties du gouvernement, tous ces immenses travaux qui ont distingué cette assemblée constituante, comme la plus éclairée

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