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communes, ou du peuple; car, ces trois dénominations peuvent être synonymes.

Mais, ce n'est plus là notre position. Il est évident que tout ce qu'il y a de députés vérifiés et reconnus, est. ici, et forme une masse imposante de représentants de la nation, sans distinction d'ordres. C'est un fait, qu'aucun député ici présent ne demande à se séparer des autres, que personne ne s'est levé, que personne ne se lève pour réclamer la délibération par ordres. Nous ne pouvons donc pas nous regarder comme un ordre. Il deviendrait imprudent, il serait déplacé et j'ose dire ridicule, de nous qualifier d'un nom qui supposerait la séparation des députés vérifiés en plusieurs ordres. Nous ne sommes donc pas la chambre du tiers-état, ou des communes ou du peuple. Nous sommes l'assemblée des députés vé- rifiés. Nous sommes dans la même position que, si tous les députés du royaume ayant répondu à l'appel et se trouvant réunis en majorité dans cette salle, on continuait à délibérer par tête, nemine reclamante. Or, ne formerions-nous pas alors, sans difficulté, une assemblée nationale complète, assemblée qui ne deviendrait pas incomplète par l'absence de quelques-uns de ses membres.

On invoque le bien inappréciable de la paix, et l'esprit de conciliation dont nous ne nous sommes jamais départis soit, donnons à l'amour de la concorde tout ce qu'il est possible de lui donner, sans trahir nos devoirs. Mais au moins rendez hommage, de votre côté, à la vérité des principes que nous suivons. Convenez que les députés ici présents ont le droit d'exercer les pouvoirs de la représentation nationale, et qu'ils sont dans l'obligation de les exercer, sous peine de rendre la représentation nationale nulle. Nous consentirons alors à ne pas perdre l'espoir de réunir enfin dans cette assemblée tous les députés qui ne se sont pas encore fait con

naitre. Alors, sans arrêter néanmoins le cours des af-· faires, ni rien ôter à la plénitude de nos droits, nous chercherons avec vous à caractériser, par un nom provisoire, la nuance qui distingue une assemblée qui attend encore une portion de ses membres, d'une assemblée décidément formée, et qui n'attend plus personne. J'avoue que je tiens moins au nom qu'à la chose, et que je serai fort aise, pour ma part, de donner une nouvelle preuve de l'esprit de modération qui nous anime tous, en proposant, pour le moment, une dénomination d'une grande rectitude grammaticale, comme celle-ci, par exemple : l'assemblée des représentants connus ou vérifiés de la nation française.

Au surplus, s'il est bon de constater, dans toutes les occasions, notre vœu sincère pour l'union des ordres, il me paraît non moins nécessaire de repousser constamment et avec fermeté toute proposition tendante à nous condamner à des efforts stériles, ou à trahir, par l'inertie, les intérêts des vingt-cinq millions d'hommes qui ont remis leur sort entre nos mains. Quand je repousse l'idée de nous constituer en chambre du tiersétat, ce n'est pas pour adopter, comme plus convenable, la dénomination de chambre des communes, que vous avez portée jusqu'à ce jour. Ces deux noms produiraient le même effet, qui est de détruire la chose Rejetons toute expression qui pourroit nous faire considérer comme partie d'un tout. Si vous n'êtes la troisième partie d'un tout, que pouvez-vous sans le tout? Vous agirez, vous vivrez sous la dépendance d'autrui. Votre force delibérative ne sera que conditionnelle. Il vaudrait autant, pour la nation française, qu'il n'y eût pas d'étatsgénéraux.

que

Par les mêmes considérations, j'attaque également le titre plus séduisant de chambre des représentants du

peuple. Tant que vous n'entendrez par le mot de peuple, comme par celui des communes, que le troisième ordre de l'état, il sera toujours vrai de dire que la partie d'un tout délibérant n'est rien, ne peut rien sans le tout, et nous n'en serions pas moins impuissants à rien faire pour le peuple, dont nous aurions l'air d'invoquer le nom.

