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réparer ses disgrâces. La paix de Westphalie laissa ces deux puissances armées l'une contre l'autre elles cessèrent enfin de se faire la guerre, mais sans cesser de se haïr. Leurs alliés et leurs ennemis continuèrent à suivre les principes qui les avaient jusque-là dirigés; et l'on ne recommença à invoquer de nouveau les idées d'équilibre, que lorsque saisies et combinées par le génie profond de Guillaume III, elles furent par lui présentées à l'Europe sous une forme qui pouvait les faire accepter. Au lieu de vouloir mettre entre les puissances une égalité qui n'était qu'une pensée généreuse, on ne projetait plus que d'imposer des limites au pouvoir de la France. « Il faut, disait le prince d'Orange, que cette couronne et la maison d'Autriche, occupées de leur rivalité, épuisent, l'une sur l'autre, leur ambition et leurs forces, afin de ne laisser aucune crainte aux autres États. »

Aussi lorsque, l'Autriche abattue par Richelieu, la France parut, sous Louis XIV, dans tout l'éclat de sa puissance, tous les grands États se liguèrent contre la France, et, malgré les avantages qu'elle retint à Utrecht, à Rastadt et à Bade, elle fut contenue de manière à ne plus inquiéter l'Europe. Elle n'a franchi les bornes qui lui avaient été imposées que vers le milieu du xvIII° siècle, pour acquérir la Lorraine et la Corse.

La paix d'Aix-la-Chapelle, en 1748, consolida une nouvelle puissance dans le Nord, celle de la Prusse. La Russie, tirée d'une longue enfance, avait déjà pris un rang distingué parmi les nations de l'Europe. L'intervention de ces deux États changea nécessairement tous les rapports politiques. Il fallut donc de nouveaux calculs pour établir une nouvelle balance. La France, placée d'un côté, chercha des alliés pour former contre-poids à la Grande-Bretagne placée de l'autre; ces deux puissances étaient les points de ralliement des

deux partis. Des événements divers changèrent encore l'ordre de choses qui venait de s'établir. L'alliance inattendue des cours de Versailles et de Vienne, en 1756, et le pacte de famille, en 1761, amenèrent de nouvelles combinaisons, mais rien n'imprima une altération profonde à l'équilibre général, et cette situation se serait maintenue tant que quelque grande nation n'aurait eu aucune de ces longues et violentes convulsions qui, dans leurs ébranlements, changent les arcs-boutants de l'édifice politique.

A dater de la Révolution française, il n'y a plus vestige d'équilibre. Cependant Napoléon, à l'apogée de sa puissance, comprenait bien toute la force de ce principe salutaire, et nous verrons, plus loin, comment il espérait affermir son empire et sa dynastie en créant, sur des bases nouvelles, un rapport nouveau entre les forces d'agression et les forces de résistance des divers corps politiques.

Dès 1813, l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie manifestèrent, dans leurs traités d'alliance de Toeplitz, le désir d'assurer à l'Europe son repos futur par le rétablissement d'un juste équilibre des puissances; et, en 1814, il y eut un retour complet aux maximes d'une saine politique. Ainsi donc une pacification fondée sur une juste répartition des forces entre les puissances, devint la règle des grandes transactions de cette mémorable époque, et le préambule du traité de Paris, du 30 mai, n'exprimait d'autre but que « le rétablissement en Europe d'un équilibre réel et durable, ou, ce qui est la même chose, disait plus tard, à Vienne, le prince de Talleyrand, des principes conservateurs des droits de chacun et du repos de tous. »

En définitive, quelle qu'ait été l'influence du système de l'équilibre, il faut reconnaître que, depuis

trois siècles, on a toujours vu, en Europe, deux puissances dominantes et rivales qui se croyaient destinées à subjuguer les autres, et qui, en donnant le mouvement à toutes les affaires, ne jouissaient de leur fortune qu'autant qu'elles travaillaient à l'accroître. Il se forma d'abord quatre puissances, la France, l'Espagne, l'Angleterre et l'Autriche, auxquelles se réunirent ensuite la Russie et la Prusse; c'est entre ces différentes puissances que s'établit la lutte pour la prépondérance. La France l'exerça la première; ce fut ensuite l'Espagne, unie, sous Charles-Quint, à l'Autriche; puis la France, l'Autriche, et même la Prusse, sous le grand Frédéric, se la disputèrent de nouveau, jusqu'à ce que la France l'ayant encore une fois ressaisie, sous Napoléon, elle soit enfin restée à la Russie et à l'Angleterre, qui l'exercent aujourd'hui, l'une sur terre et l'autre sur mer.

