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Le nonce du pape, Fabio Chigi, et le pape Innocent X lui-même, protestèrent contre le traité de Westphalie1. Les Espagnols suivirent cet, exemple, à cause de la cession de l'Alsace faite par ce traité. Cette protestation servit de prétexte à la France pour retenir les trois millions qu'elle s'était engagée à payer à la branche tyrolienne de la maison d'Autriche : ce payement n'eut lieu qu'après la paix des Pyrénées, par suite d'une nouvelle convention qui fut conclue à Paris, le 16 décembre 16602.

CONCLUSION.

Arrivé au terme de l'examen de ce pacte célèbre qui a fondé le Droit public de l'Europe, et qui seul, durant un siècle et demi, a régi sa politique, il nous resterait à mentionner les appréciations diverses qui en ont été faites. Mais il nous a paru préférable de choisir celle de ces opinions qui est la plus précise et la mieux raisonnée. En voici la substance :

Le traité de Westphalie, qui fut le résultat de vastes et profondes combinaisons, peut être regardé comme la première grande mesure que les puissances de l'Europe aient prise pour parvenir à une espèce de garantie légale de leur existence et de leurs droits.

La guerre avait eu pour objet principal la liberté religieuse. Les protestants avaient obtenu de grands avantages par la paix de Passau; mais ces avantages ne leur ayant pas été garantis par l'organisation de la diète ni par celle des grands tribunaux de l'Empire,

' Léonard, Traités de paix, tom. III.

2 Ibid. Cette somme devait être payée dans les trois années 1649, 1650 et 1654, mais retenue, comme on le voit, elle n'a définitivement été soldée qu'en 1665.

leur existence avait toujours été précaire. L'oppression leur avait bientôt enlevé ces avantages, ou la crainte de l'oppression les avait empêchés d'en jouir; depuis la victoire de Prague, Ferdinand les avait à peu près dépouillés de tous leurs droits. La France et la Suède étaient également intéressées à ce que les États protestants fussent respectés dans l'exercice de la liberté du culte; mais la raison, la religion, la politique prescrivaient à la France d'assurer la même liberté aux catholiques; l'égalité des droits des deux sectes religieuses pouvait donc seule garantir la solidité de la paix; c'est ce qui fut réglé dans un grand détail avec une équité, une modération remarquables, et sanctionné par des dispositions introduites dans la Constitution même.

:

La Constitution germanique, comme la plupart des Constitutions de l'Europe, était le résultat du hasard, des circonstances, des besoins, des intérêts et des passions du moment. Les choses étaient réglées en général par l'usage et non par des lois écrites les rapports nouveaux étaient décidés arbitrairement, sans aucune espèce de principes fixes. Les empereurs avaient été autrefois souverains de l'Allemagne comme tous les autres princes de l'Europe; mais les grands vassaux ou les grands propriétaires s'étaient insensiblement rendus indépendants. Tant que les empereurs n'avaient pas eu des États héréditaires considérables, les souverains secondaires n'avaient pas eu besoin de se préparer des moyens de défense dans la Constitution, puisque les chefs de l'Empire avaient peu de moyens d'attaque; mais depuis que les empereurs furent pris dans la maison d'Autriche, et que cette maison fut devenue puissante, les princes de l'Empire auraient dû prendre des précautions contre leurs entreprises, en changeant les formes de la Constitution. Charles-Quint

et Ferdinand leur avaient prouvé que les lois politiques existantes, bien loin de s'opposer aux empiétements des empereurs, leur donnaient une sorte de légalité. Or, il importait à la France et à la Suède que la maison d'Autriche ne pût pas traiter les princes de l'Allemagne comme ses sujets, et l'Empire comme une province on tâcha donc de prévenir le mal en faisant plusieurs changements à la constitution.

Les nouvelles lois constitutionnelles étaient sages. Mais il n'y avait aucun prince en Allemagne assez puissant pour contraindre l'empereur à respecter les formes prescrites; on pouvait donc prévoir qu'elles seraient illusoires, s'il n'intervenait pas une force qui leur servît de garantie. La France et la Suède ne demandaient pas mieux que de se charger de ce rôle; mais les sacrifices qu'elles prétendaient avoir faits pour la cause commune, et ceux auxquels elles s'engageaient encore, méritaient des dédommagements ou des récompenses. On ne pouvait les leur accorder qu'aux dépens de l'Autriche ou de l'Empire. Comme on ne put pas prétendre que l'Autriche s'exécutât seule, et que les princes séculiers de l'Allemagne étaient plus difficiles à dépouiller que les ecclésiastiques, ce furent les États de ces derniers dont on disposa sans scrupule pour faciliter les arrangements. On introduisit donc le principe des sécularisations, qui, depuis, fut, à diverses reprises, si largement appliqué.