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Que si, au contraire, vous attachez au mot peuple, à celui de commune le sens qu'ils devraient avoir à la rigueur; si le peuple est pour vous l'universalité des citoyens; si vous faites entrer dans les communes tout ce qui appartient aux communautés, c'est-à-dire, les gens des trois états, alors, qu'il me soit permis de le demander, quelle différence mettez-vous entre ces trois termes, nation, peuple, communes ? N'est-il pas dans ce cas, plus franc, plus loyal, de vous appeler tout de suite l'assemblée nationale. L'attachement que certaines personnes montrent à la qualité de représentants du peuple ou des communes, se confond un peu trop avec les autres sentiments qu'on leur connaît. Vous ne consentirez pas à vous servir de termes équivoques, sous lesquels on peut avoir le dessein de fixer tôt ou tard une acception vaine ou dangereuse. Toute équivoque est indigne de nous et de notre cause; sans doute nous ne cesserons pas d'être les représentants du peuple, parce qu'on nous dira ceux de la nation, et nous n'en serons que plus puissants à servir véritablement les intérêts du peuple, inséparables de ceux de la nation. S'il devient facile aux orateurs qui s'attachent plus à entraîner qu'à éclairer, d'agiter leur auditoire par le prestige que l'imagination attache à ce mot peuple, il n'en est pas moins vrai que, dans un procès-verbal, dans la rédaction d'un arrêté, il faut plus de précision dans les termes.

J'ajoute que vous n'auriez pas plutôt consenti à re

cevoir une dénomination partielle, qu'on s'en ferait une arme contre vous-mêmes, en vous opposant que vous avez reconnu la séparation des ordres. Que deviendraient vos droits à l'égalité politique et toutes vos espérances pour l'avenir?

D'ailleurs, voudriez-vous passer. pour les plus inconséquents des hommes? Vous attendez, dites-vous, constamment les membres des deux premiers ordres; vous ne cessez de les inviter à se réunir à vous, tant collectivement qu'individuellement; vous les attendez !... Quelle porte leur ouvrirez-vous? celle du tiers - état. Mais quel droit avez-vous à les appeler dans la chambre dų tiers-état? Iriez-vous siéger, vous, dans la chambre des nobles, ou dans celle du clergé? Demandez à ceux de messieurs les curés, que nous avons déja tant de plaisir à compter parmi nous; demandez-leur si, en se présentant dans cette salle, ils ont voulu se réunir aux députés du tiers-état ou du peuple? ils vous répondront, avec raison, qu'ils sont venus dans la salle commune aux représentants vérifiés de la nation française, et non dans une chambre particulière.

Il est temps de finir. C'est à la suite des débats à amener des développements ultérieurs, s'ils deviennent nécessaires. Voici le projet d'arrêté ou de déclaration motivée que je soumets à votre sagesse.,

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L'assemblée, délibérant, après la vérification des pouvoirs, sur sa position actuelle, reconnaît qu'elle est déja composée des représentants envoyés directement par les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation.

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Qu'une telle masse de députations, etc. »

Nota. Il est inutile de transcrire la motion: elle se trouve dans les procès-verbaux de l'assemblée.

Deuxième discours de Sieyes, prononcé dans la séance du mardi matin 16 juin.

Il est indispensable, messieurs, que je rétablisse ma motion, étrangement dénaturée dans les deux séances d'hier et celle d'aujourd'hui; mais je sens le besoin, avant de répondre aux difficultés qui lui ont été opposées, d'exprimer ma reconnaissance, pour la manière ferme et courageuse dont quelques-uns des préopinants ont pris la défense des bons principes. Je m'adresse, surtout, à ce jeune homme (Barnave), dont le talent. distingué se compose d'une marche exacte dans les idées, et des mouvements d'une ame franche et généreuse. C'est avec peine que je me vois obligé de n'être pas de son ayis en tout. Mais j'ai dit ma pensée, parce que je l'ai cru de mon devoir; le même motif m'oblige de la soutenir, jusqu'à ce qu'on prouve que je me suis trompé.

Qu'il me soit permis d'abord de reprendre la série des idées et des principes que j'ai consignés dans ma motion.

Il faut, me suis-je dit, que nous formions une assemblée en état d'agir et de remplir sa mission. Deux choses sont nécessaires pour cela la première, que nous soyons habiles à porter le vœu national; la deuxième, qu'il ne se rencontre aucun obstacle légitime entre le

roi et nous.

Pour être habiles à interpréter le vœu national, il faut nous considérer, non comme partie d'un tout, mais comme exerçant les droits de ce tout; et telle est précisément la position dans laquelle les circonstances nous ont placés.

Le principe de la vérification commune des pouvoirs, se trouve tellement établi dans cette assemblée, qu'il

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