Le système de l'équilibre est donc devenu double; mais cette complication n'est peut-être elle-même que le prélude d'un bien autre et plus vaste développement des grandes puissances, et c'est avec raison qu'un savant publiciste, M. Schnitzler, a pu dire récemment1:

<< L'apparition de la Russie sur la scène du monde doit tôt ou tard modifier profondément la vieille routine du système d'équilibre. Déjà les proportions ne sont plus les mêmes; ce qui paraissait grand autrefois est aujourd'hui singulièrement rapetissé à nos yeux. L'Europe est en quelque sorte doublée : il en résulte un déplacement de forces qui oblige les vieux États d'Occident à chercher au dehors, en Asie, en Afrique, en Amérique, où s'élève un autre colosse, de nouveaux points d'appui. A coup sûr, l'avenir de notre partie du monde sera différent de ce qu'a été son passé. »

1 Histoire intime de la Russie.

Nous avons vu que l'expédition de Charles VIII peut être regardée comme l'origine de cette longue suite de guerres qui désola l'Italie sous les trois règnes suivants, et le principe de cette rivalité sanglante qui s'éleva entre la France et la branche d'Autriche espagnole. Elle prépara, en outre, des alliances offensives et défensives entre beaucoup d'États de l'Europe qui se partagèrent, suivant leur intérêt, entre la France et l'Espagne.

A dater de cette époque, l'histoire diplomatique présente cinq phases principales, qui forment autant de parties distinctes. La première s'étend de la naissance du système jusqu'à la guerre de trente ans; la seconde, depuis le commencement de cette guerre jusqu'à la paix d'Utrecht et à la mort de Louis XIV; la troisième se termine à la Révolution française de 1789; la quatrième, aux congrès de Vienne et d'Aix-la-Chapelle; et la cinquième nous conduit jusqu'à ce jour.

ORIGINE ET DÉVELOPPEMENT

DU SYSTÈME POLITIQUE DES ÉTATS DE L'EUROPE.

Après avoir indiqué les éléments sur lesquels repose la politique extérieure, nous allons suivre maintenant l'application des principes qui la régissent, dans toutes les phases des rapports ou des collisions entre les peuples européens.

La science des intérêts des États a existé de tous les temps, et la Diplomatie, destinée à faire triompher les intérêts que poursuit la politique, remonte pareillement, abstraction faite des formes, à l'origine des sociétés. A peine furent-elles constituées, à peine jouirent

elles de quelque calme au dedans, que, cessant de s'occuper d'elles-mêmes, elles jetèrent les yeux sur leurs voisins, eurent de la jalousie si elles les trouvaient dans un état florissant, les méprisèrent s'ils leur paraissaient faibles, et voulurent les exterminer ou les asservir de là les premières guerres. Comme les hommes, en se réunissant en société, n'avaient, à proprement parler, formé qu'une ligue défensive contre la violence, il était naturel que les peuplades les moins fortes se réunissent encore pour s'opposer à celles qui voulaient abuser de la supériorité que leur donnaient des forces redoutables : de là les premières négociations. Les peuples chez lesquels on en retrouve les premières traces sont les Grecs, les Carthaginois et les Romains; leur histoire nous offre une assez longue suite d'actions et de mesures qui ont permis d'apprécier l'esprit de leurs relations avec les pays étrangers. Le caractère de la politique grecque varia suivant les mœurs des peuples, la législation de l'État et le génie des chefs; elle fut le plus souvent ambitieuse et souple à Athènes, âpre et inflexible à Sparte. Ces deux républiques, tour à tour dominantes par des moyens divers, et, à la fin, victimes de leur rivalité, plièrent sous l'ascendant de Philippe, qui, à la faveur de ses armes et de ses artifices, acquit dans la Grèce une influence despotique. Alexandre, profitant de ce pouvoir, si favorable à ses desseins belliqueux, attaque et détruit l'empire des Perses, forme de ses débris un bien plus vaste empire, mais qui, bientôt démembré, donne naissance à plusieurs monarchies qui virent briller à leur tête les Séleucus et les Ptolémées. Les Carthaginois, devenus maîtres de l'Afrique, des Espagnes et de la Sicile, durent à une conduite habile d'immenses possessions, des alliances nombreuses et un riche commerce; chez ce peuple, Hannon, Amilcar, Annibal nous montrent

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