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qu'on ne peut rien exiger; la liberté y est parfaite, si l'on veut, en tant qu'elle n'a point de frein régulier de la part d'un Gouvernement; mais elle est extrêmement incertaine, en tant qu'elle est soumise à l'oppression continuelle du plus fort. A en juger par analogie, et même par quelques traces historiques, les anciens habitants de l'Europe ont été long-temps dans cet état point de Gouvernement, par conséquent point de droits; une vie précaire, une existence du jour au jour, une possession momentanée, de longues privations et toutes les habitudes farouches de la crainte. Dans le même état que les animaux, ils étoient au-dessous d'eux en fait de bonheur, car il n'y avoit pas plus de sûreté pour l'homme que pour la brute, et l'homme avoit de plus que la brute, la prévoyance du mal et le sentiment de l'insécurité.

Ce malheur même étoit le germe de la civilisation. Plus on souffroit dans un état de choses où il n'y avoit point de droits, plus il y avoit de raisons pour désirer l'existence de ces droits mais des raisons pour désirer l'établissement des droits, ne sont pas des droits. Les besoins ne sont pas les moyens. La faim n'est pas l'aliment. Ceux qui parlent de droits naturels tombent donc dans la pétition de prin

cipe la plus grossière. S'il y avoit eu des lois toutes faites, qu'est-ce qui auroit pu conduire à en faire? S'il y avoit eu des droits naturels, ils auroient agi sur les hommes comme l'instinct sur les abeilles, qui ne peuvent pas s'en écarter.

Comment des Législateurs avoient - ils pu méconnoître qu'en ceci le langage de la vérité étoit le plus propre à faire aimer aux hommes le Gouvernement et les lois, à mettre sous les yeux des peuples l'immense bienfait de la législation, à leur faire haïr le désordre et l'anarchie qui les ramènent vers cet état de nature où tous sont ennemis de tous? Il falloit leur

montrer, au contraire, que ces droits,

nobles droits qui s'étendent sur toute las

vie;

qui unissent les générations, qui protègent les foibles contre les forts, sont uniquement l'œuvre des lois, l'œuvre de la société, le prix de l'obéissance générale au Gouvernement, la récompense de la subordination, récompense infiniment supérieure au sacrifice qu'elle exige.

2. Si la notion des droits naturels est fausse, celle des droits imprescriptibles tombe nécessairement. Il n'y en a point de tels, il ne doit point y en avoir. Plus les lois approcheront de la perfection, moins elles seront sujettes

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à des changements; mais il ne doit point y avoir de lois irrévocables, tant que les choses humaines sont soumises à des circonstances qui varient.

Quel est le langage de la raison sur ce sujet ? La raison dit que le bonheur public étant l'unique principe à consulter dans l'établissement des droits, il n'en est aucun qui ne doive être maintenu, tant qu'il est avantageux à la société, aucun qui ne doive être aboli, dès qu'il lui devient nuisible.

Il faut considérer chaque droit à part, son avantage et son désavantage spécifique. Entasser tous les droits ensemble, c'est se mettre hors d'état d'assigner leur valeur séparée et de faire entr'eux les distinctions convenables.

Droits imprescriptibles! Si ce langage décèle l'ignorance, il décèle encore plus la présomption; car déclarer des droits imprescriptibles, c'est annoncer qu'on veut enchaîner ses successeurs, et imprimer à ses lois le caractère de la perpétuité. « En nous réside la perfection de la probité et de la sagesse notre volonté doit régner sans contrôle et même après que nous ne serons plus. Les générations qui doivent nous suivre seront moins capables que nous de juger de ce qui leur convient. C'est à nous à

leur prescrire les droits éternels. Il suffit que notre volonté les déclare. Celui qui proposera de les altérer, rebelle à l'Assemblée Nationale, sera coupable d'un attentat contre la nature : il faut le dévouer à la haine du genre humain comme l'ennemi de ses semblables. >>

Tel est le fanatisme renfermé dans ces fausses notions de droits naturels et de droits imprescriptibles. C'est le despotisme de l'opinion contre le raisonnement. C'est précisément le langage de Mahomet : « Pense comme moi,

ou meurs. >>

3. Attribuer l'origine des Gouvernements à une association volontaire, c'est une supposition qui, peut-être, a pu se réaliser dans certaines circonstances et que l'on conçoit du moins comme possible, par exemple, dans le cas d'une colonie naissante. Mais, dans le fait, nous ne connoissons point de pareille origine. Tous les Gouvernements dont nous avons l'histoire ont commencé par la force et se sont établis graduellement par l'habitude, excepté quelques États qui se sont émancipés d'eux-mêmes et qui se sont donné des lois. Au reste, la fiction d'un contrat n'est bonne à rien; elle ne sert qu'à faire naître des questions qui égarent les esprits et les éloignent du vrai sujet à examiner.

En effet, qu'importe comment les Gouvernements se sont formés. Je ne connois pas de dispute plus oiseuse. Qu'ils aient commencé par une bande de voleurs ou par une agrégation de bergers, par une conquête violente ou par une réunion volontaire, le bonheur de la société ne doit-il pas être également l'unique objet de ceux qui gouvernent? L'intérêt des hommes n'est-il pas le même dans les Monarchies et dans les Républiques? Le Gouvernement n'at-il pas les mêmes devoirs moraux à Pékin qu'à Philadelphie ?

Passons à la seconde partie de l'article.

« Ces droits ( naturels et imprescriptibles) sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »

Observez l'étendue de ces prétendus droits, appartenant tous à chaque individu, sans aucune limite. Faites-vous une idée, si vous le pouvez, de ce que c'est qu'un droit illimité, à la liberté, à la propriété, à la sûreté, à la résistance,vous vous trouverez dans un chaos de

contradictions.

Liberté illimitée- c'est donc la liberté de faire et de ne pas faire, en chaque occasion, tout ce qui me plaît, dans toute l'étendue de ma puissance.

« EelmineJätka »