Dès que la France et la Suède obtenaient des dédommagements, il fallait en accorder aussi à plusieurs États de l'Allemagne qui avaient essuyé des pertes considérables pendant la guerre, et de ce système de compensations et d'indemnités résultèrent de grandes mutations et des agrandissements de territoire, notamment au profit des maisons de Brandebourg, de Meck

lenbourg, de Brunswick, et même de la Hesse, qui n'avait rien perdu, mais que l'habileté de ses négociateurs fit comprendre dans les répartitions.

La République des treize cantons suisses fut déclarée libre et souveraine. Son existence indépendante était bien, depuis deux siècles, un fait incontestable, mais les faits de ce genre doivent être formellement reconnus par les autres nations, pour avoir une entière validité. La France, éclairée par une sage politique, exigea que la Suisse fût complétement affranchie, et que l'Empire n'eût plus sur elle aucune prétention, afin que cette république devînt ce qu'elle a été en effet depuis cette époque, un boulevard placé entre la France et l'Autriche, un État pacifique, et dont ces deux puissances fussent également intéressées à maintenir la neutralité et le repos.

L'indépendance des Provinces-Unies fut également reconnue par l'Espagne. Cet acte n'était pas une vaine formalité, car jusqu'alors l'Espagne les avait toujours traitées en rebelles, et avait revendiqué sa souveraineté par la force des armes. Dans cette lutte sanglante, qui avait duré soixante-dix-neuf ans, on ne sait ce qu'on doit admirer le plus, de la persévérance opiniâtre de l'Espagne, qui s'épuisait et s'affaiblissait en faisant sans cesse de nouveaux efforts pour soumettre la Hollande, ou de la fermeté et du bonheur de la république, qui s'enrichissait et se fortifiait par la guerre même, et combattait son ennemi avec les ressources qu'elle lui enlevait. L'histoire ne présente aucun exemple d'un peuple chez lequel la liberté ait enfanté autant de prodiges, sans que la cause ait été souillée par des crimes, et qui ait connu tous les genres d'énergie, excepté celle des passions violentes et cruelles.

Le traité de Westphalie fit perdre à la maison d'Autriche la prépondérance politique qu'elle avait eue en

Europe depuis Charles-Quint. La liberté politique de l'Empire germanique et la liberté religieuse des protestants étaient les moyens les plus sûrs de lui enlever son ascendant dominateur; c'était sous ce rapport que les puissances ennemies de l'Autriche envisageaient ces deux objets importants. Elles parvinrent à leur but secret et principal: la puissance des États de l'Empire contint celle de l'Autriche.

Comme la guerre et les traités n'ont pour but, en définitive, que l'établissement d'un ordre de choses où la force prévienne l'abus de la force, on a pu dire avec raison que la guerre de Trente ans et la paix qui la termina furent un bien pour l'Europe, et produisirent l'effet désiré. La puissance qui menaçait toutes les autres fut resserrée dans des limites plus étroites; la France et la Suède lui servirent de contre-poids; et ces deux États acquirent en Allemagne un crédit et une influence qui diminuèrent considérablement celle de la maison d'Autriche. A la vérité, l'événement a prouvé que l'Europe n'avait fait que changer de dangers, et la France acquit, vingt ans après, une telle prépondérance, que l'Allemagne retomba sous le pouvoir de la maison d'Autriche, et chercha auprès de cette puissance un appui et des secours contre les entreprises menaçantes de Louis XIV. Mais on ne saurait en faire un reproche aux hommes d'État qui négocièrent le traité de Munster. La France acquit dans l'espace de vingt ans une consistance, une force, une puissance prodigieuses, mais ce fut par le développement interne de ses ressources et de ses moyens naturels. Aucun gouvernement ne connaissait ces ressources et ne pouvait les connaître; le sien même ne se doutait pas de leur existence. Les puissances qui conclurent la paix de Westphalie voyaient la France engagée dans la guerre avec l'Espagne, affligée d'une minorité orageuse; elles

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